En s'attaquant à la célèbre franchise de Kirkman, Telltale Games a osé un triple pari difficile à tenir : remettre au goût du jour la mine quasi tarie du point-and-click, développer une matrice narrative suffisamment riche pour permettre au joueur d'influer sur le cours de l'histoire, et parvenir à rendre l'ambiance dérangeante, déprimante et divertissante aussi intensément que les formats bédé ou série télé. Défi remporté ? En partie. Je m'explique.

D'emblée, il faut saluer l'incroyable travail réalisé par une équipe de designers qui, chacun dans son domaine, a élevé son métier au rang d'art. Le style graphique, les décors, les bruitages et la musique sont a tomber par terre. Plus particulièrement, le character design est d'un tel niveau d'aboutissement que la moindre nuance d'émotion, servie impeccablement par d'excellentes voix de comédiens, est fidèlement rendue et directement interprétable. Le travail de scénographie est tellement léché que la vue à la troisième personne n'entrave à aucun moment une totale implication émotionnelle. Combien de fois ne me suis-je pas surpris à crier "oh nom de dieu", "c'est pas vrai", "noooon" ou à pousser un "ouf" de soulagement ? Impossible de rester indifférent à ce qui se passe, à moins d'être un handicapé émotionnel.

Impossible aussi de parvenir à un tel rendu immersif sans que le genre vidéoludique n'y contribue grandement. Il faut donc l'affirmer : le choix du point-and-click est judicieux. Ce faisant, les développeurs n'ont pas insisté sur la résolution d'énigmes. Très bien vu ! Qui n'a pas connu les heures de frustration à tenter de vaines combinaisons d'objets improbables ? Ici, rien de tout cela. Le risque était trop grand d'accoucher d'une bouse. Au lieu de cela, les quelques objets ramassés ont toujours une utilité intuitive et évidente, ainsi le joueur ne perd jamais son degré d'implication intradiégétique. L'idée est d'enrichir la narration, en incitant le joueur à ne négliger aucun détail avant de poursuivre l'aventure. De ce fait, l'accent est mis essentiellement sur les choix de dialogue, très souvent cruciaux. Pour ajouter au degré de stress, de très nombreux choix sont chronométrés : vous n'avez que quelques secondes pour choisir la bonne réplique, et si vous hésitez trop longtemps, alors le personnage garde le silence ! Ceci est sans aucun doute l'aspect du gameplay le plus impliquant et qui rend ce jeu aussi fascinant. Un gros bémol tout de même : le jeu n'étant pas traduit, il faudra au joueur un solide niveau d'anglais américain pour suivre la conversation (activer les sous-titres est d'ailleurs indispensable). Si ce n'est pas votre cas, alors oubliez The Walking Dead : vous serez largué.

Il reste le point de l'interactivité. A-t-on vraiment la capacité d'influer sur le cours de l'histoire ? C'est malheureusement ici que le bât blesse. Non, ne vous faites pas d'illusion, on n'influe pas vraiment sur le cours de l'histoire. J'ai même envie de dire : pas du tout. Si vous croyez pouvoir avoir le choix de vos compagnons, de vos plans d'actions ou de vos itinéraires, abandonnez tout de suite cette idée : cela n'arrive jamais. Tout juste avez-vous une fois ou deux le choix de sauver un personnage plutôt qu'un autre, ou d'exclure ou de garder un membre du groupe, mais cela n'affecte jamais vraiment le cours des évènements. Le scénario est pratiquement bétonné. Ce que vos choix ont comme conséquence, c'est ce que les autres personnages vont penser du vôtre, donc leur degré de loyauté envers lui. Ainsi, les différences se situeront surtout dans la teneur des dialogues et, vraiment très occasionnellement, dans les offres d'aide.

En tant que vieux joueur du jeu de rôle papier qui déteste être mis sur des rails, je vous avoue que ne pas avoir les mains libres pour faire ce que je veux est quelque chose que je déteste au plus haut point. On est à peine dans l'interaction et, en tout cas, on n'est pas du tout dans le ludique. The Walking Dead n'est donc pas vraiment un jeu. Plutôt une série télé qui vous implique plus que d'habitude. En tant que spectateur, on se dit souvent, à propos du protagoniste : "ah, moi je n'aurais pas dit ça", ou : "là, je me tairais". Eh bien ici, on peut. Voilà, c'est ça : une série télé où on imprime soi-même la personnalité du héros. Mais un jeu ? Non. Clairement pas.
Thengen
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le 28 déc. 2012

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Thengen

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