Les portes grandes ouvertes d'un univers dont il reste encore à franchir le seuil.

Un monde ouvert, ce fut le rêve doux-dingue de bien des joueurs de cette licence. Et le pari fou de Nintendo qui, en 2015, prit - enfin... - la mesure de cette prétention. On connait tous le résultat de cette prise de conscience tardive de la firme : le jeu ne verrait finalement le jour que deux ans plus tard, au crépuscule de la Wii U. La pression est aussi énorme que le risque pris, c'est du quitte ou double : ce délai presque indécent agace ostensiblement les joueurs qui savent pertinemment que la console de salon, sur laquelle n'est sorti aucun épisode canonique, est entrée en fin de vie.


Je n'ai pas voulu rédiger à la hâte une critique qui ne me permettrait pas de prendre la mesure du résultat de cette course contre la montre, de ce coup de poker mollement teasé au cours des mois qui ont suivi l'annonce de l'E3 2015. Et je n'ai pas non plus voulu me laisser emporter par la hype monumentale que la simple association de ces trois mots dans la même phrase ("monde ouvert" et "Zelda") peut provoquer chez l'inconditionnelle de la licence que je suis.


Alors me voilà, quelques mois, un jeu et quelques DLC plus tard, à vous délivrer une critique nuancée.


"Barman, un monde ouvert, s'iouplait !"
Ce Zelda est pour au moins deux générations de joueurs (la mienne et la précédente) une grosse claque. C'est Ocarina of Time qui a le premier offert un univers en 3D temps réel, un monde dans lequel on réussissait à se perdre (oui, aujourd'hui, ça parait tristement ridicule, mais les vrais savent). Avec cet apport est venu le désir de repousser les limites de cet univers : qu'y a-t-il derrière cette montagne, ce mur, cette forêt...? Nintendo a créé la soif d'un monde vaste qu'aucune console (surtout pas les siennes...) n'était capable de rendre.


Breath of the Wild est arrivé non seulement avec la prétention d'afficher un monde totalement ouvert en 3D temps réel sans aucun temps de chargement (ce qui est encore aujourd'hui tout bonnement hallucinant), mais avait l'audace de le faire sur la map la plus grande jamais dessinée dans un jeu vidéo.


De fait, le jeu a bel et bien tenu son cahier des charges, mettant littéralement la Wii U à genoux (quelques mois et quelques mises à jours d'optimisation plus tard, elle s'en sort très convenablement).


"Vous reprendrez bien un peu de DA ?"
On rappellera brièvement ici que - en gros... - deux teams s'affrontent sur ce qu'il est question de privilégier dans un monde ouvert : la direction artistique ou le contenu. Nintendo a sans surprise opté pour une direction artistique à se damner (le jeu est tout simplement magnifique), puisqu'il s'agit là ni plus ni moins de son point fort. On sait en outre qu'Aonuma a toujours eu à coeur de privilégier l'aspect contemplatif de ses univers, ce Zelda s'inscrit donc tout naturellement dans cette tendance.


"J'irai faire un tour du côté de chez vous."
Que l'on soit de l'une ou de l'autre des écoles, le monde ouvert a toujours pour prétention d'apporter une dimension d'exploration très marquée au joueur. Mission accomplie : Link sort de son sanctuaire, (presque) catapulté dans un monde dont il n'a aucun souvenir, et démerde-toi.


Le parti a été pris de fournir au joueur les objets principaux de l'inventaire dès la zone "tutoriel" terminée. Efficace : en une heure, l'intégralité du monde est à vous, avec pour seules limites votre endurance et la météo. Libre à vous d'aller chatouiller le boss de fin en touriste en vous rendant directement au château d'Hyrule... sans Excalibur.


On saluera les quelques bonnes idées : le choix d'un grand nombre de consommables dans l'inventaire (un tournant déjà opéré franchement par Skyward Sword), la cuisine, les différentes tenues, une grande variété d'armes et de protections, une véritable réflexion sur l'interaction du joueur avec son environnement, j'en passe.


On pourra éventuellement déplorer un affaiblissement de la dimension épique de la licence : rien ne vous fera réellement suer (sans parler des DLC), vous ne sortirez vainqueur d'aucun combat dans lequel le héros aura mis force et courage à l'épreuve... Tout au plus la répétition parfois pénible des énigmes des sanctuaires vous fera perdre patience. Et le combat de fin, hé bien... Je vous en laisse juge.


J'ai personnellement manqué de bonnes idées qui auraient pu être poussées jusqu'au bout : permettre à Link de s'asseoir, voire de bivouaquer près de son feu, de se fabriquer des flèches ou de faire reforger certaines armes n'auraient à mon sens pas été de trop et auraient, je crois, renforcé ce sentiment de débrouille de l'explorateur qui fait avec ce qu'il a.


Du reste, tout est fait pour vous faire apprécier le décor, du travail incroyable opéré sur les lumières à la bande son, très discrète, qui se cache volontiers derrière le son de la brise. Un délice.


Maintenant que les portes sont grandes ouvertes, il faut franchir le seuil.
Inspiré du savoir faire des développeurs de Xenoblade, BotW puise de la bonne idée un peu partout, mais sans jamais vraiment parvenir à se positionner clairement, à aller au bout des choses.


D'un Shadow of the Colossus, il s'empare de ce parti pris d'une direction artisitque très marquée sans pour autant parvenir à en tirer des décors réellement immersifs. À la manière d'un Skyrim, il choisit de placer la trame principale en retrait de l'exploration sans pour autant parvenir à proposer au joueur un contenu alternatif suffisamment étoffé.


Car c'est bien là qu'il pêche, là où tout Zelda a toujours pêché : le contenu est trop faible pour un monde ouvert, et ce choix n'est pas totalement assumé (contrairement à un SotC). Trop peu de quêtes secondaires (pour un monde ouvert), dont une trop grande partie reste parfaitement anecdotique : si la trame principale est volontairement mise en retrait de l'exploration, le contenu secondaire ne permet jamais vraiment au joueur d'en dériver réellement (contrairement à un Skyrim ; on se souvient tous de ce moment où on a abandonné l'idée de sauver le monde pour devenir maître de la guilde des voleurs). On reste donc inévitablement bloqué entre une quête principale trop effacée et un contenu secondaire trop pauvre.


Monde dévasté, Hyrule accuse une désertification monotone de ses terres : le story telling du jeu a habilement permis aux développeurs de contourner une des questions sur lesquelles ils ont toujours été hautement attendus par les joueurs : la Citadelle d'Hyrule et son château, qui échappent donc encore et toujours à l'exploration gourmande des joueurs (la chose avait été timidement osée par Twilight Princess).


Le monde est vaste et s'il y a beaucoup à voir, il y a encore trop peu à y faire (un écueil dans lequel, monde ouvert ou pas, la firme continue systématiquement de tomber).


Des promesses, des promesses...
En somme, Nintendo n'en est qu'à ses balbutiements en ce qui concerne les mondes ouverts. Aux portes d'un univers qui s'ouvre à eux (et à nous), au formidable potentiel, il leur reste encore à en franchir le seuil à et se saisir de ses richesses.


J'apprécie toujours autant l'humour des développeurs, comme j'apprécie le soin tout particulier apporté au noyau dur des fans de la série au travers de toute une série de superbes références aux anciens opus.


Mais Nintendo peut mieux faire, je le sais, et ce Zelda en est pour moi la promesse.

Camiille
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le 10 déc. 2017

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Camiille

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