Les motivations de Ganon, même après l’avoir vaincu dans toutes sortes de circonstances, restent pour moi assez floues. Je ne les comprends pas. Et ce n’est pas faute d’avoir tenté ! Si j’étais d’ailleurs un peu plus libre de mes mouvements, j’aurais peut-être déjà essayé de briser le cercle de la violence en cherchant à entamer le dialogue. À la fin de Twilight Princess peut-être. L’occasion s’y prêtait : une grande plaine, un coucher de soleil, un monde en folie qui, j’en suis sûr, mettait mon ennemi en souffrance lui aussi. Mais non, ça s’est terminé en combat à l’épée (à dos de cheval par contre, ça c’était fun) et Ganon a fini par dérouiller.
Dans cet épisode, je suis bien plus libre. On m'a dit très vite, au bout de trois ou quatre escapades pas bien longues, que j'étais autorisé à y aller directement. Tout droit. En slip même si je voulais, et un bâton de bois à la main. J'ai testé j'avoue. Et j'ai très vite mouru. Alors depuis j'accumule des trucs, des pouvoirs et des objets (y'en a pleins!!!), et de l'endurance (indispensable, mais t'en as jamais assez), et des compagnons (qui m'infligent tout un tas d'épreuves pour m'offrir l'objet qui m'aidera à sauver leur joli monde... non mais sérieux, c'est que des vieux et des fantômes). Au final je suis tellement balèze que je culpabilise presque d'aller le dérouiller l'autre taré.
Mais j'irai le défoncer un jour, quand j'aurai bien tout explorer ce monde incroyable une bonne dizaine de fois (vu la taille de la carte je suis pas rendu, j'ai mesuré ça fais 360 km²... grand comme trois Paris). Mais j'irai, sur la fin, et ça se passera comme d'hab... Ni lui ni moi ne nous formalisons jamais véritablement de la manière dont ça se règle. Je ne prends personnellement qu’un plaisir réflexe à le renvoyer dans les ténèbres carcérales. Et lui, Ganon, mon ennemi éternel, semble avoir bien compris l’aspect cyclique de nos conflits. Je trouve qu’il accepte d’ailleurs de plus en plus docilement son destin de créature vaincue (à moins que ce soit moi qui soit de plus en plus doué à le défaire sans scrupules), et qu’il a de plus en plus tendance à me parler du fait que la prochaine fois sera la bonne, plutôt que de se concentrer sur l’instant présent et d’exprimer sa souffrance physique, ou sa frustration de perdre.
Toujours plus gros le Ganon. Toujours plus méchant. Toujours plus classe aussi. Toujours plus beau faut l'avouer (j'aime son style un peu Ghibli cette fois-ci, avec le gros nez de cochon qui gigote. Il l'avait déjà avant, mais là putain graphiquement ça envoie!... Ça lui donne à la fois l'air méchant et ridicule). Et toujours plus déterminé à mourir pour renaître encore plus turbulent.
Mais la prochaine sera la bonne pour quoi ? Si un monstre immortel me dit en sombrant dans les limbes que la prochaine fois sera la pire, je serais tenté de calmer un peu le jeu pour lui poser deux trois questions. Surtout s’il s’avère effectivement qu’il revient à chaque fois. Je dirais à toutes les forces en présence (Zelda, le roi, les sages, les héros antiques, les créatures divines, les orcs, les fées, les BOSS… peu importe, tout le monde) de faire un temps mort, genre «Hop ! Hop ! Hop ! On arrête tout ! Il a dit un truc cheloud là ! ». Histoire de voir si je peux me préparer un minimum, et surtout voir si on peut, d’une quelconque manière, arranger le problème à la source. Pour amortir « la prochaine fois ». Pour peut-être éviter de trop prendre physiquement à partie, et les habitants d’Hyrule, et les sous-fifres du gros balourd.
Je m'attends pas à ce que l'on fasse une ronde non plus. Je voudrais juste comprendre un peu mieux Ganon. Comprendre quelles sont les raisons qui le motivent à toujours tout casser sans vraiment, mais alors vraiment, aucune raisons apparentes. Quels sont ses non-raisons ? Sont-elles politiques, religieuses, puériles, psychiatriques… ?
