Je partais en expédition vers le continent de Lumière avec les attentes les plus obscures qui existent. Les retours sur le meilleur jeu de l’année 2025 (confère OpenCritic) étaient bien trop dithyrambiques, unanimes et populaires à mes yeux pour un projet qui semblait reprendre bien trop directement les ingrédients qui ont fait le succès de franchises qui ont littéralement forgées ma culture vidéo-ludiques (Persona, Nier, Final Fantasy, les Mario RPG), et qui n’avaient jamais bénéficié d’éloges aussi généralisées et grand-public. Je m’attendais à une reprise scolaire de ces établis de game design, au service d’un univers insipide et sans superbe. Un peu de clarté est-elle née dans ce contexte peu favorable ? (La note de cet avis agissant comme un énorme spoiler, monolithe inévitable à l’horizon)


Dissertons point par point pour donner la sensation que je sais ce que je fais en matière de “critique” de jeu vidéo et que je ne suis pas juste en slip dans ma chambre sous 33 degrés en train de fracasser mon clavier alors que je viens de finir la trame principale. Tout le monde semblait porter aux nues le scénario de ce Clair Obscur, qui repose effectivement sur une idée “punchline”, qui saisit l’attention en une phrase et qui a un petit côté poético-mélancolique bien franchouillard qu’on pourrait imaginer trouvable dans un sonnet de Prévert ou Cocteau. Mais personnellement, je commence à avoir la dent très dure, et je ne supporte plus de consommer des œuvres de “divertissement”, qui ne vont pas m’apporter de réflexions particulières, philosophiques, politiques ou juste culturelles. C’est pour ça que la “fantaisie” pur jus me débecte souvent au plus haut point. Je m’en fous de la magie, je m’en fous des monstres et du souffle de l’aventure si le fantasque de cet univers ne me met pas dans un cadre qui invite à des réflexions et des émotions qui appellent au réel. Ce que j’attend de l’art n’est pas d’oublier ma mortalité mais plutôt d’enrichir ma vitalité. Et j’avoue que le scénario du jeu, au final… Depuis l’introduction jusqu’au dizaines de minutes de cinématiques d’exposition finales, n’a jamais réussi à me passionner plus que ça… Je n’ai pas réussi à m’attacher à ces personnages développés uniquement sur de rachitiques séquences de discussion relationnelles autour du feu, et le coeur de la trame principale dont le twist final est identique à celui de Dessine ton aventure sur DS (je le dis comme ça pour éviter le double spoil), je n’en ai rien à carrer mais d’une force des histoires de ce type. Ca n’apportera rien à mon existence, j’aurais probablement oublié le destin de ces personnages virtuels dans quelques jours (c’est quasiment raccord avec l’histoire du jeu). L’intérêt pour le public (notamment international) viendra sûrement de la douce ambiance “française” dans laquelle Sandfall a décidé de placer son action.


Mais parlons-en justement de cette ambiance française car ça mérite carrément sa section dédiée. A quel moment le traitement que le jeu fait de la culture française est satisfaisant ? Quelques “Putain” et “Merde” en VO, des ennemis mime, une tour Eiffel courbée sur la première map du jeu et quelques inspirations de genre français dans la bande son : bravo, je viens de vous citer L’INTÉGRALITÉ de l’habillage “français” du jeu. On est pas sur un bestiaire inspiré de folklore régionaux comme dans la série animée “Le collège noir”, on est pas sur des lieux et villes iconisées comme c’est le cas des films In Bruges ou Bienvenue chez les Ch’tis (désolé je reviens de vacances dans le nord). Non, on est sur un univers fantaisie insipidement et fadement classique, avec ses petits monstres imaginaires (les têtes de pinceau dont j’ai déjà zappé le nom), des environnements vus et revus (glace, désert, forêt), des divinités qui sont des gros ballons et un lore qui concerne la magie et le deuil… C’est triste car ça confirme toute mes craintes et c’est une sous-utilisation absolue et déplorable de ce qui aurait pu rendre le jeu unique ! Quel dommage avec une culture aussi riche que celle de la France, politiquement, artistiquement, créativement ! Quand je pense que même Ubisoft, l’un de nos studios les plus insipides aura mis dans Assassin’s Creed Unity la prise de la Bastille ou toute une trame secondaire sur Sade ! Je n’ai pas pu m’empêcher de penser au travail réalisé par le studio taïwanais Red Candle dont j’ai fait le premier jeu récemment, qui eux prennent l’univers culturel de leur pays pour en faire quelque chose d’atypique et original ! Un jeu d’horreur obsédant sur le despotisme, un metroidvania qui traite du sacrifice du peuple. Là je comprend qu’on parle d’un univers “tao punk”, je trouve ça carrément déplacé de vouloir mettre en avant un “FRPG” (French RPG) si je finis par faire exactement la même que dans n’importe lequel des Final Fantasy japonais : avancer des forêts en couloir, me taper contre des créatures imaginaires, ramasser des pièces d’or et de l’expérience. Quel gâchis, je mentionne quand même la seule “référence” que j’ai appréciée mais qui relève du spoil :

