Child of Light
7
Child of Light

Jeu de Ubisoft Montréal et Ubisoft (2014PlayStation 3)

Un conte de fée pour les grands enfants

Ce dont j’avais principalement peur avant de commencer Child of Light, c’était d’avoir en face de moi un jeu qui se surestimait. Un jeu qui, conscient de sa poésie et de son univers onirique en aurait rajouté des tonnes, un jeu qui ne serait qu’un bel emballage. Bien sûr cette crainte était modérée car dire que j’attendais le jeu aurait été un doux euphémisme. Depuis son annonce Child of Light me faisait de l’œil et croyez-moi après ce voyage en enfance et ce conte de fée mirifique, je crois bien être tombé amoureux bien que je ne pense pas que cette critique reflète tout ce que j'éprouve.


« Aurora est donc une jeune fille qui, un jour, se réveille au beau milieu de nulle part et doit se débrouiller pour rentrer chez elle. Après avoir marché quelques mètres elle rencontra une luciole qui l’aida à obtenir l’épée avec laquelle elle allait se défendre et battre les méchants monstres du royaume de Lemuria ». Si on devait transposer le début de ce jeu en un livre pour enfant, le résultat serait sûrement ainsi. Sauf que là, Child of Light ne nous prend pas pour des idiots, à l’inverse de la plupart des livres pour enfant qui sortent aujourd’hui et qui se lisent tous sur un ton donnant l’impression qu’on raconte l’histoire à des demeurés. CoL (ça sera plus court hein) raconte son histoire en prose et le résultat est des plus surprenants. Autant le dire tout de suite, au début j’étais réticent. En effet le texte semblait forcé et les dialogues en étaient maladroits. Mais plus j’avançais dans le jeu, plus cet aspect m’est devenu familier, comme si cela faisait partie de l’univers en lui-même et d’un seul coup la sensation de gêne s’est estompée, pire j’ai même beaucoup apprécié.


L’histoire de CoL est très simple et les développeurs n’ont pas cherché à la compliquer inutilement. Donc on se plait à croire à cette simplicité à se dire que de toute façon il n’y aura aucune surprise. Et c’est dans ces moments là qu’un retournement de situation, pas très fin évidemment, vient malgré tout surprendre. Mais dans sa narration comme dans sa façon d’amener l’univers, le jeu fait office de conte de fée. Le schéma narratif est celui que vous connaissez tous : situation initiale, élément perturbateur, action, élément de résolution, situation finale. Jamais le jeu ne se détournera de ces règles simples. Pire encore il les adoptera à la lettre renforçant ainsi les premiers mots que l’on entend : « Mon enfant, viens te glisser sous les draps, je vais te conter une histoire ». Ainsi donc la méchante de l'histoire ne se révèle être qu'une étape. Elle est méchante parce qu'elle doit être méchante, il y a certes une raison mais quand bien même il n'y en aurait pas eu cela n'aurait aucunement dérangé.


Mais comme dans tout conte l’héroïne n’est pas seule. Aurora fera des rencontres tout au long de son voyage. Certaines menant à des personnages peu intéressants, d’autres, à des avatars attachants. Tout d’abord il convient de parler d’Aurora et notamment de son caractère que j’ai toujours beaucoup de mal à cerner. Parfois incisif, parfois guilleret, son caractère ne se stabilise qu’au bout de quelques heures de jeu. Ce n’est pas forcément dérangeant vu que c’est encore une fillette qui croit vivre un cauchemar, éveillé en plus, mais c’est vrai que j’ai eu du mal à complètement adhérer à ce personnage, ce qui est désormais chose faite. Comme je le disais certains personnages restent peu intéressants, à l’image de la souris, quand d’autres tirent vraiment leur épingle du jeu, les arlequins. Donc au final la petite troupe est attachante et les interactions entre les personnages font parfois sourire. C’est juste là pour rendre l’ensemble un peu plus cohérent et ça marche car, du coup, pendant les combats on a l’impression que les personnages peuvent combattre ensemble car ils se connaissent.


