Silent Hill
8.1
Silent Hill

Jeu de KCET, Keiichiro Toyama, Akira Yamaoka, Team Silent et Konami (1999PlayStation)

Une expérience horrifique intense et intemporelle

Je n’ai pas vécu l’époque de l’âge d’or des survival-horror et je ne me suis donc jamais confronté à un Silent Hill à l’époque de sa sortie. Néanmoins, m’étant découvert sur le tard un intérêt pour ce genre de jeux et cette saga étant l’une des plus cultes sur la question avec Resident Evil, et bien d’autres, je découvre totalement ce titre aujourd’hui. Ayant la réputation d’avoir mal vieilli, c’est avec pas mal d’appréhension que je l’ai abordé mais aussi avec beaucoup de curiosité, mais je ne m’étais pas préparé à un choc si violent qu’il allait redéfinir ce que je peux attendre d’un survival-horror à l’ancienne. La critique étant longue pour vous expliquer tout ça, je vous propose cette superbe chanson d’Elsie Lovelock sous le fonds musical de l’intro.



SCENARIO / NARRATION : 8 / 10



L’époque de la Playstation 1 était l’époque des cinématiques d’introduction d’anthologie et Silent Hill ne fait pas exception à la règle avec sa cinématique que j’ai trouvé très réussie techniquement mais surtout très lourde de sens. En fait, c’est un teaser mêlé à une intro, on voit des extraits de cinématiques en images de synthèse que l’on croisera en jeu pour présenter les personnages et l’ambiance, et l’intro à proprement parlé qui dure très peu de temps mais qui est essentielle pour comprendre l’aventure. Parce que l’aventure, elle, n’est pas du tout évidente à comprendre entre monde parallèle, hallucinations dans le monde réel, rêve complet... qui sont autant de théories que le joueur comme le personnage échafaude au fur et à mesure de sa progression, sans jamais avoir une réponse certaine de ce qu’il en est par ailleurs.


J’ai apprécié cette narration énigmatique, je trouve que ça va très bien avec le genre du survival-horror parce que ça permet de justifier pas mal d’excentricités esthétiques et de mise en scène en plus de contribuer au malaise du joueur. L’essentiel c’est qu’il y ait des liens a minima cohérents entre les événements et une quête principale qui nous motive à les interpréter et là c’est le cas. On incarne un père à la recherche de sa petite fille et les événements vécus nous le rappelle régulièrement, à chaque fois qu’on se rend quelque part c’est parce qu’on est sur ses traces. C’est une narration énigmatique mais pas incohérente, on s’en rend bien compte une fois les pièces du puzzle à leur place. Voici l’explication claire et complète du scénario pour ceux et celles que ça intéressent, évidemment ça spoile très méchamment.


On aurait pu imaginer au début de l’intrigue des forces surnaturelles kidnapper une enfant qui finira par être retrouvé saine et sauve par son père avec une petite image comme quoi l’amour est plus fort que tout ou ce genre de choses. C’est ici bien plus complexe et mature avec cette enfant qui s’est sacrifiée en acceptant d’endurer indéfiniment une souffrance phénoménale pour qu’une partie d’elle puisse vivre libre, jusqu’à ce que finalement elle abdique laissant alors un père qui n’avait plus que sa fille plonger dans une quête vouée à l’échec, ce qui confère au récit une dimension très tragique et sans manichéisme. Sans même parler des intrigues secondaires qui ne sont pas dénuées d’intérêt ou d’intensité, loin de là.


Maintenant, je pense qu’il aurait été génial de redécouvrir l’histoire une fois finie une première fois avec en personnage jouable Cybil, elle qui suit une aventure parallèle à la notre durant le jeu, et ça aurait pu être l’occasion de mieux comprendre ce qui arrive à notre personnage à certains moments à travers son regard. D’ailleurs, j’ai appris par la suite qu’un visual novel, apparemment pas terrible du tout, portant sur ce scénario proposait cette option, alors est-ce que c’est l’idée qui est mauvaise, son application dans ce VN ou encore autre chose, je ne sais pas mais quand j’ai joué au jeu je me suis fait cette réflexion et je me dis que ça aurait pu être un plus non négligeable pour la narration et le potentiel de rejouabilité.


