Je me souviens de l'instant où j'eus terminé ce jeu. J'avais dix ans, cela faisait près de trois ans que j'étais dessus, depuis ce fameux soir de Noël où je reçus ma fameuse Game Boy grise, accompagnée de trois jeux, les vites oubliés NBA Jam et Soccer, et donc ce fameux Zelda. Bon, à sept ans, j'étais plutôt attiré par ces jeux de sports faciles et divertissants qu'à cette quête bizarre faite d'épées, de monstres, de cavernes et de hiboux qui parlent. J'y jouais de temps en temps mais lorsque je fus lasser de finir toujours ce même championnat de Foot et que ma cartouche de Basket m'eût lâchée, je décidai enfin de m'atteler plus sérieusement à la tâche, déjouant les pièges et énigmes des deux premiers donjons, battant les deux premiers boss, récupérant les instruments et ramenant le toutou à sa maîtresse... mais voilà, dès cet instant, je fus bloqué dans le jeu... Je ne sus plus où aller. Je n'aurais jamais pu penser à l'époque qu'il suffisait de « troquer » pour avancer, surtout dans un jeu vidéo. Alors je perdis mon temps à essayer de soulever avec mon bracelet les éléments du décor, à tenter des sauts périlleux en vain avec ma plume, recommencer plusieurs fois le jeu à zéro, à parler à tout le monde, explorer les moindres recoins possibles et à rêver de ce qui m'attendait derrière ces obstacles où la vie semblait grouiller... sans remarquer que peu à peu, je m'habituais à cet univers devenu familier, à cette sorcière qui me concoctait sa potion, à cette fée qui me régénérait, à ce vendeur que je volais, ces enfants qui jouaient, ces parties de pêche, ces monstres et ces poules que je torturai, ces paysages et ces thèmes 8 bits, le chant de Marine... Aaaahhh... Marine...
Les trimestres passèrent, je reçus Pokemon Rouge et eus même le temps de le finir plusieurs fois avant de trouver une solution pour Link Awakening... une solution qui prit la forme d'une Soluce trouvée pour pas chère lors d'une foire aux disques et aux livres. Je ne me souviens plus si je suis allé jusqu'à une crise de larmes mais je suppliai ma mère de me le prendre... elle finit par me céder et je pus enfin reprendre ma quête ! Et... c'était ce PUTAIN DE YOSHI la clef de toutes mes errances ! Je passai encore des semaines et des semaines sur le jeu, m'aidant de mon bouquin dès que je restai bloquer trop longtemps, et il m'en ait arrivé des choses ! J'appris à courir, à nager, à me servir d'un arc, à jouer des instruments avec des animaux tout en récupérant coquillages et fragments de cœur. Je me battais contre toutes sortes de monstres bizarres, à un œil, à plusieurs, un vautour, des poissons, des araignées, des vers, des squelettes, des spectres... Je me fis de nouveaux amis ; un ours qui voulait du miel, un singe, un fantôme, des grenouilles, d'autres poissons... Puis à la plage, avec Marine... oui... on aurait pu s'embrasser mais le moment était finalement encore plus beau, plus fort que ça ! Puis... puis peu à peu, on se questionne sur ce poisson-rêve, sur cette réalité ou cette illusion que l'on est en train de vivre, ce dessin dans la caverne, cet œuf géant au sommet de la map avec ce thème épique... L'œuf qui s'ouvre, un labyrinthe, le combat final, épique, puis le discours du hibou, du poisson-rêve...
"Mais le rêve a toujours une fin. C'est le destin. Quand je m'éveillerais, Cocolint disparaîtra... Or le souvenir ce cette île doit rester dans nos coeurs en tant que réalité. Toi aussi un jour, tu te souviendras. Ce souvenir doit rester réel dans un monde de rêves... Viens Link, éveillons-nous ensemble" !
