26 avril 1986. Le réacteur numéro quatre de la centrale nucléaire Lénine de Prypiat, en Ukraine, explose en pleine nuit. La plus grave catastrophe nucléaire du vingtième siècle gérée de manière catastrophique par les autorités soviétiques, qui aura coûtée la vie à des milliers de citoyens ukrainiens et des répercutions politiques qui se font encore ressentir aujourd'hui. Preuve s'il en est que le nucléaire et le communisme sont dangereux.


C'est assez rare de trouver un jeu vidéo utiliser avec intelligence un contexte historique, là où il s'agit généralement de réaliser un produit consensuel moralement douteux basé sur les plus grandes tragédies de l'histoire de l'humanité. Faut dire aussi que le studio responsable du titre, GSC Game World, est ukrainien. D'autant plus que sa gestation chaotique a bien failli lui coûter la vie... et se fait ressentir dans le résultat final.


Dans une cinématique fort bien réalisée, un camion que l'on suppose militaire chargé de cadavres sillonne une route avant d'être foudroyé de plein fouet. Patatra, le véhicule va finir sa course dans la chaussée, ses résidents avec. Vous êtes dans ce camion, miraculeusement vivant et recueilli par un homme mystérieux imberbe qui rapporte votre corps vivant mais inanimé à un clone de Donald Pleasance. Il trouve une Kindle dans vos poches sur laquelle est inscrit en caractère gras "kill the Strelok", avant que la caméra n'effectue un gros plan inquiétant sur votre bras orné d'un étrange tatouage: S.T.A.L.K.E.R.


Le nucléaire a toujours été un prétexte favorable aux bestiaires fantasmés et aux extravagances scénaristiques. Avec un peu de radiations dans le sang, il est tout à fait envisageable d'un point de vue scientifique qu'une poule ait des crocs et fasse deux mètres ou qu'un humain devienne un zombie peu enclin au dialogue. C'est à partir de ce postulat que Stalker (admettons-le, c'est beaucoup plus simple sans la ponctuation) invite le joueur à parcourir la Zone, no man's land entourant la centrale rempli de mutants, anciens repris de justice en quête d'artéfacts valant une fortune et de militaires louches. Vous n'êtes pas le premier à fouler ces terres déjà chargées d'une histoire encore rythmée par vos actions. Les différentes factions se combattent, les mutants vous attaquent, et des anomalies radioactives réduisent en charpie ou foudroie tout être vivant s'en approchant d'un peu trop près. Contrairement à nombres d'open world qui sont des vitrines technologiques vides si ce n'est quelques mobs à farmer, la Zone est vivante et donc imprévisible. Il est tout à fait envisageable qu'un groupe de bandits vous agresse en pleine exploration d'un village rasé, ou qu'un stalker appelle à l'aide sur les ondes.


La Zone est vivante, mais pas en votre faveur. Tout est une source de danger, du cabot enragé au mutant géant aussi hideux qu'un apôtre en passant par les anomalies. C'est un lieu imprévisible qui nécessite d'être constamment aux aguets. Et pour cause, vous n'êtes pas un paramilitaire surentraîné doté d'une capacité thaumaturgique à récupérer sa santé une fois planqué dans un buisson, mais un homme normalement constitué, qui a besoin de se soigner et n'est pas doté d'un armement de première fraîcheur. Les premiers affrontements sont d'ailleurs particulièrement ardus à cause du gameplay volontairement pataud et imprécis dû à la condition du protagoniste. Mais l'équipement, que ce soient les armes, la vodka ou les bâtons de berger, devient de plus en plus efficace au fil de la progression, à la manière d'un RPG.


C'est ce danger constant qui fait la grande force de Stalker et parvient presque à faire oublier la médiocrité voulue de son gameplay. Rien n'est sous contrôle, vous n'êtes qu'un stalker parmis tant d'autres, et la plus absurde des morts est envisageable à tout moment. L'immersion passe par cette incertitude, et atteint son paroxysme dans les rares passages souterrains, qui feraient rougir la majorité des survival horror qui pullulent sur Steam. Aucune musique, le vide devient presque trop bruyant et crée une atmosphère fantastique (au sens premier du terme) accentuée par les parpaings volants à cause des anomalies qui ne demandent qu'à finir leur course sur le crâne du joueur, ou les mutants qui hantent les couloirs. Ces passages contiennent tout ce qui fait l'intérêt de Stalker: un gameplay qui contentera les PCistes qui n'aiment pas les FPS consoles et préfèrent leurs simulateurs de je crève d'une hémorragie dans un buisson (rappelez-vous, fût un temps où la série Battlefield, sans aller jusqu'à Arma, visait le public "hardcore gamer" PC), mis de côté en faveur d'une immersion qui convient parfaitement au médium utilisé, à savoir le jeu vidéo.

Rn_Ganon
7
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le 19 févr. 2018

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Rèné_Ganon

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