Et là vous remarquez la superbe transition on va rapidement parler des combats. Je vais pas vous faire un descriptif de comment ça marche en général, tapez Grandia 2 et vous verrez ce que ça vaut. Sauf qu’il y a un petit ajout qui fait toute la différence et tout le sel de ce système de combat : Igniculus (d’ailleurs je vous recommande chaudement le mode difficile qui offre, sans être frustrant, une bonne opposition au joueur). Cette petite luciole sera notre meilleure amie durant les combats car elle gênera les ennemis et vous permettra de regagner de la vie. Sauf que ça ne se fait pas à l’infini, Igniculus a une barre d’action qui, une fois vide, fera en sorte que vous ne pourrez plus réaliser d’actions avec votre ami. Ainsi ça a l’air simple mais en fait il faut vraiment le maitriser le petit bonhomme si on veut pas douiller à mort dans les combats. Il les rend, d’ailleurs, encore plus passionnant qu’ils ne le sont déjà. Si vous avez fait le mode normal vous n’allez pas comprendre pourquoi je dis ça mais en difficile il faut adopter de bonnes stratégies tout en sachant que le combat peut très vite se retourner contre vous suite à un mauvais calcul ou un manque de chance. Plus on avance dans le jeu, plus on récupère des alliés. Sachant qu’on ne peut contrôler que deux personnages en même temps, il va falloir switcher en permanence pour être sûr d’avoir la bonne tactique, faire les bons buff/débuff tout en gérant les différentes barres de vie qui ne remontent pas à la fin du combat (sauf si on gagne un niveau). Du coup il ne faut pas faire n’importe quoi mais parfois s’autoriser des petits moments de folie en espérant que ça marche. Et comme me l’a fait remarqué un ami, avoir une difficulté dans les combats renforce l’idée de voyage initiatique avec des quêtes de plus en plus dures mais j’irai encore plus loin en disant qu’en plus de ça, le groupe devient une unité.
Qu’importe si vous n’aimez pas tel ou tel personnage, vous allez devoir l’utiliser, vous allez devoir vous en servir ! Donc du coup dès qu’un personnage quitte le groupe on se met à le regretter amèrement. Les combats sont, du coup, très loin d’être lassants car ils se renouvèlent constamment. Seul bémol dans tout ça, le système d’évolution du personnage qui, sans être mauvais, ne donne pas assez l’impression d’évoluer justement. Le personnage tape certes plus fort et a de nouvelles attaques mais cela résonne un peu faux une fois qu’on arrive dans la dernière ligne droite. Par contre là on comprend que le personnage murit, et c’est génial car on a l’impression de grandir avec lui.


Mais au fur et à mesure que l’on grandit, le paysage se fait de plus en plus sombre et on croit de moins en moins à un final heureux. Ce qui va me donner l’occasion de parler des graphismes transition en mousse yeah. Le jeu est magnifique. J’avais peur que les décors soient vides, qu’ils ne racontent rien, je suis tellement heureux de m’être trompé. Tous les décors du jeu sont travaillés de plus la belle des façons. Il y a des détails partout, des passages secrets, ça pullule d’onirisme à tout bout de champ. Quand bien même certains décors sont vides, ils recèlent une certaine richesse qu’on ne voit pas au premier coup d’œil, je développerai mon point de vue là dessus dans un autre paragraphe. Le style graphique n’est donc pas uniquement là pour faire joli ou pour faire onirique, il apporte un plus dans le fait qu’on nous raconte un conte de fée et qu’on puisse croire aux événements que l’on vit. Le côté enfantin, avec son innocence mais aussi ses noirceurs, est représenté à merveille et pour peu que l’on soit sensible, chaque décor pourra nous émerveiller. D’ailleurs certains sont juste à couper le souffle de beauté. Je me suis souvent arrêté pour contempler mais par moment je regardais juste mon écran, béat devant autant de beauté et d’imagination. Petit bémol cependant pour l’apparence d’Aurora dans le jeu, pas lors des dialogues, qui est assez… moche ?


Tout ce côté graphique est d’ailleurs aidé par l’ost. Soyons clair, je n’étais pas hyper confiant avec Cœur de Pirate aux commandes. Alors certes dans ses albums ses meilleures musiques sont ses compositions où elle ne chante pas mais j’avais quand même peur qu’elle tombe dans un ensemble assez plat qui ne transmet rien. Donc dès que j’ai lancé le jeu j’ai écouté le thème d’Aurora. En deux minutes elle m’avait fait fermer ma gueule. Soyons clair je trouve le thème d’Aurora gé-nial. Juste en l’écoutant vous avez l’impression de connaître le personnage et de savoir ce qui va lui arriver. Donc me voilà parti dans le jeu et… pouah. La musique est juste géniale. Elle accompagne à merveille ce qu’on vit et bien que par moments elle soit un peu répétitive si on reste trop longtemps à un endroit, elle surprend par sa présence quasi-matérielle à l’écran. Enlevez la musique, vous enlevez du charme au jeu point barre. Les compositions pour les combats varient et les musiques de boss sont épiques à souhait en s’appuyant sur des chœurs qui rendent le tout incroyablement puissant tout en y ajoutant la dose nécessaire de « sérieux » pour faire comprendre qu’on ne se bat pas seulement pour soi mais pour libérer un peuple. La musique de Child of Light est donc d’une puissance et d’une beauté qu’on aimerait entendre plus souvent. Elle démontre aussi un travail général important et surtout une joie incomparable.


