Il fut un temps où il existait des salles d’arcade et où passer devant elles faisait saliver.
C’était un temps où le simple fait d’interagir brièvement avec des graphismes chiadés (pour l’époque) pouvait suffire à nous mettre des étoiles dans les yeux.
C’était un temps où on était prêt à mettre 10 francs dans une fente juste pour marteler deux boutons frénétiquement pendant une minute ou deux (…parce que le jeu s’arrangeait toujours pour que notre partie finisse assez rapidement afin qu’on remette une pièce de 10 francs le plus vite possible.)
C’était le temps où certains jeux se dressaient tels des fantasmes inaccessibles et où on les aimait aussi pour ça…


Dire cela avant de parler de « Streets of Rage 4 » n’est pas pour moi anodin.
Car de mon point de vue on ne peut clairement pas appréhender ce titre sans l’ancrer dans une certaine Histoire du jeu-vidéo.
L’Histoire du beat’em all tout d’abord ; un genre pensé pour l’arcade avant tout, avec des gros sprites et des interractions simples censés attirer le chaland.
Mais aussi l’Histoire de toute cette saga « Streets of Rage », puisque Sega avait clairement pensé cette série de jeux pour attirer le public de l’arcade vers le marché des consoles de jeux.
Il suffit d’ailleurs d’aligner les dates des trois premiers épisodes de la saga pour comprendre son ancrage historique : 1991, 1992 et 1994.
Donc oui, en sortant 26 ans après son dernier prédécesseur, « Streets of Rage 4 » appelle presque mécaniquement à faire un bond dans le passé ; à s’imprégner d’une autre époque…


Les gars de Sega l’ont d’ailleurs bien compris et ça se ressent dès l’écran titre.
Visuel à l’ancienne. Musique synthé très années 80. Le charme opère tout de suite.
L’état d’esprit de ce revival apparait dès lors comme une évidence : il s’agit à la fois de jouer de la fibre nostalgique chez les anciens comme d’aiguiser la curiosité des jeunes joueurs à découvrir un art ancien révolu.
Après tout l’époque actuelle s’y prête. Le succès de jeux comme « Hotline Miami » a su démontrer qu’il y avait un public pour s’adoner à des plaisirs coupables simples, nerveux et épurés dans leur esthétique. De même que la remarquable longévité de la saga « Street Fighter » prouve quant à elle qu’un genre peut traverser les âges sans connaître de changements fondamentaux.
Aussi, rien que pour ça, j’avoue qu’on peut tirer son chapeau à Sega : la seule sortie de ce titre est déjà en soi un pari malin, pertinent et percutant.


Et pour le coup cet état d’esprit infuse vraiment l’ensemble de la partie, de la première à la dernière minute, ce qui constitue l’incontestable point fort de ce titre.
Quelques cinématiques sous forme d’images figées posent tout de suite l’atmosphère.
On est lancé sans plus de préambule que ça dans l’aire de jeu. On retrouve des mécaniques simples, instinctives et ludiques. Les espaces savent être beaux mais sans rompre pour autant avec l’identité de la saga et la clareté de ce qu’on peut et doit y faire. Les niveaux savent s’enchaîner en gagnant progressivement en difficulté ce qui nous oblige petit-à-petit à mieux tirer parti des attaques spéciales et de réussir davantage nos enchaînements.
Et si jamais c’est trop dur, il y a toujours moyen de bidouiller le niveau de difficulté ou d’activer ou nous la prise en compte des coups assénés par notre coéquipier, ce qui fait qu’il y en a vraiment pour tous les goûts.
En somme, il y a un vrai plaisir régressif à arpenter ce « Streets of Rage 4 »…
Sauf que…


Sauf que « Streets of Rage 4 » est aussi prisonnier des critères qui font pourtant ses forces.
Car à être trop fidèle au genre, Sega reproduit également toutes les limites qui étaient celles du beat’em all des années 90.


Limites de jouabilité tout d’abord. Même les personnages les plus nerveux sont assez rigides à déplacer. Quand un pote est en galère à un bout de l’écran, il faut un certain temps avant de se repositionner pour l’aider. Surtout que dans l’urgence, il devient assez difficile de gérer l’axe y. Parce que, comme tout beat em all des années 90, les personnages gardent la même taille quelque-soit leur positionnement sur la « profondeur » de l’aire de combat. Ainsi on peut se retrouver parfois touché par un adversaire dont on pensait pourtant qu’il n’était pas au même niveau de profondeur que nous alors qu’à l’inverse on peut parfois se retrouver à envoyer une belle grosse attaque dans le vent alors qu’on pensait être bien aligné.


