Catherine
7.5
Catherine

Jeu de Atlus (2011PlayStation 3)

Au nom de quoi un sujet comme l'adultère, qui déchaîne depuis des siècles la littérature, le cinéma ou le théâtre, ne pourrait-il trouver sa place dans un médium comme le jeu vidéo ? Ce loisir numérique serait-il seulement destiné aux plus jeunes ? La présence d'un nombre incalculable d'effusions de sang dans certains million seller pourrait nous faire croire le contraire. Mais, comme nous le répétons sans cesse, violence n'est pas synonyme de maturité. Catherine, le jeu qui nous intéresse aujourd'hui, se démarque par son sujet s'inspirant donc de ce thème éternel qu'est l'adultère. Enfin ! serait-on tenté de dire, quand on voit la profusion de productions traitant du sujet et prenant pour cible le trentenaire désabusé.

Vincent, c'est vous : la trentaine évidemment : un boulot classique mais plaisant et une vie amoureuse rangée... jusqu'au jour où vous rencontrez Catherine, une jeune blonde prête à tout pour poser ses mains sur votre corps. Faible comme vous êtes, la tentation ne dure pas longtemps et, l'alcool aidant, vous tombez entre ses griffes et trompez votre petite amie, Katherine — eh oui, ça ne s'invente pas. Manette en mains, Catherine est un puzzle game saupoudré de séquences sociales où le joueur contrôlera le héros dans un bar ou un restaurant. C'est accoudé au comptoir que vous allez, par l'intermédiaire de textos et autres discussions entre amis, façonner vos relations amoureuses avec Catherine et Katherine.

Le jeu est trompeur à plus d'un titre. Sa jaquette, arborant une demoiselle aguicheuse et un pictogramme PEGI 18, peut d'emblée prêter à confusion. Ajoutez à cet emballage racoleur une campagne de promotion entièrement tournée vers le côté fripon du jeu et vous obtenez une présentation du titre à l'opposé de son contenu. Car non, nous ne sommes pas face à un jeu érotique. Encore une fois, on constate à travers la communication déployée par les éditeurs le manque de maturité du médium, qui doit user d'artifices pour séduire son audience. Catherine est un ovni dans le paysage vidéoludique : non pas pour ses protagonistes un brin dénudés, mais bien pour sa thématique adulte. Pour la première fois, l'adultère est traité avec brio, et même si le jeu multiplie les clichés, les émotions éprouvées sonneront juste. En effet, frustration et culpabilité prendront la place de sentiments plus habituellement éprouvés dans un jeu vidéo. Catherine invite le joueur dans un ascenseur émotionnel pour le moins singulier, aussi bien au sein des phases « sociales » que lors de celles de puzzle. Ce jeu vous renverra à vos expériences personnelles plus que tout autre livre, film ou série. Pourquoi ? Parce que la Team Persona a su faire du support jeu vidéo la plus grande force de son titre. C'est avec maestria que la construction du jeu jongle avec la grammaire du médium et fait de l'interactivité le catalyseur de l'identification du joueur au héros. Contrairement à un jeu comme Heavy Rain, Catherine ne va pas simuler le cinéma pour vous confondre avec Vincent. Un film ou un livre jouent sur l'empathie pour nous émouvoir ; ici ce sont nos décisions qui bâtissent le scénario, les douleurs ne sont donc pas tant partagées avec l'avatar virtuel que ressenties quasi personnellement.

Dans cette expérience les choix vont être cornéliens : résister à des avances pour préserver son couple ou basculer sans retenue dans les plaisirs charnels avec une inconnue. Embourbé jusqu'au cou dans une double relation, Vincent ne parvient pas à trouver de solution. Cette restriction du choix à une alternative est judicieuse et parfaitement mise en scène pour vous placer dans une position sans échappatoire. Pourtant il faudra choisir. Difficile, car au fil des parties l'attirance devient fascination. On a envie de revoir Catherine ; elle devient sympathique et l'on s'y attache. De plus, c'est une véritable allumeuse : elle n'hésite pas à accompagner ses textos de photos coquines, nous promettant bien plus si on la rencontre pour boire un verre. La balance des émotions est très bien régie. Ainsi les développeurs ont-ils pris un malin plaisir à présenter des situations où Katherine (la régulière) nous agace passablement à ne cesser de parler de mariage, d'enfant, etc. Elle incarne le quotidien et les perspectives d'une vie rangée, ce que fuit désespérément le héros. De l'autre côté, Catherine nous aguiche et, quand le baromètre de moralité apparaît pour symboliser la tendance de nos agissements, l'envie irrépressible de flancher et de s'abandonner au piège n'est pas due à cette jauge, contrairement à un Kotor ou à un Fable, où l'on choisit au début une tendance pour son personnage pour s'y tenir tout au long de l'aventure. En effet, dans ces deux exemples et après avoir monté en niveau un personnage avec un profil particulier (et des capacités propres), personne ne souhaite tout gâcher par un revirement soudain. L'affect ressenti est symptomatique d'un jeu vidéo. On s'attache moralement à son avatar pour façonner un héros gentil ou méchant ; manichéen au possible. Tout le temps consacré au jeu (et donc au personnage) ne peut être balayé d'un revers de la main sur une simple décision morale. Jusqu'alors, le surgissement d'une alternative dans un jeu (inFamous, Red Dead Redemption, etc.) ne représentait pour moi que la promesse de pouvoirs différents ou de fins optionnelles, et non un vrai dilemme psychologique. Dans Catherine la notion de choix est plus réaliste, le joueur est constamment dans le doute, et très souvent on hésite à franchir une limite qu'on s'était soi-même imposé. Même si au final, comme pour les autres jeux cités, Catherine n'offre rien de plus qu'une alternative basique. C'est dans l'utilisation de l'interactivité que le titre se montre remarquable, pas dans la résultante des choix du joueur.

Nous venons de le voir, la force de Catherine réside dans sa capacité à nous projeter dans son héros. De ce fait, je pense que cette identification différera pour une joueuse. Les filles ont bien évidemment le même genre de pulsions, mais dans Catherine l'histoire est modelée autour d'un personnage masculin, aux craintes et tentations caractéristiques. L'héroïne eût-elle été une fille que le jeu eût été à mon avis tout autre. Ici, le joueur est interpellé par des photos, une héroïne clichée et des discussions de comptoir tout aussi stéréotypées — rien de bien parlant pour la gent féminine. Est-ce que pour autant Catherine est inintéressant pour les filles : du tout. Elles s'y retrouveront moins, sans aucun doute, mais il sera peut-être amusant d'incarner le sexe opposé, afin d'avoir un aperçu des anxiétés et des déboires masculins. On peut néanmoins être assommé par le dolorisme d'un jeu plus prompt à stigmatiser les hommes qu'à en accompagner l'ivresse. Enfin, je dis ça, mais personnellement j'ai trouvé l'expérience mémorable.
Med
8
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le 7 mars 2012

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Mehdi El Kanafi

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