Psycho-analyse morbide pour une perle méconnue du jeu d'aventure

Ayant découvert récemment le très excellent jeu d'aventure Fran Brow, qui s'aventurait sur les chemins tortueux d'une horreur "psychiatrique", Steam - qui a décidé de prendre soin de ma culture vidéoludique - m'a gentiment proposé de m'intéresser à ce Sanitarium (1998), dont je n'avais pas entendu parler précédemment, mais qui bénéficiait de très bonnes critiques et m'avait tout l'air d'être en quelque sorte le grand-père spirituel du jeu cité précédemment.


Alors? La première chose qui saute aux yeux est d'ordre technique: il s'agit d'un jeu en "3D isométrique", choix technique (à ma connaissance) rare pour ce genre de jeu, mais alors à la mode j'imagine (Fallout, le premier du nom, à utiliser cette technique est sorti en 1997). Le seul autre exemple qui me vient en tête est le très récent Stasis (auquel je n'ai pas joué, je précise). Ce seul choix donne au jeu une véritable originalité et une autre perspective (c'est le cas de le dire) sur le genre, même si cela génère quelques soucis au passage:



  • primo, cette technologie empêche, à l'époque, des graphismes très détaillés, notamment pour les petits éléments, à commencer par les personnages, dont l'allure en 3D n'a parfois pas grand chose à voir avec leur tête (affiché en 2D classique) lorsque l'on discute avec eux...Ainsi, si le gore est thématiquement et visuellement omniprésent dans le titre, celui-ci est de facto très largement émoussé par cette limitation technique (mais bon, si j'ai bien compris, cela n'a pas empêché du tout le jeu d'être attaqué à l'époque par des associations conservatrices "de bonnes morales"; qu'est-ce que ça aurait été alors si le jeu avait adopté une approche aussi frontale que Fran Brow juste 20 ans plus tard???...). En tout cas, du fait de ces limitations, le jeu laissera aussi une grande part à votre imagination, celui-ci étant graphiquement plus dans la suggestion (bien forcé...) que dans la monstration pure et dure.
    • d'autre part, les déplacements du personnage sont parfois (très) crispants, ceux-ci étant, de façon assez étrange, gérés au moyen du clic-droit (je ne suis pas allé regardé dans les menus si le jeu proposait d'autres configurations alternatives)...Le tout génère également des problèmes saugrenus de "chemins": par exemple, notre personnage se trouve derrière une table; de l'autre côté, il y a un objet que l'on veut attraper, on clique dessus et on se fait dire que "c'est trop loin"; put***, mec, t'es à 2m! Tu peux te bouger et faire tout seul le tour de cette table quand même??? Bah non...lol

  • même si le jeu n'abuse pas - fort heureusement - de ce type d'interactions, certains passages plus orientés "action" s'avèrent également très peu convaincants du fait de la rigidité du gameplay qui ne permet pas (euphémisme) une précision au pixel: je pense notamment au 2e tableau (donc tout début du jeu) lorsque l'on doit affronter un épouvantail maléfique, ou encore le tout dernier tableau où l'on doit arpenter un labyrinthe selon un chemin très précis, où chaque pas de côté risque de nous faire échouer...Heureusement, de toute évidence, les développeurs avaient bien conscience du problème a priori, puisqu'à chaque fois, on va dire que tout est fait pour que le joueur ne soit pas trop frustré (découpage des tâches au maximum avec sauvegarde systématique des avancées, vies illimitées...).