Ca me permet de parler d’un point que j’ai juste adoré bien que n’étant pas vraiment présent dans le jeu. N’importe qui ayant joué à Child of Light comprendra ce que je veux dire. Ce jeu n’est pas un jeu de commande. Ce jeu c’est un mec qui a dit à ses dirigeants : « Je veux faire ça et je vais le faire, avec ou sans vous ». Le jeu transpire de partout la passion pour le jeu-vidéo mais aussi le plaisir des développeurs à donner vie à ce monde. Et le plus beau c’est que c’est communicatif. Du coup on ne joue pas au jeu par parce qu’on a envie de connaître la fin, mais parce qu’on aime y jouer, parce que malgré la noirceur de l’histoire on est émerveillé par le travail de ces personnes et par la passion dégoulinante. Et ça pour moi, en plus d’être génial, c’est un énorme point fort. D’autant plus que le jeu était un pari risqué. Déjà le style graphique est spécial mais en plus le délire d’écrire le tout en rime et les cinématiques en alexandrin (version française excellente d’ailleurs) c’était comme mettre ses couilles sur une table en attendant le possible coup de marteau. Heureusement, je suis content de voir que le jeu remporte l’adhésion du public.


Il y a un dernier point sur lequel je voudrais revenir plus en détail. Celui du conte de fée et pourquoi je trouve cela très bien amené dans ce jeu. Au delà du style graphique, au delà de la façon de raconter l’histoire, un conte de fée nous offre surtout la possibilité de rêver. Je citerais par exemple le jeu The Path qui adapte de manière très libre le conte du Petit Chaperon Rouge mais l’exemple le plus frappant est celui d’un enfant. Il y a deux mois j’ai raconté un conte de fée à mon petit cousin, Blanche-Neige et, surprise, ce dernier fait un cauchemar pendant la nuit. Au petit matin il me raconte quelque chose de complètement différent de l’histoire que je lui avais contée mais dans le même univers. Alors bien sûr chaque cauchemar diffère selon les enfants mais ce que je veux pointer ici c’est que, subconsciemment, ils ne sont pas sont arrêtés à l’histoire, ils ont pensé en marge de celle-ci. Qu’est-ce que cet univers raconté de manière simple pouvait renfermer de plus ? Child of Light pour moi, c’est ça. J’ai terminé le jeu mais je ne sais pas tout sur lui, je m’amuse à imaginer différentes choses en dehors de ce qui nous est montré et j’ai l’impression qu’aujourd’hui peu de gens font ça. Si on ne colle pas directement au joueur ce qu’il doit voir il n’ira pas chercher plus loin il ne réfléchira pas, il remettra son jeu dans l’armoire avant d’en commencer un autre en se rappelant qu’il a vécu un truc cool mais sans aller chercher plus loin. Du coup, là où Child of Light plaira aux grands enfants, il en décevra beaucoup par le caractère non-fini de son univers. Je suis de ceux qui aiment prendre leur temps entre deux jeux pour y réfléchir et Child of Light ne me le permet pas, il me le propose, et ce de la plus belle des façons.


Bien sûr le jeu n'est pas exempt de défauts, on peut citer un bestiaire qui a tendance à constamment revenir, une durée de vie en mode normal assez faible(il faut compter 12h en normal et vers la vingtaine en difficile),... D'ailleurs, pourquoi je recommande encore plus le mode difficile, c'est parce qu'en normal l'exploration n'apporte pas grand chose. Vous ne serez que très rarement en danger dans l'aventure donc trouver des potions et autres ne sert pas beaucoup finalement et rend l'exploration générale presque vaine et vide de sens. Ce qui est dommage car cette dernière nous permet de voir que le jeu a vraiment été travaillé car trouver toutes les confessions amène à développer l'univers et s'y attacher encore plus. Les quêtes secondaires ne sont pas en reste car elles poussent à l'exploration, encore une fois, et sont variées, mêlant habilement séances de recherche et de combat. Tout cela pour dire que nous ne sommes, bien sûr, pas face à un jeu parfait mais quel jeu pourra jamais se vanter de l'être ?


Child of Light n’est pas une expérience ! C’est un jeu qui fait les choses différemment et c’est déjà plaisant de voir que de tels jeux ne sont pas tout de suite estampillés « expérience » tout en brandissant le drapeau de la scène indépendante du jeu-vidéo. Je n'ai rien contre ça évidemment mais c'est juste pour dire que les "gros" ne sont pas non plus que des machines à faire des jeux lambdas, ce sont aussi des personnes qui sont prêtes à faire vivre leur passion et à en faire profiter tout le monde.
Child of Light c’est un conte de fée qui rend non seulement hommage aux J-RPG mais aussi à notre enfance, en nous disant qu’il faut continuer à rêver. Si ce n’était que par son caractère ludique je lui mettrais une moins bonne note. Mais il n’y a pas que ça. Child of Light c’est la passion incarnée. Child of Light c’est un jeu qui joue sur la corde sensible de la nostalgie sans en faire des tonnes. C’est un jeu d’une beauté et d’une richesse plus profonde que celle du simple visuel. C’est un jeu que j’ai adoré et pour lequel je reviendrais volontiers trois jours en arrière pour faire comme si rien ne s’était passé et tout recommencer. Un véritable coup de cœur et une ode à l’enfance. Un petit chef d’œuvre.


“Mon enfant, viens te mettre sous les draps,
Laisse moi te raconter l’histoire de Lémuria
D’un jeu complètement créé avec passion
Qui, grâce à la nostalgie, donne des émotions.“

Créée

le 5 mai 2014

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Ray

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