Red Dead Redemption 2 – ou l'Éloge de la Stagnation.

Un titre comme celui-ci représente sans aucun doute l'un des derniers sursauts de l'Ancien Modèle Industriel Vidéoludique. Réalisé pendant plusieurs années afin d'être sorti en exclusivité sur consoles. Pensé comme un produit dont on ne devra pas sortir un version supplémentaire à chaque tour de calendrier dans le but de vous revendre à nouveau un mode online couronné de succès. Singulièrement dépourvu d'emotes payant(e)s censées monétiser de manière aisée un modèle de jeu soi-disant free-to-play mais cependant bel et bien placé sous le signe du pay-to-win. Le troisième épisode des aventures des cow-boys de Rockstar semble tout aussi antique dans sa manière d'opérer qu'Arthur Morgan peut se targuer de l'être. À une époque où même Nintendo caresse d'une main gantée de velours – mais cependant constituée de fonte – l'idée d'un business-model articulé autour de l'idée de vous ponctionner de manière régulière l'on se sentirait presque détendu face à un produit comme celui issu de la compagnie responsable de Manhunt 2. Ils vous vendront certainement des saloperies susceptibles de vous aider à vaincre en ligne, hein, mais encore faut-il mettre le doigt dans l'engrenage pour être ainsi asservi. Nul n'est obligé de passer à la caisse dans un titre dont le principal attrait reste encore et toujours son mode solo d'une durée bien trop longue. Mais pourtant... c'est ce type de copieux buffet que l'acheteur attend de ses expériences vidéoludiques. Surtout de nos jours où l'on voit une réelle fragmentation du public entre « *ceux qui ont autre chose à f****e* » et « ceux qui comblent l'ennui d'une vie vide de sens bâtie autour d'un assistanat total à grands renforts de divertissement ». L'idée de monopoliser une portion conséquente de la vie de son client afin d'obtenir son assentiment automatique par le biais d'une lente érosion de ses capacités critiques est d'ailleurs un artifice étrangement populaire dans ce que l'on peine encore à nommer la culture geek. Demandez aux fans de la WWE. Ils seront sans-doute trop occupés par les huit heures de programmation que l'on exige qu'ils avalent chaque semaine pour commencer à exprimer leurs doutes face à un produit en constante stagnation.


C'est cependant sous ce signe qu'est né Raide Dais de Rédemption 2. Un titre qui malgré son côté très « GTA V avec des chevaux » est l'un des meilleurs jeux de cette génération. Le fait que celle-ci ait été marquée par une série de produits frileux proches de ceux issus des machines précédentes doit en toute bonne logique expliquer ce genre de constat. Après tout face au public d'aujourd'hui... même Nintendo n'a trouvé comme soupape pour continuer à écouler ses produits qu'un processus de normalisation de ceux-ci construit autour des avancées des années passées. (Pensez au fait que la plupart de leurs grosses franchises autrefois intéressées par l'idée de vous présenter une expérience linéaire sont devenues sous les yeux ébahis de fans transis aux doigts tremblotants des machines open-world où l'on vous donne des objets sans valeur de manière constante afin que vous continuiez à participer aux aventures d'un monde destiné à vous vendre du DLC.) La logique du marché est donc celle des jeux de la décennie passée. Suffit qu'ils soient plus beaux, pas trop novateurs, mais surtout bâtis sur une licence dont les clients espèrent revoir les atours aguicheurs dans un futur proche. Ce qui explique partiellement le succès d'un jeu comme celui-ci. Son existence en tant que telle est bâtie sur un paradoxe temporel : comment continuer l'aventure d'un protagoniste dont vous et moi savons qu'il est mort. Est-ce l'histoire du gamin réservé devenu pistolero par la force des choses durant l'épilogue de l'un des titres les plus poignants de la PlayStation 3 ? Faut-il comprendre que tout ceci est une forme de retour aux sources expliquant comment l'on en est arrivé à tuer Dutch van der Linde sur cette même console ? Le mystère suffirait presque à vous vendre le titre. Surtout qu'il n'est pas très cher. Là où tant de compagnies exigent de vous près de soixante-dix euros pour un titre pas terrible... la Formule Rockstar parie sur l'idée d'une modicité relative en vous l'écoulant pour dix piécettes de moins. C'est qu'ils sont futés, en fait, les gars d'Houser.