Bon, puisque je me suis lancé dans les défauts (somme toute mineurs comme on va le voir au vu des qualités du soft), je continue:
-le portage de DotEmu est minimaliste!!!. Autant je comprends que les défauts cités ci-dessus soient difficilement corrigeables à moins de toucher à l'architecture profonde du jeu (et encore quelque chose aurait pu être tenté franchement pour le problème des "chemins"...), il en va franchement autrement pour la dimension sonore du titre dont le rendu est tout bonnement atroce: intensité des bruitages d'ambiance complètement à l'ouest, le plus souvent beaucoup trop forts (malgré mes désespérées tentatives de réglages dans les menus), voix insupportables et suraiguës (qui auraient pu être tout de même mieux étalonnées a posteriori), personnages qui changent de voix entre 2 répliques...Je n'exagère rien en disant que, sur ce plan-là, le jeu est une vraie torture mentale!
- En outre, cela n'aurait je pense tout de même pas coûté cher de proposer un petit didacticiel d'introduction aux contrôles au tout début du jeu, ne serait-ce qu'un encart explicatif: mais non, là, c'est du pur "démerde-toi en tâtonnant mon coco, tu vas bien finir par trouver"...Bref, comme je le disais, un portage a minima, on est guère loin du pur et simple 'abandonware'.
- Je continue de taper sur le portage de DotEmu (après, c'est fini, promis!): alors que les dialogues en français sont de qualité correcte, il n'en va étrangement pas de même pour les boîtes de dialogue qui nous sont proposées lors d'une interaction, dont les intitulés n'ont bien souvent aucun sens! (traduction bâclée j'imagine). C'est d'autant plus frustrant que je pense que le tout aurait franchement pu être corrigé en 1 journée de boulot...Et tous ces petits défauts cumulés tendent malheureusement à nous faire sortir de l'aventure, en nous énervant inutilement.
- Enfin, il faut rajouter à cela quelques menues imperfections dans l'implémentation de "l'ordre des actions", certains personnages vous parlant d'éléments dont, de toute évidence vous ne devriez pas avoir encore connaissance...(vous le découvrez en parlant plus tard aux persos qui sont alors censés vous apprendre tel élément pour la première fois). Mais bon, rien de dramatique une fois de plus. Juste une accumulation de petits détails énervants, qui pourraient faire sortir du jeu des personnes moins motivées que je ne l'étais.


J'en arrive (enfin) aux qualités du titre. Comme vous l'aurez deviné, celles-ci sont avant tout d'ordre narratif : on est tout de suite happés (pour peu que l'on apprécie ce genre d'ambiance bien entendu) par cet univers fantastico-psychiatrique lugubre et par le personnage mystérieux que l'on incarne, a priori rescapé d'un accident mais à la psyché quelque peu détraquée. Surtout, le jeu fait le choix doublement heureux (et typique de bcp de jeux d'aventure "modernes") de fonctionner par "tableaux" bien distincts les uns des autres, qui ponctuent nos avancées dans l'histoire.
Premier avantage: ce choix prémunit largement le soft face au danger de perdre et d'ennuyer le joueur, auquel s'expose forcément une narration faiblement linéaire basée sur les visions délirantes de son personnage principal. Chaque tableau correspond en effet à une sous-histoire quasi-indépendante qui relance systématiquement l'intérêt du gamer, sans que celui-ci ait jamais le sentiment d'avoir affaire à du remplissage. Par ailleurs, on switche tout au long de l'histoire entre différents protagonistes (ou plutôt enveloppes), renvoyant eux-mêmes à des univers bien distincts, dont certains bien perchés (cf. par exemple le tableau SF/comics de la ruche!); on alternera ainsi entre des phases se déroulant dans des asiles et autres milieux hospitaliers, et d'autres renvoyant à des projections encore plus exotiques (cirque, village maya (!), maison hantée, etc.) issues de l'inconscient corrompu de notre protagoniste. Mais si le tout fonctionne aussi bien in fine, c'est tout simplement parce que l'ensemble est juste bien écrit (on dirait qu'un espèce de S. King en pleine forme était aux manettes!). Le 2e tableau dans la bourgade maudite instaure ainsi une ambiance immédiatement pesante (avec ses enfants victimes de déformations) et un véritable suspense ; même chose pour la séquence cirque / maison hantée qui pousse systématiquement le joueur à s'accrocher pour avoir le fin mot de l'affaire.


2e avantage et pas des moindres: en divisant le jeu en tableaux spatialement limités, la difficulté générale du soft demeure tout à fait raisonnable, alors que les difficultés techniques du titre pouvaient laisser craindre le pire! Le jeu limite ainsi les aller-retours et les éléments de l'inventaire ; à cela s'ajoute le fait que les interactions restent logiques dans l'ensemble et que les quelques mécanismes-énigmes auxquels nous auront à faire face ne sont pas trop tordus, sans être trop évidents. Un bel équilibre donc! Je n'ai eu à consulter la soluce qu'une ou deux fois, et encore plus à cause de problèmes de game-design qu'autre chose.


Pour conclure, on peut dire qu'on a affaire là à un vrai classique méconnu du point'n'click, qui a constitué pour moi une excellente surprise au niveau narratif, même si la 3D isométrique fait vraiment son âge avec un portage qui fait le minimum syndical. Je le conseille donc sans retenue (aux adultes uniquement tout de même, et qui soient compatibles avec ce genre d'univers très poisseux et pas immédiatement rebutés par une technique vieillotte).

Tibulle85
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le 18 juil. 2019

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Tibulle85

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