Lorsque le générique eut terminé de défiler donc, je lâchai ma Game Boy, m'en écartai en rampant, me recroquevillai dans un coin de ma chambre... et pleurai... pleurai un long moment en regardant de loin ma console par terre... Non ! Vous ne pouvez pas faire ça ! Faire disparaître tout un univers, tout MON monde d'un claquement de doigt ! Ces enfants qui jouaient à la balle, ces montres qui me lâchaient un rubis ou un cœur (oui, tu regrettes même tes cauchemars quand tu grandis) et... Marine ! Non pas Marine ! Bordel ! Ça aura été mon premier Amour, sûrement aussi celui de pleins d'autres enfants... ce moment à la plage... sa mélodie... et directement, vous nous castrez ! Si j'avais su ce qui arriverait en réveillant le Poisson-rêve, je ne l'aurais pas fait ! Finalement, c'est un de ces mondes dans lequel on aurait aimé vivre pour l'éternité... dans lequel beaucoup demanderont à être projeté quand la technologie nous le permettra. D'ailleurs, le jeu nous laisse choisir, la dernière sauvegarde nous ramenant toujours avant le boss final, l'exploration peut alors continuer, mais elle n'a plus la même saveur... On sait que tout ça, c'est pour de faux. On le savait déjà de toute façon ! Ce n'est qu'un jeu !Un jeu dont la fin nous pose cette éternelle question de frontière entre rêve et réalité. Mes pleurs laissèrent place à ma première grande médidation. Ça a aussi été pour moi le symbole de la fin de l'enfance, la fin de cette illusion où tout semblait plus magique, merveilleux, possible, la fin d'un terrain de jeu et d'exploration à l'allure d'une map, la fin de l'innocence, le début de la prise de conscience... Quelques semaines plus tard, mes parents se séparèrent, juste avant mon entrée au collège, mon entrée dans l'adolescence. Good Bye Yellow Brick Road !
Avec le temps, je ne m'en suis toujours pas remis. A chaque fois que je retombe sur la musique de ce jeu, j'en ai les larmes aux yeux. D'autant plus qu'un malin en a fait récemment une version orchestrale très réussie, ce qui m'a replongé dans pleins de souvenirs. Qui aurait pu penser qu'une BO 8 bits pouvait provoquer tant d'émotions, qu'un jeu pouvait nous marquer ainsi à vie ? Il y a encore tout un tas de recherches à faire là-dessus, autant d'un point de vue philosophique que psychologique ; le jeu vidéo demande une capacité d'attention et d'immersion plus longue que la plupart des autres arts et a par conséquent des effets d'ordres moraux et émotionnels plus importants sur nous. Et c'est sans doute pour cela que je ne joue plus, (enfin si, de temps à temps, un Rayman, un Hitman par ci, un jeu de stratégie ou de gestion par là) c'est pour cela que je ne suis pas un gamer : le temps. J'ai déjà beaucoup à faire avec la Musique et le Cinéma et je sais que jamais je ne pourrai m'investir autant que je me suis investi dans ce Link's Awakening, jamais je ne pourrai vivre un autre jeu de la façon dont j'ai vécu celui-là. Et j'ai pu lire dans de nombreux forums que je ne suis pas le seul à avoir été à ce point bouleversé par ce Zelda, la mélancolie est directement ancrée dans son écriture, il faudrait lui consacrer aussi, rien qu'à lui, toute une étude si ça n'a pas déjà été fait. Je ne peux pas être complet avec ce simple article. Néanmoins, je doute qu'un nouveau joueur puisse être touché de la même manière que les joueurs l'ayant découverts durant leur enfance, c'est un jeu dont la lecture s'appréhende différemment avec l'âge.
En tout cas, il a façonné cet adulte rêveur que je suis. Depuis cette expérience, je suis encore et toujours à la recherche et à la poursuite du Poisson-Rêve, les yeux guettant dans les étoiles une éventuelle retrouvaille avec Marine.
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