Cet article se concentrera uniquement sur la campagne solo.

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L’approche d’une nouvelle-génération est toujours un tournant dans l’industrie du jeu vidéo. Les éditeurs annoncent leur tripotée de concepts révolutionnaires, les développeurs gonflent le torse et la presse suit, pour le plus souvent, le mouvement général, en appâtant le joueur à tour de belles formules. Ces temps-ci, il s’agit de démultiplier la sensation de liberté chez le joueur et de pulvériser à coups de marteaux la prétendue barrière entre jeu vidéo et cinéma, à grand renforts de moteurs graphiques qui illuminent la rétine et de propositions de gameplay supposément novatrices. Le fait étant que plus le temps passe, plus la croyance que fondent les développeurs en l’interactivité semble s’effriter. Plus les jeux se vantent de liberté et d’habilité à la narration et à la scénographie, plus leur confiance en le joueur diminue: « Oh regarde cette magnifique cinématique par ici ? Cette course poursuite haletante en ligne droite, elle est cool, non ? Et cette scène de destruction dantesque par là, tu la vois ? Il ne faudrait pas que tu loupes ça, alors on va diminuer le contrôle, d’accord ? Je reviens quand c’est fini, semble gentiment glisser le gameplay au joueur ». Il est une pléthore d’exemples représentatifs de cette démarche – Grand Theft Auto V, si tu m’entends – qui semble prôner la narration pseudo-cinématographique au prix du gameplay. Au milieu de cet écosystème, le roi vieillissant Call of Duty revient inlassablement chaque année, avec ses conflits modernes et ses bouillies explosives parfois impressionnantes mais rarement amusantes à jouer. Cette année, peu de choses ont changé, mais je voulais pourtant parler un peu de cet Advanced Warfare, tant le jeu catalyse – presque – tout ce que cette génération promet en terme de jouabilité et de narration.

Les campagnes dans Call of Duty, on les connaît tous. Ces raids d’une durée parfois indécente qui auront démocratisé pas mal de concepts avariés ayant gangrené la génération PS360: Poussage de stick dramatique, incarnation d’un flingue plus ou moins transparent, spectaculaire ridicule et usé dans des proportions inutiles, scénarios « Faut niquer les russes et les arabes » et autres facéties involontaires et pas si drôles que ça au final. Après tant d’années à dominer les charts consoles – malgré le déclin commercial amorcé avec le second Black Ops -, c’est le studio Sledgehammer Games qui reprend cette année le flambeau. Leur seule expérience de la série, une coopération sur Modern Warfare 3 avec le pire des deux studios de référence de la saga, Infinity Ward, dont la dernière itération, à l’heure actuelle, est l’affreux épisode Ghosts. Pourquoi je réfère Infinity Ward comme (l’évident) modèle du jeune studio ? Tout simplement parce la soupe COD 2014 contient toute l’essence de la branche « Mordern » de la série, tous ses travers, dont nombreux furent de son initiative imposés à tout une génération de shooters. Des errements de game-design, ici exhortés par l’orientation « Advanced » – le futurisme gadget – qu’empreinte désormais la franchise, et probablement pour pas mal d’années à venir.

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1/Smothered eyes

Artificiel. C’est ce mot qui semble aujourd’hui définir la plupart des blockbusters vidéoludiques, dont la course au réalisme et au spectaculaire se voit souvent freinée par leur nature même: De la poudre enjolivée et enjolivante. De la même manière que Watch_Dogs « coolisait » son hacking next-gen pour appâter au détriment de la cohérence, Call of Duty Advanced Warfare base beaucoup de ses concepts sur le dirigisme de son expérience pseudo-futuriste et tous les tours de manche qu’elle impose par la suite. Dans cet univers sans grande personnalité où se côtoient tous les grands éléments de la sci-fi contemporaine – exosquelettes, moto volantes, terrorisme massif -, la traversée du globe est l’occasion d’un énième enchaînement de set-pieces durant lesquels on tire sur à peu près tout ce qui bouge, avec encore moins de distinction qu’avant. Car avec la guerre « avancée » viennent les recours de gameplay et de narration les plus faibles pour justifier l’assistanat des mécaniques, prouver la futurisation d’un univers et s’assurer de maîtriser encore davantage le joueur.