Ils ne le sont cependant pas assez pour avoir réglé de manière amicale le différend légal les séparant de l'architecte majeur de leur succès. (Une sombre affaire de royalties n'ayant pas été versées à Leslie Benzies – et cela après qu'il ait construit l'intégralité des systèmes de gameplay sur lesquels leurs titres reposent – semble devoir les garder de manière irrévocable dans des coins opposés de l'industrie.) Peut-être est-ce le premier signe d'une forme indéniable de mégalomanie de la part des fondateurs de l'entreprise. Il n'est pas impossible que le succès phénoménal de leurs précédents titres leur fasse soudain penser qu'après tout... certains rouages irremplaçables le sont. Nous le verrons dans le futur. Mais il est assez clair pour toute personne ayant eu le plaisir de voir l'évolution de leur formule de jeux open-world depuis Grand Theft Auto III sur PlayStation 2 qu'un titre comme celui-ci est le premier à oser faire du sur-place. Vous ne trouverez aucune évolution tangible en termes de gameplay dans ce jeu. Aucune. Zippo. Nada. Que tchi. Rieng comme ong le dit dang le sudg. Oh, le jeu est plus joli. C'est une évidence. Faut bien justifier toutes ces années d'attente nourries par des bande-annonces grandioses avec une amélioration substantifique du niveau de fidélité visuelle. M'est avis que l'on se souviendra avant tout de la génération Xbox One/PlayStation 4 comme celle d'une explosion de la qualité graphiques des titres proposés au détriment d'un lent patinage conceptuel. Donc... rien de neuf sous le soleil du Far West si ce n'est le fait que celui-ci rend les nez de vos personnages translucides.


Vos cinquante heures de produit familier seront donc belles, répétitives, mais surtout le lieu de naissance d'un terme dont je suis plus ou moins certain qu'il convient parfaitement au genre dont il est question. C'est un Jeu de Scénariste. Le gameplay n'a pas d'importance dans l'esprit de Dan Houser et sa petite équipe tant qu'on présente leur histoire de manière visuelle afin de créer une forme d'envie d'action chez un joueur devenu spectateur par la force des choses. Disons qu'une scène – autrefois l'on aurait dit une mission – dure une douzaine de minutes. Vous pouvez être assuré que le décompte approximatif de celle-ci équivaudra à huit minutes de déplacements mâtinés de divers dialogues censés contextualiser l'action, de deux minutes de gameplay pur et d'une petite saynète de fin censée vous lancer sur le chemin de la prochaine aventure de ce type. Si je devais donner une vague appréciation pifométrique du nombre d'heures d'action contenue dans un titre comme celui-ci... ce serait un chiffre de l'ordre de dix tours d'horloge. Ou environ 20% de l'ensemble. Ce qui n'est pas énorme, hein, mais vu que personne n'ose se plaindre je ne vais pas tirer à boulets rouges sur l'un des rares jeux capables de justifier ses excès de contemplation bucolique par le biais d'une réelle beauté plastique susceptible de faire rentrer son client un brin fatigué dans un état de transe involontaire. Surtout que cette idée de l'humain transi par la beauté de la nature est au centre des thèmes proposés par les aventures d'Arthur Morgan. Un homme doté d'un bien beau nom, d'ailleurs, et qui me fait penser que l'un des pontes de Rockstar est un francophile fan du fameux critique vidéoludique venu de Belgique. C'est bon d'être apprécié.


Il faut donc parler d'une démarche de cette taille en termes narratifs. L'histoire est-elle intéressante ? Oui, enfin, jusqu'à un certain point. Si vous aimez les scénarios qui servent de réceptacle à un nombre impressionnants de tropes narratifs tirés de films populaires tirés du genre dont il est question. (Dan Houser est un très grand cinéphile, au fait, je sais pas si ça se sent.) Cela n'a rien de grave, d'ailleurs, les nouvelles générations dont je fais partie ont une compréhension très limitée du domaine du Western. C'est le style de film pour retraités par excellence. Il est toujours question de cow-boy quadragénaires plus ou moins tubards qui cherchent à sauver leurs proches par une dernière application magistrale de talents génocidaires appris lors d'une époque appelée à disparaître juste après la fin du générique. Le tout habillé de compositions symphoniques somptueuses censées évoquer Luis Bacalov. Ou Ennio Morricone. Vous voyez le genre. Aussi profond qu'un beau-père bourré tentant de vous inculquer une vague forme de compréhension de ce que c'était d'être le plus jeune employé d'une fonderie sur laquelle reposait au siècle passé la prospérité d'une région maintenant maudite de Wallonie tandis que vous vous demandez précisément quand arrivera le cataclysme planétaire susceptible de faire cesser cette fameuse discussion. Par chance, tiens, il arrive. Grand-père demande le silence de l'assemblée en tapant de manière peu coordonnée le bord de sa chope contre ce qu'il pense être une cuillère. Tout le monde se calme. Une longue litanie raciste sur l'état actuel du monde du travail s'ensuit et l'intégralité des membres de la famille ici présents regrette immédiatement son silence. Vous sentez une petite portion de vous mourir en attendant le dessert.