Les séquences de cauchemar de Maelle en noir et blanc et en 4:3 qui, j’avoue, foute une ambiance vraiment unique les premières fois et qui rappellent d’une manière unique les débuts du cinéma (une invention française). Ces passages auraient été encore mieux si ils avaient été vraiment muet, et donc réminiscent des films de Dreyer, de Méliès et j’en passe. Bien que ça reste encore et toujours de la cinématique, et que Lorelei and the Laser Eyes reste un meilleur hommage à une œuvre française du cinéma que ce jeu.

D’autres points rendent le jeu vraiment difficile à plébisciter, notamment le level design, qui certes s’étoffe un peu vers la fin de l’aventure mais qui souffre d’environnements incompréhensiblement trop grands et vides. Les couloirs sont trop longs, trop larges, chargés de recoins qui au début ne cachent ni objets bonus, ni ennemis, ni rien, quel est le but, ça fait vraiment échec d’un apprentissage de Unreal Engine. On se retrouve à être obligé de courir en permanence dans du vide, ce qui gâche un peu l’immersion d’ailleurs quand les personnages sont censés être “déprimés” mais qu’on court tête baissée pour baisser à la séquence suivante.


Si cet avis tombe sous les mauvais regards, j’imagine déjà les commentaires énervés tomber, et je vais donc passer aux points positifs car j’ai quand même pris plaisir à poursuivre le jeu jusqu’au bout grâce à deux points : le premier est évidemment le système de combat, qui être peut-être la chose la mieux finie de tout le projet. Les impacts sont incroyablement jouissifs, le sound-design des coups comme de l’interface sont parfaits, les animations des personnages et des attaques hors de ce monde en termes de beauté et en même temps suffisamment lisibles pour permettre d’être lues rapidement pour exécuter les esquives. Le système de parade est effectivement central au jeu contrairement aux Mario RPG ou c’est plus optionnel, mais c’est délibéré et ça ne me pose pas de problème personnellement vu que les ennemis ont un nombre très raisonnable de patterns (rarement plus de trois) et qu’aucun n’est réellement frustrant à respecter même si les développeurs ont un peu forcé le trait des “arnaques” (cassure de rythme, attaques au ralenti). Ça rend les patterns impossible à réaliser à l’instinct la première fois, mais on les apprend très vite et c’est satisfaisant. Ils ont ici parfaitement sublimé leurs emprunts à Mario RPG pour le gameplay et Persona pour l’interface pour arriver à leur propre rendu, plus dynamique rythmique que vraiment tour par tour, c’est leur choix et ça fonctionne bien, particulièrement avec la customisation de build et les différents systèmes de jeux propre à chaque personnage.


Le second point étant évidemment la bande-son, le vrai point inoubliable du jeu, tout simplement dans l'excès avec ses 7 heures de contenu mielleux pour les oreilles. Je redoutais la comparaison avec Keiichi Okabe mais on ne joue même pas dans la même catégorie (on est sur un truc plus proche des Final Fantasy justement) avec des compositions évolutives à l’infini en début, cours et fin de combat, qui épousent tous les styles de la planète et toutes les émotions mélancolique, jazz, classique, house, chanté, rythmé. C’est un panthéon gigantesque qui a été pondu, qui à mes yeux dépasse même l’échelle du jeu, c’est indécent de pondre une bande-son pareille.


