Rayman Origins
7.8
Rayman Origins

Jeu de Ubisoft Montpellier et Ubisoft (2011Wii)

Rayman, malgré une brillante carrière dès sa sortie sur la Playstation 1, fut relativement absent ces dernières années. Les lapins crétins, autre création de Michel Ancel, remportèrent un succès important qu'Ubisoft exploita largement durant quelques temps. Du coup, des lapins mais plus de Rayman (sauf au début). Avec Rayman Origins, Michel Ancel réutilise sa mascotte mais fait également le pari du jeu de plateformes en 2D. Un pari que Nintendo ne cesse de renouveler et de remporter avec sa saga Mario sur console portable (DS) mais également sur console de salon (Wii). Le principe semble éculé, simpliste...et pourtant, Ancel réussit à proposer un jeu riche. Une manière de nous montrer qu'une forme vidéoludique ne condamne jamais la créativité.


Utiliser les objets quotidiens pour créer des niveaux ou tordre le quotidien pour créer du ludique


Le jeu joue beaucoup sur le principe du détournement. Une des premières manières de détourner pour Ancel, c'est de détourner le quotidien. Le créateur français se refuse à imaginer des univers purement fictionnels, avec une esthétique complexe, tortueuse. Au contraire, son matériau de départ est, pour beaucoup de niveaux, les objets du quotidien.


Le défi est là. Prendre un objet banal, a priori sans un grand intérêt esthétique ou narratif, et le tordre jusqu'à en faire un objet ludique, esthétique et narratif. C'est le cas dans le niveau "Palais Gourmand". Tout le niveau se passe dans une sorte de cuisine démoniaque, étrange et atrocement chaude. A plusieurs reprises, Rayman rencontrera des épis de maïs. Rien de surprenant, il s'agit d'une cuisine. Seulement, en touchant un maïs, on peut faire tomber un bout qui, au contact du piment liquide qui délimite le bas du niveau, devient un pop corn tout frais.


Le mouvement est amusant, interaction ludique, mais s'intègre parfaitement dans une narration visuelle. La fuite en avant de Rayman passe par le fait de jongler avec les aliments qui vampirisent l'espace.


D'autres interactions de ce type existent. On peut citer les lianes de piment qui permettent de passer d'un point A à un point B, ou un tube de sauce épicée qui, en appuyant dessus, chauffe la casserole à proximité qui va créer de la vapeur. Les aliments de cuisine, les ustensiles sont des outils de narration et d'architecture vidéoludique. Il ne s'agit jamais d'imaginer des plateformes ou des structures atemporelles (poutre au matériau non identifié) ou de créer des enchaînements artificiels (plateforme végétale dans Mario qui s'élève toute seule, pourquoi ? Comment ?). Au contraire, il s'agit toujours de conserver une certaine logique, un sens du vraisemblable s'appuyant sur des matériaux du quotidien.


D'une certaine manière, on peut voir dans cette opération de détournement une analogie avec certaines entreprises littéraires récentes. Par exemple, il y a quelques années Philippe Djian, romancier français, entreprit d'écrire une série littéraire, Doggy Bag (6 saisons), comme les Américains filment des séries télévisées. Un découpage en plusieurs saisons, des personnages récurrents, des rebondissements, etc. Pourtant, à la lecture du résumé, on a l'impression de découvrir un enchaînement de lieux communs. Deux frères qui sont en rivalité à propos d'une femme, qui revient dans la ville après une longue absence; la femme fatale, etc. Djian l'avouera dans certaines interviews, son objectif était justement de partir de lieux communs pour les tordre et en faire quelque chose de nouveau, de plaisant. En clair, partir d'un matériau difficile (éléments grossiers, vus et revus) pour inventer un récit prenant. La chose ne sera pas toujours comprise ou appréciée, comme on peut le voir ci-dessous (commentaire d'une lecteur sur amazon.com)


"En lisant ce livre j'ai eu l'impression de m'être installée devant ma télé en début d'après midi sur la une ou la deux! On y retrouve tous les ingrédients du genre: milieu bourgeois avec grande maison et belles voitures, relations familiales tordues, histoires d'amour tout aussi tordues, alcool, drogue, médicaments, femmes destructrices, manipulatrices,mais aussi dépressives et toujours futiles et superficielles; hommes riches, séducteurs, machos, éventuellement violents et très portés sur le sexe! Bref, des pages de lieux communs dignes de mauvaises séries tv: "ton univers impitoyaaaable"!!!" (1)


Ancel lui ne s'attaque pas aux lieux communs mais aux objets communs. Un peu comme s'il regardait sa cuisine et se disait : "Comment faire un niveau de jeu vidéo à partir des objets et légumes de ma cuisine ?".
Un jeu mélomane


Dans plusieurs niveaux, le joueur découvre des instruments de musiques, plus ou moins connus, plus ou moins farfelus. En reprenant le principe du détournement vu ci-dessus, Ancela va appliquer cette logique à l'univers de la musique. Il ne s'agit plus seulement de créer un enchaînement qui structure la progression dans le niveau, mais de créer un univers musical dépendant du joueur. Chaque collusion, choc, du joueur avec un instrument de musique provoquera un son. Les cordes vibreront, les tambours sur lesquels on sautera feront leur travail de percussion, etc.


Mais à côté de cet univers musical aléatoire, le jeu tisse également de nombreux autres liens avec la musique. La bande originale en est la preuve. Il y a comme une volonté de condenser tous les styles musicaux dans le jeu. Et, plus que les différents styles, c'est aussi un exercice de variation sur l'interprétation. On entendra ainsi de la musique latine, du jazz, du classique et des interprétations symphoniques autant qu'à la bouche. Jusqu'aux titres des niveaux, on découvre des liens avec la musique. Certaines symphonies sont détournées pour faire un bon mot.


A l'instar des produits de cuisine du quotidien qui génère le level design, la musique est également génératrice de niveaux. Ce n'est plus un niveau sur lequel viennent se superposer des éléments épars (musique et compagnie) mais des enrobages qui inventent le design des niveaux. Ce qu'explique admirablement bien Christophe Héral, le compositeur de la B.O. :


"Je n'avais que quelques éléments. Je savais par exemple qu'il y avait des oiseaux, mais ils étaient simplement dessinés, mais pas animés. Le niveau en lui-même n'était pas encore conçu. Je suis parti dans un système qui fait que tous les petits oiseaux sont accordés à une partition musicale plus générale. Le joueur ne s'en rend pas compte, mais dès qu'il saut sur un oiseau ou tape sur le clavier du piano désaccordé du niveau, tout est en rythme. Pour le coup, c'est la musique qui a géré le gameplay de ce niveau. C'est comme lorsque vous jouez à Mario, vous remarquez que quand vous gagnez quelque chose, le petit jingle sonore est toujours accordé avec la musique. On a essayé de faire la même chose, de faire un jeu de plates-formes où tous les éléments sont agréables." (2)


Conclusion :


Rayman Origins est un jeu bourré de qualités, réussissant à reprendre une vieille formule tout en l'actualisant. Néanmoins, c'est bien cette faculté de détourner des éléments, du quotidien/de la musique, qui interpelle. Le jeu est malicieux, intelligent, et propose sous ses allures loufoques une construction logique où la construction d'un niveau se fait à partir du décors et des apparats et non plus avec, comme des ajouts.


. Sources :


1 : Doggy Bag, saison 1 (Amazon.fr)


2 : "Jeux vidéo : Rayman est un patchwork de styles musicaux" (Figaro)

Al_Foux
8
Écrit par

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le 1 janv. 2016

Critique lue 141 fois

Al Foux

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