De la foule de références qu'évoque The Stanley Parable, la première qui vient à l'esprit est une comédie pas très connue avec Will Ferrell, « Stranger than Fiction » (« L'Incroyable destin de Harold Crick » chez nous). Même bande-son, même style visuel, même pitch (à peu de chose près) dans lequel un personnage de fiction tente d'échapper à l'influence d'une voix off envahissante. Ici, le personnage, c'est le joueur, qui a donc le choix d'obéir ou de désobéir à la voix qui résonne dans sa tête, lui commandant de suivre une histoire qu'elle aurait écrit pour lui... Voilà pour la base. Pour le reste, The Stanley Parable évoque autant un film de Richard Kelly que l'œuvre des Monty Python. Le truc à piger, c'est que le jeu n'a aucun sens ; que s'il s'amuse à faire croire le contraire, ce n'est en réalité rien de plus (mais rien de moins) qu'une vaste pantalonnade à l'attention des geeks ayant grandi avec le jeu vidéo. Réalisé avec le vénérable moteur Source, à l'origine simple mod pour Half-Life 2, le jeu fait à vrai dire penser à un autre gros jeu de Valve, Portal. Comme dans ce dernier, on s'y moque de tout et de rien, on fait semblant de questionner le rapport du joueur au virtuel avant de s'engouffrer dans une grosse marrade sans retour brocardant quelques travers du jeu vidéo modernes, parmi lesquels l'illusion du choix.
En gros, le joueur/personnage commence sa partie dans son bureau, où il est « réveillé » par une voix off. A partir de là, il doit avancer, unique mécanique de gameplay du titre (avec l'appui occasionnel sur des boutons) en choisissant d'écouter, ou non, les instructions de la voix. Exemple typique, « Stanley prit la porte de gauche » : libre au joueur d'emprunter celle de gauche, donc, ou celle de droite. La voix et, avec elle, le jeu, réagissent en conséquence : aller n'importe où aura pour conséquence de faire « craquer » la voix, qui se répandra en remontrances, et aussi le système, qui deviendra de plus en plus bizarre, imprévisible. Il y a une quinzaine de fins possibles, de la « normale » obtenue en suivant les instructions de la voix, à la plus folle en lui désobéissant systématiquement, en passant par une variété de nuances aboutissant à des situations particulièrement absurdes (pour certaines difficiles à débusquer). Sans trop en dire, en fonction des désobéissances du joueur, la voix pourra, entre autres, provoquer une explosion, coincer Stanley dans un labyrinthe ou lancer Minecraft (si, si). Il arrivera également à la voix d'être dépassée par le système lui-même qui modifiera son architecture de manière imprévisible jusqu'à perdre joueur et narrateur. C'est très rigolo. Gare toutefois à celui qui commence à chercher un sens dans tout ce fatras : ce serait vain tant le titre, par son côté ouvertement aléatoire, désamorce pas mal de pistes de réflexion, ouvre puis referme à la volée différentes interprétations avec un petit rire ironique.
L'exercice est limité en soi, mais c'est le refus des développeurs à s'imposer des limites (dans celles de leurs moyens techniques, toutefois) qui finit par séduire. Il faut voir The Stanley Parable comme un joujou expérimental et érudit, qui sait comment faire rire et comment étonner. La sauce prendra surtout chez les joueurs aguerris, qui seront les plus à même de comprendre les clins d'œil déversés par paquets de douze au fil des différents parcours possibles. Il suffit d'une heure pour découvrir toutes les fins possibles, certaines évidentes, d'autres vraiment tirées par les cheveux. À certains passages, le jeu se plaît à donner l'illusion d'un mystère plus grand que celui qu'il ne dissimule vraiment, en balançant tout un tas de faux boutons ou en faisant apparaître des inscriptions bizarres, façon catacombes de Portal... mais très vite, on comprend que presque tout n'est qu'esbroufe, crânerie, que les choses sont là où elles sont sans raison particulière. C'est un jeu malin, inconséquent, qui mérite largement le détour pour ses nombreuses trouvailles. Les analystes en herbe pourront se payer une migraine en essayant de déchiffrer ses innombrables faux signaux, spéculer sur son délire pseudo-introspectif qui ferait presque illusion de temps à autre. Allez, avouons quand même que The Stanley Parable est tout de même porteur d'un message derrière son délire geek sans queue ni tête : les jeux vidéo, au fond, c'est juste pour rigoler. On a le droit de ne pas être d'accord, mais difficile de ne pas y adhérer au moins pour la durée du voyage...