La capacité au brain-washing d’une compagnie se mesure, dirais-je, par sa propension à effacer des évènements de la mémoire collective, et à ainsi réitérer secrètement ce qui a pu être décrié à un certain moment. Activision est déjà passé maître en la matière avec Destiny, alors pas étonnant que l’expérience se renouvelle avec Advanced Warfare. J’ai eu beau fouiller un peu la revue de presse du jeu, il n’est presque jamais fait mention d’un quelconque abus d’assistance – phénomène assez largement décrié par la presse JV, il n’y pas si longtemps -, alors qu’en vérité, Advanced Warfare est en quelque sorte l’apologie même de l’assistanat. Des grenades à tête chercheuse jusqu’aux viseurs d’armes faisant davantage office de scanners ultra-précis, on trouve à peu près tous les ressorts de la SF moderne en matière d’armement automatisé et de d’assistance par la surenchère pyrotechnique. Là où pouvaient pêcher la rythmique – faussement intense – des précédentes campagnes par les niveaux de difficulté supérieurs – les ennemis devenant redoutables et le personnage incarné aussi résistant qu’une coquille d’escargot -, ici, il n’y aura plus à se soucier de grand chose désormais. L’exosquelette, star de la campagne promo et grande nouveauté du titre, offre une meilleure résistance, de multiples moyens défensifs – dont un bouclier anti-émeute rétractable – ainsi que certains moyen offensifs complètement cheatées. Le meilleur exemple demeurant l’Overdrive, mécanique terriblement à la mode, même quand elle n’a aucun sens. Ici, pour une raison inexpliquée, la combinaison EXO offre la possibilité de déclencher un bullet-time – l’Overdrive – durant plus d’une dizaine de secondes, soit largement assez pour descendre une flanquée d’ennemis. Dans un même ordre d’idée, il y a les grenades et notamment leur introduction. Passé le premier chapitre introducteur, pétaradant comme il faut, on est assez bêtement catapulté dans un second chapitre où, après une simulation de VR échouée, il faut repasser par le stand d’entraînement. On apprend donc qu’il existe deux classes de grenades: Les léthales et les non-léthales. Si les secondes sont intégralement présentées (L’habituel flashbang, la grenade détectant les ennemis autour de soi, même derrière les murs, et la grenade EM éliminant les drones), le premier type est pernicieusement éludé pour se limiter à la « smart-grenade », autrement dit une grenade volante à tête chercheuse, capable d’aller dénicher l’ennemi sans que le joueur ait à se préoccuper du lancer. Sauf que durant la campagne, on découvre que l’on peut switcher vers deux autres types de grenades, les « contacts » – s’activant à proximité d’un ennemi – et les « frag », soit les grenades classiques. Il est évident qu’une fois la « smart-grenade » introduite, les deux autres types deviennent inutiles, et, conscients de cet état de fait, les développeurs refusent de les introduire dans leur tutoriel, sans doute afin de s’assurer que le joueur conserve la solution assistée. Logiquement, les lance-grenades du jeux en sont équipés, à ceci près qu’il existe une version de l’explosif totalement autonome et une nécessitant une direction de visée. Visée étant globalement sur-assistée elle-aussi, puisque le viseur de certaines armes affiche clairement les ennemis en rouge fluo et les alliés en bleu. Heureusement d’ailleurs que ces derniers sont différenciés par les viseurs car, en l’absence d’éléments visuels significatifs, il arrive souvent de faire feu sur un allié par accident, sachant que ces derniers portent les mêmes armures grisâtres et ternes que les trois quarts des ennemis.

On passe donc la majeure partie du temps à avancer dans des zones balisées – ou faussement ouvertes – en éliminant les ennemis à l’aide des innombrables gadgets automatiques et machinaux mis à disposition. Superficiellement, Sledgehammer croit renforcer l’intensité de ses affrontements en remplissant chaque zones de jeu d’un nombre déraisonnable d’ennemis – à croire qu’il y a plus de terroristes que de soldats de l’armée américaine – mais c’est à peu près l’inverse qui se produit. Choisir un mode de difficulté bas sera synonyme de surpuissance vis-à-vis des ennemis – sans que cela s’avère jouissif tant tout est automatisé -, tandis que passer dans les modes supérieurs (Hardened et Veteran) fera au contraire ressortir la pauvreté et la vague illisibilité du level-design – en parade, il y a toujours les grenades de détection… -. Les ennemis pullulent, sont plutôt fichtrement résistants et leur confrontation se font davantage ressentir comme un feu fantôme et incompréhensible que comme une fusillade rangée et nerveuse. On meurt souvent, parfois sans que l’on comprenne pourquoi et comment. Et on recommence, souvent deux ou trois fois la même situation de jeu, jusqu’à parvenir au script de mise en scène suivant. Le problème de cette progression pointillée étant qu’elle brise totalement la très légère – et factice – intensité qu’accumulerait autrement les différents chapitres, logiquement construits pour être faits d’une traite, comme un bon shoot d’adrénaline. Et quand bien même on montrerait de l’adresse en jeu, il n’est pas si aisé de progresser au sein des environnements sans expérimenter un amer die’n’retry, morcelant de manière frustrante la continuité de chaque chapitres.