Car loin d'être une longue histoire épique sur le sens de la vie tout ceci sonne plus comme la longue complainte de fans de cinéma bien décidés à se rejouer une énième fois leurs films favoris par le prisme de ce qu'ils comprennent du gameplay. Une discipline dans laquelle ils n'ont jamais vraiment bossé et dont les bases semblent échapper à leur compréhension. (Mention spéciale à leur tentative d'insuffler la sempiternelle scène de « combat aérien en hélicoptère » dans le contexte d'un Western.) Arthur est probablement trop compétent pour tolérer de son père adoptif – qui semble avoir au grand maximum cinq ans de plus que lui – une série de plans foireux toujours plus échevelés. Si l'on en croit le personnage que vous êtes censé déceler en lui... il aurait probablement préféré tirer la gâchette de son six-coups aux alentours de la quinzième heure de jeu plutôt que de laisser l'affaire s'enliser au point de devoir se satisfaire d'un suicide glorieux censé sauver son pupille de la pampa. Mais on ne vous laisse pas vraiment le choix d'agir sur le cours des événements. Il faudra se contenter de quelques choix binaires certes cruciaux mais toujours plus intéressés par l'idée de vous amener à certains embranchements clés que de vous permettre de vous sentir libre dans cet univers open-world.


Ce qui n'est pas très grave, hein, telle semble être la malédiction de cette nouvelle génération : oser révolutionner les formats du passé coûte visiblement trop cher. Mais – en l'état – porter les fondamentaux de l'un des meilleurs titres de la génération passée dans le gameplay de GTA V suffit. Enfin, pour l'instant. Il n'est pas trop tard pour se rabibocher avec Leslie Benzies, les gars, vous avez besoin de ses services. C'est maintenant devenu assez évident. Vous ne pouvez pas faire du sur-place beaucoup plus longtemps.

MaSQuEdePuSTA
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Critique Cruelle par... Le MaSQuE.

Créée

le 29 déc. 2018

Critique lue 1.2K fois

10 j'aime

3 commentaires

Critique lue 1.2K fois

10
3

D'autres avis sur Red Dead Redemption II

Red Dead Redemption II
Hunter_Arrow
8

Ce jeu fabuleux mais que je ne peux aimer... Ou l'ironie du temps qui passe.

Avant de commencer, si vous êtes choqués par la note que j'ai attribué à ce jeu vous devez comprendre la chose suivante : pour moi une note n'a aucune valeur en soi quant à évaluer un jeu ou un film...

le 28 oct. 2018

97 j'aime

46

Red Dead Redemption II
Nicolas_S
10

Une dernière chevauchée

(spoilers) Quand on lance Red Dead Redemption II, on ouvre la porte vers une aventure, celle d’Arthur Morgan et de la bande dont il fait partie, dirigée par un charismatique truand à l’idéologie...

le 4 nov. 2018

93 j'aime

12

Red Dead Redemption II
jeds
7

La possibilité d'un jeu

Voilà donc le chef d'oeuvre absolu, celui qui va redéfinir pour les 20 années à venir notre vision du jeu vidéo. Les propos dithyrambiques fusent, l'unanimité est atteinte, Red Dead Rédemption 2 est...

Par

le 7 nov. 2018

67 j'aime

12

Du même critique

Highlander
MaSQuEdePuSTA
8

"There can be only one."

On peut reprocher énormément de choses au film Highlander: d'avoir engendré les plus mauvaises suites de l'histoire de l'humanité, d'avoir permis la carrière d'Adrian Paul, d'avoir popularisé...

le 21 oct. 2010

47 j'aime

9