(Partie 1 disponible ici : https://www.senscritique.com/jeuvideo/Le_Sanglot_des_cigales/critique/42090400)


4 - La musique. Sa qualité a été souvent soulignée. Mais derrière celle-ci il y a surtout l'idée que les différents compositeurs à l'œuvre dans ce visual novel savent de quoi ils parlent. C’est-à-dire qu'un moment de joie évoqué dans l'histoire sera accompagné par une musique respirant toutes les différentes nuances que peut posséder la joie. Cela parait simple, mais réussir à accompagner un moment émotionnel par une musique sur la même longueur d'onde n'est pas la chose la plus aisée qui soit, lorsque la scène qui doit être accompagnée est elle-même complexe. Ajoutez à cela l'enchevêtrement émotionnel de certaines situations, et vous comprendrez que le travail musical sur la saga est un travail de génie. Ce soin tout particulier renforce l'idée que le Sanglot des Cigales est une œuvre de précision étalée sur une centaine d'heures. Je n'y connais aucun comparatif. D'accord c'est parfois répétitif, mais l'on pardonnera ce léger défaut, puisqu'il n'y a pas que la musique qui compte. C'est néanmoins un véritable cocon qui nous est proposé, une aide à l'élaboration des émotions ressenties, particulièrement dans les moments tragiques où surgissent la possibilité d'un ailleurs, d'une erreur qui aurait pu ne pas être commise. "La vie non vécue est une puissance irrésistible de destruction qui agit en silence, mais inexorablement" disait Jung. Maintenant imaginez un morceau qui arrive à mettre en images un tel concept.


5 - Le côté ludique. J'ai rarement lu une œuvre faisant ressortir avec brio le caractère ludique du jeu (mis à part le film Le Limier).
LSC est traversé par de nombreuses situations de jeu. Les affrontements entre le héros et ses copines lors des parties du club sont tellement bien construits qu'ils en perdent leur simple statut de badinage pour devenir des moments tendus où l'issue de la partie changera à tout jamais le monde. Une simple partie de cartes devient alors une lutte épique digne des plus grandes batailles. Un conflit général au pistolet à eau devient une troisième guerre mondiale où chaque élimination est accompagnée d'une détresse mi-tragique mi-comique, jusqu'au duel final et l'ivresse que constitue l'apothéose d'un affrontement.
A partir de là j'aimerais souligner le talent de l'auteur pour faire ressortir le caractère divertissant des choses. Et c'est peut-être pour ça que malgré la centaine d'heures on ne s'ennuie aucunement, et on est même prêt à refaire le voyage. Tout l'intérêt de LSC ne réside pas uniquement dans son énigme. Elle réside aussi dans le feu de l'action apporté à de nombreux moments, même les plus anodins. Surtout les plus anodins en fait. Si l'auteur sait trouver en chaque personnage l'étoffe d'un héros, il est tout aussi talentueux lorsqu'il s'agit d'extraire la saveur et l'enjeu de n'importe quelle relation interpersonnelle.


https://youtu.be/kGMPIRvYnMU


6 - Les graphismes. Il est souvent abordé l'idée que les sprites originaux sont extrêmement laids. Mais pour moi il ne s'agit que la laideur de la sincérité : l'auteur n'était pas un dessinateur. Ce qui est tant mieux quand on y pense. Pourquoi faudrait-il nécessairement que les personnages soient beaux ? Ils en deviendraient inhumains, et la distance entre eux et le lecteur se creuserait. LSC disserte beaucoup sur les émotions de ses personnages et leur caractère imparfait. Comme l'évoque Rena, "C'est précisément quand les gens tentent d'être irréprochables que le monde devient hideux." Il serait dommage de s'éloigner des personnages en les voulant à tout prix parfaits. C'est pour ça que je conseille à tous ceux commençant l'œuvre de garder les sprites originaux malgré leur laideur. Vous verrez qu'au bout de quelques heures vous n'aurez plus aucune envie de les changer, tant l'affection qu'on porte à la personnalité du personnage supplante son physique. Je conseille également au lecteur de garder les arrières plans photographiques, remplacés dans certains patchs par des décors stéréotypés et sans saveur. Le côté photographique renforce le réalisme de l'histoire, et donc l'angoisse qui peut en découler (même si pour ma part il n'y a que le tome 1 qui m'ait angoissé).


7 - Et enfin, l'addition de tous les détails précédents crée la dernière qualité, cette chose impossible à retrouver par la suite ailleurs, et qui différencie mon sens définitivement le Sanglot des Cigales de la masse des objets culturels existant : la surprise perpétuelle.
Par surprise j'entends ce qui est inhabituel et plaisant. Plaisant car le génie de l'écriture du scénario peut s'utiliser et se réutiliser comme un objet de bonheur et de fascination pour le lecteur. Mais quand le plaisir de celui-ci s'évapore, par exemple par lassitude, la saga va nous surprendre en produisant une nouvelle forme de plaisir.
L'histoire peut commencer en nous prenant par la main pour découvrir un nouvel univers, chaleureux, gai et serein. De l'attendrissement face aux nouveaux amis qui nous sont présentés, nous allons basculer dans le sel de la vie, ces petits affrontements qui font que le temps passé sur la terre est vécu comme ayant du sens. Mais une telle perfection ne peut que s'effondrer. Nous glisserons bien vite dans cette terrible angoisse qui est celle de voir la paix du monde autour de nous se fissurer progressivement, jusqu'à atteindre la panique généralisée. Quelques minutes plus tard, nous serons dans le gouffre de l'incertitude totale. Puis tout changera et nous assisterons gaiement à la joie ludique qui accompagne la vie et ses petites surprises. Des intrigues romantiques se noueront, des questionnements sur l'avenir s'y ajouteront. Et l'angoisse reviendra, différente de celle précédemment ressentie puisque la situation sera singulièrement différente. Après cela, l'injustice rageante nous atteindra en plein cœur. Elle sera bientôt supplantée par un mystère étonnant dans une ambiance digne d'un film noir, qui se mutera en thriller policier, pour ensuite passer dans les ténèbres noires de l'introspection maladive. On assistera de nouveau à l'injustice, puis aux ravages de la certitude fasciste, puis aux terribles conséquences de celle-ci.
Tout cela semble bien bordélique, et pourtant cela ne représente qu'une infime partie des situations que vous allez traverser dans le Sanglot des Cigales. Je pourrais vous décrire pendant des heures tous les moments qui m'ont marqué, mais je n'en vois pas l'intérêt. Car vous allez sûrement être touché par des moments qui ne m'ont rien fait, et il est bien plus intéressant de construire soi-même son Sanglot des Cigales plutôt que d'essayer de coller son expérience à celle des autres. Personne ne lira la même œuvre de toute manière.


Oui, je pourrais continuer encore longtemps pour essayer de rassembler tout ce qui fait que j'aime autant cette œuvre. Mais tous ces éléments m'échappent dès que je pense avoir mis la main dessus par le langage. Je pense qu'il s'agit d'aller au-delà des mots, afin d'arriver dans la force de la vie qui se dégage du Sanglot des Cigales. Ils créent le caractère unique de cette saga, et ce qui fait qu'elle est pour moi le pinacle de tout ce que j'ai pu lire ou voir dans ma vie. Elle n'est en rien parfaite, et c'est justement ce qui fait redoubler encore plus mon affection pour elle : c'est un travail gigantesque qui a le mérite immense d'exister, et dont le souvenir continue de me faire croire à l'existence d'une immense beauté dans les hauts et les bas de la vie.


https://youtu.be/hpSbPYPoy-s

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le 1 nov. 2017

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