Advanced Warfare ne se donne tout simplement pas les moyens de progressivement construire son rythme au fur et à mesure de ses chapitres, surtout théâtres d’affrontements avant d’être des terrains de narration et de récit. Car ici, le joueur n’existe presque pas, autant dans le gameplay, plaidoyer du non-jeu et de l’assistance, que dans la narration, où Call of Duty continue d’affirmer son statut de simulation de caméra – subjective ou non – sans grandes aspirations.

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2/Absence Warfare

Sledgehammer Games voit donc en le recours futuriste – et la « robotisation » qu’il engendre ici -, une opportunité de perfectionner – artificiellement – la rythmique de son aventure. Il s’agit dès lors d’impressionner le joueur par le spectaculaire immédiat qu’impose une prise par la main aussi automatisée. Call of Duty : Advanced Warfare se résume ainsi la plupart du temps à un tour de manège où explosions scriptées et flous gaussiens « cinématographiques » font office de poudre aux yeux mal dissimulée – notamment en ce concerne la relative aseptisation du nouveau moteur graphique, expressions faciales mises à part.

L’art du script tel qu’il est conçu dans Advanced Warfare – soit une grosse partie de sa narration in-game – a quelque chose d’attrayant et de frustrant à la fois. Malgré l’assemblage inégal des chapitres – certains ne durent pas même dix minutes, avec un potentiel de jeu faible -, le manque d’imagination des situations et les cinématiques camouflées à la première personne qu’impose la plupart des moments vraiment spectaculaires, la potentielle excitation jouissive blockbusteresque pourrait être de mise. De la course-poursuite en exosquelette sur une autoroute nigériane au niveau se déroulant dans la jungle urbaine – littérale – de Detroit, il y a de quoi déclencher de belles séquences de jeu, variées, enrobées dans une scénographie spectaculaire. Sauf si l’on est mouton suiveur plutôt qu’acteur de ces affrontements sur-destructifs, comme toujours dans Call of Duty. Le véritable héros de l’histoire, c’est le soldat au bonnet mis en avant durant la promotion du jeu, Gideon, qui sera finalement le moteur de tous les tournants forts du récit. Par conséquent, les choix des développeurs apparaît comme étrange, car pour la première fois, on nous a aussi bien vanté un antagoniste majeur – Kevin Spacey, grimé en leader caricatural d’une multinationale peu crédible – qu’un héros, énième enveloppe pour le décidément très en vogue Troy Baker. Le soldat Mitchell, que l’on incarne durant l’intégralité de la campagne, est un de ces personnage-coquilles qui font le grand écart entre deux formes de narration, visiblement aussi mal maîtrisées l’une que l’autre. D’un côté, les cinématiques ponctuant les transitions entre chapitres – dont la moitié sont des briefings vidéos camouflés – lui donnent la parole, voire tentent de l’humaniser par de rares lignes de dialogue sortant du contexte opératique et militaire; de l’autre, il s’avère être muet dès lors qu’un niveau démarre in-game et suit silencieusement tous les ordres de ses compagnons de route. En ne participant presque jamais « directement » aux événements majeurs de chaque chapitre. Lors d’une mission de sauvetage, c’est Gideon qui sauve l’otage tandis que Mitchell l’aide; alors qu’une centrale est sur le point de s’effondrer, c’est encore Gideon qui tente le tout pour le tout pour l’empêcher d’imploser quand notre avatar l’aide à peine. Et encore après, lors d’un ride à travers une Detroit en ruine où la nature a repris ses droits, Gideon nous demande de synchroniser notre moto-volante en autopilote, sur son trajet à lui. Encore un moyen d’enlever au joueur le contrôle et de lui donner le rôle de chien en laisse de scripts maladroits et d’une intrigue où l’implication manque cruellement. S’il aurait été salutaire que l’intrigue de ce Call of Duty développe vraiment une petite galerie de personnages annexes iconiques, il était en revanche nécessaire de s’appliquer un minimum en ce qui concerne le prétendu héros, qui prend ici autant de place qu’un soldat fantôme et inexpressif. À la place, en dehors de Gideon, il reste une unique femme soldat, forcément russe et ex-spetnaz, ainsi qu’un lieutenant marines noir-américain, qui meurt héroïquement dans le dernier chapitre – preuve que l’Amérique a encore bien du mal à se dédouaner de son passé esclavagiste et systématise un peu trop la caractérisation de ses personnages noirs comme figure matriarcale et martyr inévitable.