Limites en termes de durée de vie également, ou plutôt devrais-je dire en termes de durée du plaisir. Car, fidèle à l’époque des années 90, « Streets of Rage 4 » se révèle être un jeu très court. Pire que que ça : « Streets of Rage 4 » se révèle surtout être un jeu qui arrive rapidement en bout de course.
Quand bien même le final est amené assez précocément, j’ai tout de même trouvé moyen de m’ennuyer avant ça. Au bout d’un moment (assez rapide) le gameplay nous renvoie à son simplisme de base et l’accumulation de nouveaux ennemis n’est plus suffisante pour enrichir les sensations de jeu.


Dès lors, les choix opérés peuvent questionner.
Etait-il si inconcevable que ça que de penser à une évolution des compétences des personnages au fur et à mesure de la partie ?
Aurait-ce été à ce point un sacrilège que de faire gagner de la fluidité et de la vitesse aux personnages, au risque d’accepter une mécanique plus permissive par rapport à l’axe y ?
En d’autres mots, est-ce qu’une petite refonte du concept pour le dépoussiérer un peu n’aurait pas fait un peu de bien à cet épisode ?


Parce que bon, la nostalgie c’est bien gentil, mais il est quand même loin désormais le temps où on s’extasiait sur des bornes d’arcade pendant les cinq petites minutes que nous autorisaient une pièce de 10 francs.
Alors d’accord, « Streets of Rage 4 » n’est pas non plus un total copier-coller du level-design et du gameplay de ses trois précédesseurs – des optimisations et des remises à l’ordre du jour ont bien eu lieu – mais dans l’essentiel on reste tout de même beaucoup trop proche du produit originel pour que ça puisse pleinement me convaincre en 2020.


D’ailleurs – et c’est triste à dire – mais ce jeu au final je n’en garde rien.
J’ai beau reconnaître la malice de la démarche initiale, ce « Streets of Rage 4 » ne m’a pas pour autant refilé de véritable plaisir, à par celui d’une nostalgie fugace.
Et tout cela s’explique sûrement pour une raison bien simple : déjà en 1990, le beat’em all ce n’était pas la folie non plus.
Et pour moi ce n’est au fond pas un hasard si des jeux de combat comme « Street Fighter » ont su traverser les âges et pas les beat’em all.
C’est parce que les beat’em all on en a vite fait le tour.
Quand bien même faut-il une certaine habilité pour en venir à bout, ils n’impliquent pas cette renouvelabilité presque infinie que peuvent avoir des jeux de combat ou des jeux de course.
Alors que chaque combat dans « Street Fighter » se démarquera des précédents dans sa manière d’être mené, chaque partie de « Streets of Rage 4 », à force d’être enchainée, ne fera que ressembler sans cesse plus à la partie précédente.


Au fond, c’est sa nature profonde de beat’em all qui fait qu’on oubliera plus facilement « Streets of Rage 4 » que n’importe quel autre jeu.
Et c’est ce qui me fait dire que, quoi qu’ils aient pu en faire chez Sega, ce titre était de toute façon destiné à n’être qu’un plaisir extrêmement fugace… Celui d’une simple bouffée de nostalgie.
Seulement voilà, malgré ça, ça n’en retire pas moi le mérite qu’a ce jeu d’exister.
Quand bien même le plaisir fut bref, quand bien même ses ressorts se révèlent essentiellement nostalgiques, il y a bien eu – à un moment donné – du plaisir.
Et si j’attribue une note simple médiane à ce jeu par pure esprit d’honnêteté et de logique, malgré tout je dois bien avouer que dès que je repense à ce « Streets of Rage 4 » je repense à ce sourire béat que j’ai eu quand j’ai lancé une partie.
Ces quelques notes de synthé. Cette esthétique rétro. Ça m’a fait ma journée et plus que ça encore.
Donc limite, rien que pour ça, rien que pour l’Histoire, rien que pour le fantasme, merci Sega pour ce petit coup de malice…

lhomme-grenouille
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le 4 août 2020

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