Le jeu comprend un total de 5 fins qui dans l’idée ne sont pas mal du tout mais les conditions pour les débloquer ne sont pas suffisamment claires à mon sens. Il y a toute une quête annexe à faire mais qui se présente plus comme une quête pour avoir quelques items bonus qu’une quête avec des enjeux scénaristiques majeures et un truc à faire à un endroit précis mais pour deviner qu’on peut le faire et qu’il le faut sans solution, alors là je ne pense pas que ce soit possible. Sinon, le scénario est de qualité, la narration est originale et relativement bien élaborée, les personnages sont attachants... mais je pense que le jeu aurait du fournir davantage de pistes par lui-même pour bien tout comprendre et sélectionner sa fin en connaissance de cause pour qui aurait bien cherché.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : 10 / 10



Un jeu tout en 3D à l’époque de la PS1, bien sûr il y a des soucis techniques qui font mal vieillir le titre visuellement, mais déjà à l’époque il y avait un soin qu’on pouvait apporter à la réalisation qui peut encore s’apprécier aujourd’hui et ces problèmes techniques peuvent ne pas trop desservir l’ambiance du titre, voire la renforcer. Silent Hill est vraiment le bon exemple pour le prouver et j’ai pu très rapidement passer outre l’aliasing ultra prononcé omniprésent, la rigidité des animations, les nombreux temps de chargement... pour m’en rendre compte. Il n’y a qu’à voir le clipping ultra élevé qui n’est en rien un problème car les ennemis peuvent être très bien repérés à l’avance par le son puisqu’ils font grésiller notre radio, ce qui nous rend attentif à la bande-son qui comprend autant de bruits alertant d’un danger que de bruits d’ambiance.


Le clipping est donc un problème technique réel mais incontournable vu le support, la ville à parcourir étant tellement grande, et surtout utilisé comme outil de game-design pour renforcer l’ambiance ou impacter le gameplay, donc ce n’est plus un problème. De plus, il y a des qualités techniques très importantes comme la lumière qui est très bien gérée, l’effet en lui-même autant que son utilisation. En effet, mieux voir c’est aussi mieux être vu et même dans le noir j’ai vite remarqué que couper la lampe torche avait un avantage certain pour ne pas se faire repérer mais alors on ne peut regarder sa carte en toute logique. C’est plein de petits détails comme ça qui m’ont fait halluciné pour un jeu de 1999.


La mise en scène est très recherchée, à la fois dans un but ludique et dans un but narratif. Par défaut, la caméra est de dos à notre personnage mais dans certains endroits elle va se placer différemment et ce n’est jamais pour rien. Un exemple pour vous l’illustrer : très tôt dans le jeu, en entrant dans une ruelle elle va nous filmer de face puis se placer au-dessus et enfin se replacer dans notre dos mais cette fois-ci en biais et comme par hasard ce passage dans la ruelle est celui entre deux mondes, ce qui peut se comprendre rien que par ce choix de caméra. Pour l’aspect ludique ça va être la mise en évidence plus ou moins subtile d’un passage à emprunter, d’un item à ramasser, d’un piège à anticiper...


Techniquement c’est donc très solide mais c’est rien comparé à l’ambiance du titre particulièrement horrifique avec un bestiaire, des musiques, des décors... qui sont hyper anxiogènes et dérangeants. L’idée de revisiter un environnement dans une version cauchemardesque est particulièrement excellente à mes yeux, dans la version normale on entend du bruit, on avance et on voit un casier qui bouge, et là un chat en sort ! Un effet un peu cheap à mon goût qui prend tout son sens quand on passe dans le monde alterné où on rejoue la même séquence sauf que vu le changement d’ambiance j’ai vraiment flippé en m’imaginant ce qui pourrait sortir cette fois-ci de ce casier.


Et pourtant, j’ai appris plus tard que je jouais à un jeu censuré par deux fois, la première version du jeu telle qu’a été montré en trailer a été censuré par rapport à la version finalement commercialisée au Japon, et la version européenne a encore subi de la censure après coup. Malgré tout ça, Silent Hill est une des plus fortes expériences horrifiques que j’ai pu vivre tout média confondu. Arriver à ce résultat avec une technique aussi limitée, moi je trouve ça admirable et le soin accordé à la réalisation dans son ensemble (la caméra, les effets de lumière, le brouillard...) y est sans doute pour quelque-chose, raison pour laquelle j’accorde cette sous-note maximale, ce qui ne sera malheureusement pas le cas pour la dernière partie de cette critique.



