A Glorious Bastard : Idéologie de la couleur dans The Saboteur

Dans la nuit d’un Paris sous occupation nazie l’irlandais Sean Devlin, cigarette aux lèvres, dépose une bombe au pied d’une citerne d’essence. Alors qu’il s’enfuit à bord d’une voiture volée à la Wehrmacht, une explosion gigantesque illumine la ville et les rues en noir et blanc retrouvent leurs couleurs. C’est une des mécaniques principales de The Saboteur, jeu développé par Pandemic Studios et édité par Electronic Arts en 2009 : le libération de zones.


Plus qu’une réflexion esthétique (comme ce peut être le cas dans les Sin City de Frank Miller), The
Saboteur utilise le contraste entre le noir et blanc et la couleur pour valoriser les actes de résistance
suivant le modèle de l’art idéologique. Assumant pleinement son côté Pulp, le jeu met en scène des
nazis d’opérette qui pourraient sortir tout droit des Aventuriers de l’Arche Perdue . Savants machiavéliques, rires sardoniques, super-soldats, grandes blondes en uniforme de cuir moulant, accent très wunderbar … The Saboteur exhibe son traitement stylisé du contexte historique : les nazis sont un mal absolu, fantasmé, un ennemi déshumanisé que l’on peut massacrer sans mauvaise conscience (un peu comme tous ceux dont l’anglais n’est pas la langue maternelle dans un Call of Duty). Le choix du noir et blanc entre donc dans une rhétorique joyeusement manichéenne de la résistance à l’occupation.


Le joueur débute dans un cabaret de Montmartre. Les couleurs y sont chaleureuses, accompagnées
d’un léger flou et d’une musique suave. Dès qu’il franchit la porte, le voici dans une rue sombre, en
nuances de gris, où patrouillent les troupes allemandes. Le cabaret, foyer de la résistance, est un
refuge face à un extérieur hostile. La disparition des couleurs est d’abord porteuse d’une signification
morale, la perte de liberté et la perte d’espoir sous occupation étrangère. Le noir et blanc fonctionne en ce sens comme une légitimation de la violence exercée par le joueur : le scénario introduit cette esthétique lorsque le meilleur ami du personnage principal est assassiné par les nazis, à la racine du désir de vengeance, et les mécaniques de jeu rendent, par définition, la violence inutile dans une zone déjà libérée. Les jeux de couleurs induisent une relation entre le sujet et son environnement. En zone occupée, le noir et blanc gagne les personnages provenant des lieux libres. Le protagoniste ne peut échapper à la situation dans laquelle il se trouve et entend la nécessité de l’engagement proclamée par Luc, le chef de la résistance. A l’inverse, une zone libérée voit les résistants se multiplier et devient un endroit où sel’inverse, une zone libérée voit les résistants se multiplier et devient un endroit où se réfugier lorsque l’on est poursuivi par les nazis. L’extension des zones en couleur se confond ainsi avec une inversion des rôles : l’occupant redevient un intrus en territoire hostile.


Mais dans la grisaille de l’occupation, quelques couleurs persistent. Le jaune, celui qui parvient des
fenêtres parisiennes, celui des objectifs indiqués au joueur, puis celui des coups de feu et des
explosions, et en face, le rouge des insignes nazies, du sang sur le sol et des sirènes d’alarme. Deux
violences donc, celle, oppressive, appliquée par l’occupant, et celle, libératrice, de Sean, associée à
cette lueur d’espoir qui trouve un écho dans le nom du chef de la résistance (Luc, lux, lumière). La focalisation sur quelques couleurs qu’autorise le noir et blanc permet ici d’accentuer le symbolisme chromatique qui met en valeur la dualité entre le protagoniste et ses ennemis.


Jouant sur les codes de l’art idéologique et des fictions Pulp, The Saboteur se sert du noir et blanc à la fois comme négation des couleurs et, inversement, comme colorisation positive, comme valeur esthétique de contraste et valeur symbolique morale : La stylisation manichéenne du jeu trouve dans le contraste accentué proposé par le noir et blanc les outils d’une représentation en accord avec son propos et légitimant le divertissement Pulp recherché.

blackjack21
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le 31 oct. 2016

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