Avant même de l'acheter, j'avoue m'être pas mal méfié de ce jeu tout simplement car il a été hypé par des gens ne l'achetant pas ou le qualifiant de "poétique". Or, le terme "poétique" dans le milieu du gaming désigne la plupart du temps des jeux sans aucun fond narratif, juste chiants mais avec des graphismes pastels (condition suffisante pour parler de poésie et de "superbe direction artistique")...certainement pas "poétiques" (adjectif d'ailleurs de plus en plus massacré d'un point de vue sémantique au fil du temps).
Ceci étant dit, j'ai quand même fini apr l'acheter, profitant d'une promotion acceptable et me rappelant qu'ICO et surtout SOTC étaient de bonnes expériences. Et au final, après avoir fini ce jeu hier à 3 heures du matin poussé par ma copine (qui a d'ailleurs versé une larme) je peux le dire : The Last Guardian a presque exactement les mêmes qualités et défauts des jeux précédents, surtout d'ICO auquel il ressemble beaucoup (dans l'idée, cela ressemble même à une vraie suite).
Pour être plus précis, The Last Guardian est - comme ses prédécesseurs - un jeu d'un côté aux mécanismes recherchés mais bancals dans leur mise en oeuvre, de l'autre une oeuvre à l'empreinte particulière et captivante.
Sur le fond, il n'y a de fait pas grand chose à dire de négatif. Le titre propose la même ambiance mystérieuse qui alterne entre les moments calmes et les explosions d'action spectaculaires. Se retrouver dehors dans une espèce de jardin naturel après une course effrénée sur un pont qui s'écroule poursuivis par des javelots des défenseurs des lieux est une caractéristique essentielle de The Last Guardian qui ludiquement est d'ailleurs un jeu (d'action-)plateforme/aventure au sens réel (chaque genre est représenté concrètement).
Le scénario quant à lui a réussi de mon point de vue à bien se positionner entre narration évasive propice au mystère et à l'interprétation et fourniture d'informations claires (la voix off et les rares mais longues cinématiques aidant). Sans révéler les moments clés du jeu, comme dans ICO et SoTC, les questions sont qui se posent sont relatives à l'identité des personnages, des lieux et à la signification de la partie ésotérique du titre. Les événements de la fin à ce regard sont vraiment menés avec une simplicité et une efficacité maîtrisées et délicates.
La relation entre Trico et le personnage est également menée avec un certain réalisme dans le rapport animal (domestique) - humain. Le souci de l'animation et l'emploi de scènes par forcément épiques renforce le côté "humain" de la relation et crée bien un attachement.
Sur la partie mise en oeuvre artistique, le travail sonore est encore une fois magistral aussi bien dans la qualité des musiques en elles-mêmes que dans leur modulation (moment de lancement, gradation volumétrique, ... utilisation des silences !). Les jeux d'Ueda sont clairement pour moi des références à ce niveau...sans soute il y a des jeux du même niveau mais aucun ne me vient à l'esprit sur ce plan !
Visuellement, le jeu fait "PS3" au niveau technique mais est magnifique comme ICO.
La mise en scène enfin est aussi de grande qualité, presque cinématographique et en tous cas largement au-dessus de jeux PS4 qui pourtant sont achetés pour leur aspect "spectaculaire" (au hasard le très chiant Uncharted 4 qui est en plus bidon au niveau ludique et scénaristique). Le gigantisme de la bête d'ailleurs bien animée favorise évidemment cette impression.
Mais pourquoi The Last Guardian ne laisse donc-t-il pas un vrai sentiment d'avoir joué à chef d'oeuvre ?
Tout simplement parce qu'il a deux défauts majeurs :
- il n'a pas compris que rallonger le temps de jeu artificiellement est rarement une bonne idée
- son gameplay alterne entre le moyen et le quasi-détestable
Premièrement, le jeu en fait souvent trop, deux fois trop pour être exact. Trop de passages qui se ressemblent, trop de semi-cinématiques qui traînent en longueur pour rien (du genre observer Trico bouger...au début faire traîner permet de servir la philosophie du jeu...ensuite au bout d'une minute on sort de l'expérience et on se rend compte qu'on est en phase d'un jeu mal fichu), trop de phases de jeux pas terribles répétées...trop quoi !
Ludiquement en réalité le problème provient du fait que le vrai contenu différent est assez mince : un seul ennemi (bon allez deux), toujours les mêmes obstacles (les vitraux, les parfums, ...), toujours les mêmes actions (limitées par Trico et le personnage principal qui perd même une faculté de gameplay presque au début du jeu pour la retrouver bien plus tard). Dans un jeu qui propose une vraie variété de lieux, ça passe, mais là globalement il n'y a pas de background scénaristique dans les lieux et la paisibilité du jeu (qui est sa principale alliée en temps normal) devient sa pire ennemie. Du coup, le jeu est trop long pour son contenu qui est même parfois horrible (les combats contre les statues sont aussi chiant que ceux d'ICO, SOTC puisait sa supériorité dans la variété induite par les colosses). Je veux dire : j'achète un jeu non pas pour sa longueur mais pour ce qu'il propose, je ne vais pas le défoncer parce qu'il dure 8 heures s'il a tout dit dans cet intervalle, le remplissage est le pire cancer d'un bon projet. Heureusement, le jeu est sauvé du carnage par le rythme scénaristique pas si lent que cela et quelques "puzzles" vraiment cool.
Deuxièmement, j'en ai déjà un peu parlé, le gameplay accuse des raideurs et comportements frustrants pour un résultat pas si profond que cela malgré les ambitions. Les sauts et positionnements sur des objets (par exemple les cordes) sont parfois laborieux car le stick se comporte de façon incohérente par rapport à ce qui est montré par la caméra, Trico de temps en temps est extrêmement capricieux et lent à la détente (OK c'est "réaliste" mais on pourrait le rester tout en tenant compte du fait que l'on joeu à un JV...Surtout quand on répète ces actions des dizaines de fois...) jusqu’à parfois avoir envie de se taper la tête contre les murs (les ordres par exemple sont très mystérieux). Et bien sûr les combats.
Au final, Trico reste tout de même une expérience assez proche d'un sens acceptable du mot "poétique" avec sa narration entre le tacite et l'explicite, sa mise en oeuvre artistique frôlant souvent la maîtrise totale et son histoire qui laisse une véritable empreinte. Très reconnaissable, The Last Guardian est complètement dans la veine d'ICO. A ce titre, il ne décevra que ceux qui voulaient ressentir deux générations d'écart mais pas ceux qui voulaient jouer à un jeu Ueda sans actualisation. ICO pourrait même se décrire comme un "ICO 2" dans l'esprit général (aussi bien en termes de gameplay que de style d'ambiance/de personnages/de lieux/d'histoire). Tout était réuni pour produire un jeu qui marquerait le joueur de façon indélébile si les développeurs n'avaient pas mis tout en oeuvre pour diluer leur propos dans un gameplay ambitieux mais bancal et dans des longueurs terribles. Je luis mets un (moyen) 8 car c’est bien une expérience unique au fond et à la réalisation artistique formidable mais pas plus car au delà de cela le coeur de l'expérience (si l'on retire la fin et le début) est souvent trop lourd...trop !