Le matériel d'un chef d'oeuvre ruiné par son tricot

Difficile de juger ce Silver Case, mon ressenti par rapport au jeu tant son effet est relativement subtil et tant il arrive à la fois à créer une toile sublime pour la détruire après à coup d'explications laborieuses à la japonaise complètement WTF.


Au lancement du jeu, on est littéralement perdu par l'intrigue qui part dans tous les sens (sans doute à dessein d'ailleurs) et qui - surtout - communique beaucoup d'informations dessinant les circonstances de l'aventure et quelques bribes d'enjeux. Trop ? A mon sens oui. Normalement un jeu de ce type arrive à se rattraper au fil de l'aventure en répétant ce qui avait déjà été dit mais ce n'est pas le cas de The Silver Case que j'ai dû rattraper à coups de wiki en cours de partie. Entre les personnages pas si nombreux mais qui changent de visage selon le dessin, les éléments du décor (la ville, ses services, ses instances, ...) , on tombe vite dans le flou artistique...et c'est finalement peut-être ce qui sauve un peu le jeu.


En effet, The SIlver Case sait ménager son mystère, divergeant en premier lieu en plusieurs affaires policières apparemment sans lien saisissable pour enfin nouer les différentes ficelles devant nos yeux dans les derniers chapitres complètement WTF. Sans spoiler, le jeu reprend les thématiques typiques de la fin du 20ème siècle pour mon plus grand plaisir :millenarisme, , gothisme "cyberpunk" (ou emo au choix), technologie+internet, et leur influence sur la société, etc. Amateurs des ambiances et du graphisme de cette époque, vous serez servis.


Sur la base de cet univers , du mystère planant autour du tueur en série Kamui, du phénomène qu'il créé auprès de désaxés et de pseudo-fantastique, le jeu s'aventure sur le terrain de la psychologie (folie, ...) voire de la réflexion sociétale (sens de l'existence dans nos sociétés modernes ~ désenchantement, ...) en passant par des thèmes concrets (globaux : manipulation de l'information, avatar internet du moi, ... ou plus locaux : idols, ...) et le fait plutôt bien grâce à un beau développement de ses personnages et de chaque situation.
Ajoutez à cela le charme "bizarre" de la direction artistique de ce genre d'oeuvres avec ses moments complètement glauques, décalés ou kitsch et vous obtenez un ensemble plutôt immersif et marquant malgré une réalisation minimaliste.


Si la bizarrerie surréaliste du jeu et son côté "artiste" arrivent à créer une ambiance assez exceptionnelle et un mystère dont on veut voir le bout rapidement, on ne peut pas en dire autant des explications qui sont fournies par le jeu et qui arrivent presque à ruiner plusieurs pans de l'aventure. Difficile encore ici de produire un texte fourni sans dévoiler l'intrigue mais disons que le dernier chapitre original du jeu tombe dans le "trop" et j'ai vraiment l'impression que c'est typiquement un travers japonais commun (en tous cas dans ce que l'on reçoit) de vitre dériver dans le grand n'importe quoi. Vous allez me dire : c'est une fiction. Certes, mais une fiction qui part sur des bases assez matures, complexes et proches de la réalité et qui finit sur un truc très gros voire ridicule...décalé quoi. Vous voyez, c'est comme dans un Final Fantasy : tu combats le boss final qui est bien celui que tu as vu dans les cinématiques puis pouf il finit par se transformer en un giga monstre du multivers sans raison apparente, sans aucune cohérence artistique;..sans rien en fait. On n'en est pas à ce stade, mais j'ai trouvé le final maladroit et en même temps plutôt malin sur le point le plus important mais auquel ils ont donné peu de poids final (Kamui).


En résumé, le problème est que le jeu balaie le soupçon de fantastique - pourquoi pas - mais en l'expliquant de façon improbable et sans vraie coloration en regard des thèmes développés dans le jeu...bref.


Pour expliciter mon point, en gros le jeu est divisé en deux lignes parallèles : celle du personnage principal que vous nommez et qui vit les événements, puis celle de Tokio Morishima qui est un journaliste freelance passant le plus clair de son temps à lire ses mails ; cette seconde partie offre une autre perspective sur les affaires et en général remplit les zones d'ombre.


Mais ces zones d'ombre avaient-elles besoin d'être remplies ? Je ne crois pas. Au final, The Silver Case démontre que son réalisateur a de très belles idées et une grande sensibilité en général mais qu'il n'est pas forcément le plus doué quand il s'agit de produire un ensemble narratif classique et linéaire ; en somme, il s'agit davantage d'un "artiste" qu'un "romancier". Et plutôt que d'assumer ce fait, il s'est senti peut-être obligé d'expliciter son oeuvre aux joueurs qui en général rejettent massivement l'"écriture peinture"...grave erreur parce que tout est magnifique durant toute la phase de tricot (jusqu'au chapitre 3 ou 4)..
Au final, cette rationalisation forcée et maladroite empêche The Silver Case de prétendre au statut de chef d'oeuvre en tant qu'oeuvre monolithique ; reste des pans de génie et tout le matériel d'un grand artiste, mais malheureusement la synthèse finit sur une pente plus logarithmique qu'exponentielle...dommage.


PS : je n'ai pas parlé de la jouabilité du jeu à dessein tout simplement car elle est assez minimaliste voire saugrenue. Mais, comme dit le jeu, vous vous y habituerez vite. Je pars du principe que si vous achetez ce genre de jeu vous êtes prêt même à n'avoir aucune interaction du tout, ce n'est pas le cas ici (presque) donc en parler ne sert pas à grand chose.

Foulcher
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le 3 avr. 2018

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Foulcher

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