GAMEPLAY / CONTENU : 6 / 10



Tout d’abord, il faut avoir en tête que Silent Hill 1 est sorti quand Resident Evil avait déjà vu naître ses deux premiers épisodes, Resident Evil 1 et Resident Evil 2, apparu pour leur faire concurrence j’avais peur qu’il recopie bêtement et simplement le gameplay de RE, or il n’en est rien. Déjà la caméra qui n’est pas dans des angles fixes pré-déterminés ça change pas mal de choses mais même le maniement est différent. Plus souple, avec la possibilité de straffer, de viser et de tirer tout en se déplaçant avec des armes légères (ce qui les rend parfois plus utiles que les armes lourdes) notamment en reculant, la prise en main est bien plus agréable que sur les premiers RE.


La gestion de l’inventaire ne pose aucun problème avec un menu à la manière de Tomb Raider et des emplacements illimités, ça aurait été encore mieux si les items-clefs étaient dans une catégorie à part mais c’est qu’un détail, ce n’est pas un problème aussi rédhibitoire que dans les Resident Evil. À noter également que les sauvegardes sont illimitées et qu’il y a des checkpoints, leur utilisation abusive n’entraîne qu’une pénalité sur le score final lorsque l’on termine le jeu. Je trouve que c’est beaucoup plus malin que d’imposer les sauvegardes limitées, les emplacements de sauvegarde éloignés les uns des autres, les allers-retour interminables au coffre...


La carte interactive est également une excellente idée, chaque zone a sa carte dédiée à trouver et chaque fois qu’on voit une porte fermée, qu’on a un nouvel objectif, qu’on repère un objet lié à une énigme... c’est mentionné automatiquement sur notre carte qui rend l’exploration réussie et heureusement car c’est un aspect très important du gameplay de ce jeu. Il n’y a que pour le dernier donjon, si on peut appeler ça comme ça, que ça devient lourd parce que justement on n’a pas de carte et qu’il y a vraiment beaucoup de portes et de choses à faire.


Bon par contre, les combats ne sont quand même pas très intéressants en eux-mêmes et ça se ressent surtout sur les quelques boss qui demandent juste d’analyser la seule attaque qu’ils répètent pour voir comment l’esquiver et ensuite le combat est plié. Même pour le boss final, j’ai compris son fonctionnement à mon premier essai, à mon deuxième je l’ai tué sans me faire toucher en me disant que ça ne pouvait pas être aussi simple, qu’il avait une autre forme, et bien non c’était bel et bien le boss final et l’ultime preuve que le gameplay n’est quand même pas top même s’il est pas aussi problématique que chez Capcom en la matière.


Les énigmes sont assez inégales, j’en ai trouvé certaines très rapidement quand d’autres fois je suis resté bloqué comme un couillon pendant une demi-heure parce que j’avais confondu un item clef avec le décor. Pas forcément terrible mais il y a quand même quelques bonnes idées avec des indices parfois assez malins à dénicher. En revanche, le contenu est vraiment un peu trop léger, 6 petites heures pour mon premier run et à part refaire le jeu avec une soluce pour les autres fins, le potentiel de rejouabilité est pas bien grand. C’est honnête mais on a clairement vu mieux, autant sur le contenu que sur le gameplay.



CONCLUSION : 8 / 10



Silent Hill fut une excellente surprise, moins vieillot que ce que l’on pourrait croire sur son gameplay même si c’est ce qui le limite principalement à mes yeux, mettant en place un scénario intéressant avec une narration originale et plutôt réussie, et surtout encore plus effrayant que ce à quoi je pouvais m’attendre d’un des meilleurs survival-horror qui soit avec une réalisation impeccable pour la console. Une intense et éprouvante expérience que je ne peux que vous recommander. C’est d’autant plus respectable que c’est le premier jeu dirigé et scénarisé par Keiichiro Toyama qui abandonnera ensuite la série au profit de Forbidden Siren.

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le 30 juin 2017

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damon8671

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