Au final, il y a dans Advanced Warfare, une profonde incompréhension des enjeux du personnage, de l’avatar interactif et surtout de l’importance de placer le joueur au coeur de l’histoire – même s’il est au départ le rookie de quelqu’un, ayant besoin d’apprendre et de progresser. Il manque cet assimilation des nécessités de base à l’immersion dans un récit, aussi simplet soit-il. Le jeu, trop engoncé dans son besoin de maîtriser les patterns du joueur et de lui montrer cette belle explosion sur le pont de San Fransisco, en oublie de lui donner les clés du récit à un moment ou à un autre, de lui montrer qu’il existe dans cet univers, qu’il y est un tant soit peu libre, même s’il ne s’agit que d’une illusion. Chose qui s’avère impossible vu que le gameplay restreint et manipule, allant même jusqu’à retirer secrètement certaines commandes des mains du joueur lorsque le besoin s’en fait ressentir, mais sans toutefois l’en avertir. Dans ces conditions, où le futurisme ne sert que de prétexte à un défilé de mécanique-jouets, difficile de s’immerger dans l’histoire et de s’impliquer ne serait-ce qu’un peu pour les personnages, tant le tout s’avère malheureusement incohérent et prévisible – pas évident, mais bien prévisible, nuance.

Ce problème est finalement le constat croissant et constant de la série Call of Duty, qui veut et tente de faire comme un gros blockbuster hollywoodien, jusqu’à repomper sans aspirations la scène d’ouverture de The Dark Knight Rises. Mais en oubliant qu’on ne fait pas un jeu comme on un réalise un film, en oubliant qu’il existe un monde entre les deux médias, et qu’il serait temps que les développeurs s’en rendent compte.

Un constat qui n’est pas à portée unique, et qui promet malheureusement de se répéter inlassablement sur la génération qui se déroule sous nos yeux.

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D’aucuns me rétorqueront que la licence Call of Duty n’a jamais vanté ses campagnes que comme des divertissements explosifs grand-public, ce qui est totalement vrai, et c’est d’ailleurs ce qu’il faut, sans grand doute, venir rechercher dans l’expérience. Seulement, tout divertissement théorique qu’il est, cet Advanced Warfare ne semble en avoir compris ni les teneurs ni aboutissants. Le divertissement est, par essence, quelque chose capable de détourner l’attention, de s’apprécier parce qu’il fait vagabonder l’esprit l’espace de quelques instants pour offrir, la plupart du temps, une dose d’amusement. Mais à force d’user de codes scénaristiques archi-connus – ici poussés à la caricature involontaire -, d’automatiser ses mécaniques – enlevant tout sentiment d’accomplissement essentiel au Ludique – et de n’impliquer à aucun moment le joueur dans ce qu’il joue et regarde, le constat est sans appel. Call of Duty : Advanced Warfare ne fait que prolonger un enfoncement navrant des mécaniques qui semblent déjà parties pour dominer la génération de jeux se concrétisant ces dernières années, en plus d’être l’exemple parfait de tares de narration qu’il serait désormais impératif de gommer. En cela, la licence continue de s’affirmer comme un fascinant portrait au vitriol des époques qu’elle traverse. Et s’il faut une ultime preuve de cet instantané de toute une génération à venir, qui se dresse en quelques heures à peine, il suffit d’une séquence d’à peine deux minutes pour en rendre compte:

« Press F to pay respect to your lost comrade, nous susurre le jeu lors de l’enterrement qui ouvre le second chapitre. »

This is interactivity. Fuck, this is interactivity.
Liquidson
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le 12 nov. 2014

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Liquidson

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