Et on qu’à dire que je vais conclure là-dessus car ça ne servirait à rien de m’éterniser trop longtemps sur les défauts situationnels supplémentaires que j’avais noté (comme une séparation trop forcée des membres lors du recrutement de Monoco, le fait qu’on évite pas une obligation de grind sur le dernier acte, que le platforming ne soit pas agréable ou que je ne trouve pas que le passage de Gustave à Verso soit satisfaisant pour des raisons que je me garde pour épargner les spoils).


Il me paraît indiscutable qu’il est incroyablement positif que le grand public se mette à plus plébisciter des jeux comme Clair Obscur plutôt que les sempiternels mondes ouverts réalistes dont plus personne ne peut souper depuis plusieurs années. Simplement je me pose la question : qu’est-ce qu’on en retiendra, qu’est-ce qu’il aura apporté de nouveau au jeu vidéo ? Son histoire n’est pas intéressante, son utilisation de l’univers culturel français est une sous-exploitation digne de celui de Pinocchio pour Lies of P, son level-design est chaotique et son game system est solide mais repris des Mario RPG. Je pense que ce qu’on en retiendra, c’est l’espoir : l’espoir qu’avec des fondamentaux solides, une direction claire et artistiquement assumée et surtout un habillage écrasant de beauté (j’entend par là une bande-son et un sound-design au cordeau pendant toute l’expérience), on arrive à obtenir en partant de produits qui séduisaient les niches un produit qui séduit les foules. Jouez à nier, jouez à Mother, jouez à Persona, jouez à Final Fantasy, jouez aux Mario RPG. C’est en s’inspirant des vieux maîtres, des chefs d'œuvres que l’on parvient à créer le beau. Le jeu vidéo est multiple, creusez vos goûts, et plongez tête la première dans le plus beau média à mes yeux !


Tomega
5
Écrit par

Créée

le 24 juin 2025

Critique lue 77 fois

2 j'aime

1 commentaire

Tomega

Écrit par

Critique lue 77 fois

2
1

D'autres avis sur Clair Obscur: Expedition 33

Clair Obscur: Expedition 33
BrianStrom
5

Potentiel fou

Clair Obsur avait le potentiel pour être un très très grand jeu. L'introduction est l'une des meilleures intro du genre RPG, on est tout de suite conquis par cette quête pour sauver le futur de...

le 27 avr. 2025

38 j'aime

261

Clair Obscur: Expedition 33
Foudafleloup
5

Un jeu qui fait pouet, comme son public

Je n’ai pas été convaincu par la proposition.L’accueil dithyrambique des joueurs m’a intrigué. J’ai l’impression que le contexte explique plus le succès que les qualités du jeu lui-même. On vante le...

le 4 juin 2025

32 j'aime

24

Clair Obscur: Expedition 33
West-Coast-dArmor
9

Le meilleur jeu de trentenaires qui soit.

Le RPG est de loin mon genre vidéoludique préféré, or comme tout le monde le sait déjà, ce jeu est réalisé par un le studio Français Sandfall Interactive qui emprunte énormément au style des JRPG...

le 26 avr. 2025

28 j'aime

4

Du même critique

Look Back
Tomega
5

Give it back (my money)

Tout le monde vante les mérites de Look Back en ce moment, one shot de l'auteur de Fire Punch et Chainsaw Man comme étant un énorme chef d'œuvre, une claque de l'année, une énorme réussite ou que...

le 18 mars 2022

22 j'aime

3

ZZCCMXTP
Tomega
7

En un mot : légendraire

Après moult teasing, au point où ils se sont senti obligés de s’excuser pour l’attente sur la track finale, la légendraire mixtape des artistes (musicaux / vidéos) et memeurs du web 2.0 Pandrezz,...

le 22 juin 2022

14 j'aime

Ninja Turtles - Teenage Years
Tomega
5

A fond la forme !

Je n’ai jamais été un fanatique des Tortues Ninja. J’ai toujours trouvé que cette licence n’avait pas un énorme potentiel, des tortues baraquées qui vivent dans les égouts et qui mangent des pizzas…...

le 9 août 2023

13 j'aime