Au cinéma, ces questions sont régulièrement balayées du revers de la main selon un principe appelé le McGuffin. À la base, c'est un objet prétexte, dont le seul intérêt narratif est de déclencher l'intrigue. Typiquement, le Saint Graal. Peu importe ce que c'est, ça crée plein d'aventures et c'est cool. Mais par extension, le sage Wikipédia nous dit :
« le McGuffin n’est pas toujours un objet, il peut aussi s’agir d’un secret qui motive les méchants et qui est de peu d’intérêt pour le spectateur, car celui-ci ne doute pas que les méchants ont d’excellentes raisons de mettre le protagoniste dans l’embarras ».
Le moins célèbre mais néanmoins talentueux Hitchcock explique ainsi que « dans les histoires de voleurs c’est presque toujours le collier, et dans les histoires d’espionnage, c’est fatalement le document ». Pour Ganon ce serait quoi du coup ? La Triforce ? Mais pour quoi faire ensuite ? Et je me rends soudainement compte qu’il y a beaucoup de Méchants célèbres que je ne comprends pas. Quelles sont par exemple les réelles motivations de l’Empire dans Star Wars ? Contrôler la galaxie ? Mais pour quoi faire ? Une dictature robotico-communistes ? Un néolibéralisme infini qui finirait par se bouffer lui-même comme un trou noir un peu trop gavé ? Un monde où chaque Sith a sa propre planète avec des gens dessus et où il en fait ce qu'il veut ?... Je pense que Palpatine mériterait de clarifier un petit peu son programme... peut-être même que les épisodes de Star Wars finiraient par ne pas se répéter les uns les autres.
Il y a peut-être un truc à chercher dans l’idée que le côté obscur de la force, sorte de puissance latente inexploitable pour le bien général car nocive par nature, rend folle de pouvoir les personnes qui la possèdent… mais, si on en revient à Zelda (quand même), pourquoi la force rendrait-elle plus méchant que le courage ? Ou même que la sagesse ?... Hitchcock, là-dessus, ne se prononce pas (enfin pas à ma connaissance).
Comprenez-moi bien, je ne lui en veux pas. Hitchcock n’y est pour rien dans cette terrible histoire. C’est un procédé cinématographique qu’il a identifié, et c’était malin. Les McGuffin ont toutes les "bonnes" raisons d’animer les personnages de fictions. Parce que je me rend compte que, dans les fictions, le plaisir n’est pas forcément dans la fin, pas dans la morale, l'éthique ou la résolution, mais dans l’aventure, dans le plaisir ou le profit instantané. Dans l’action en fait. Les prétextes à l’aventure, les McGuffins, dans les jeux comme Zelda, sont légions... (le premier dans BOTW étant probablement la beauté des paysages, on a toujours envie d'aller plus loin (et le truc ici c'est qu'on peut!) même si c'est pas la route)
Hitchcock, plus ou moins à l’origine du concept, se moquait des personnes critiquant les McGuffins dans ses films, ces personnes taxant ses films d’invraisemblance. Hitchcock expliquait ainsi que les films sont des spectacles en soi et non une copie conforme de la réalité. Il a un jour ainsi raconté à un certain François Truffaut, un ami à lui amoureux du cinéma et des champignons, l’anecdote suivante :
Deux voyageurs se trouvent dans un train allant de Londres à
Édimbourg. L'un dit à l'autre : « Excusez-moi, monsieur, mais
qu'est-ce que ce paquet à l'aspect bizarre que vous avez placé dans le
filet au-dessus de votre tête ? — Ah ça, c'est un MacGuffin. —
Qu'est-ce que c'est un MacGuffin ? — Eh bien, c'est un appareil pour
attraper les lions dans les montagnes d'Écosse — Mais il n'y a pas de
lions dans les montagnes d'Écosse. — Dans ce cas, ce n'est pas un
MacGuffin ».
Le McGuffin est performatif. Il n’existe que si l’on y croit.… Bon, je dois vous laisser. Ganon est en train de faire couler de la lave autour du château. Je sens que ça va encore être compliqué de discuter….