Democracy 3 par Biggus Dickus

Je n'aurais pas parié un kopeck sur ce petit jeu. Paye pas de mine comme ça, et pourtant il est bien plus amusant qu'on ne le croirait.
Democracy est assez unique en son genre. Il n'est semblable ni à un Civilization, ni à un Victoria, un SimCity, ou tout autre jeu basé sur la politique. Développé en indé par une seule personne, il a presque un look de jeu flash un peu bête, mais il n'en est rien.
Le principe? Gérer un pays entier d'Europe. Ca se joue au tour par tour, et c'est plutôt une bonne idée, on a tout le temps pour réflechir. Chaque tour représente un trimestre, durant lequel on a une marge de manoeuvre qui dépend de l'efficacité de nos ministres. On ne fait pas de constructions ici, pas de stratégies militaires. En temps que président, on décide des grandes orientations de son pays. Il s'agit de planifier les budgets, les dépenses, passer des lois sur la sécurité, le service public, l'économie; mettre en place de nouveaux services et en supprimer d'autres. Les grands défis à relever seront la croissance, la dette, la pauvreté, le chômage, le niveau de vie.
Au fond, il faut satisfaire toutes les catégories d'électeurs, sous peine de perdre les élections ou de se faire assassiner par leurs franges extrémistes... On passe le plus clair de notre temps à triturer des jauges sur un écran de jeu très fouilli, rempli d'icônes et de flèches représentant des liens de causes à effets complexes entre les lois, les politiques sociales, l'économie, la défense etc. A côté de ça, on une page pour les graphes des finances, un bilan de notre politique, des sondages, une page pour le gouvernement, et c'est à peu près tout. Austère donc, mais pas vilain pour autant: après une partie on s'y retrouve facilement.
Le jeu est en anglais, et certaines notions économiques peuvent être relativement complexes mais les icônes sont intuitives et les conséquences de nos actes sont logiques. Par exemple, sucrez le budget défense et vous risquez des troubles à l'international qui déplairont à l'opinion. Supprimez la sécurité sociale, et ce sont les épidémies, l'alcoolisme et la pauvreté qui risquent d'exploser. Et je ne parle même pas des étranges paradoxes des taxes, qui font que parfois une baisse d'impôt permet de gagner de l'argent plus surement qu'une coupe budgétaire...
Le but ultime, c'est de survivre. En effet, on a beau être en démocratie, on se sent encore plus en danger que dans un Tropico. Les nombreuses catégories d'électeurs (libéraux et conservateurs, écolos et conducteurs, fonctionnaires et professions libérales, religieux et syndicalistes et j'en passe...) ont des attentes souvent contradictoires. Allez vous dépénaliser le cannabis ou augmenter l'âge légal pour boire de l'alcool? Offrir des cadeaux fiscaux aux start-up ou bien taxer les patrimoines? Si une catégorie est délaissée, ses membres rejoignent petit à petit des groupes de pressions, puis des cellules terroristes qui tenteront de nous assassiner. Arriver à l'élection est donc un défi en soi, et même là selon le niveau de difficulté le résultat peut être assez serré. De plus, les catégories varient selon le pays sélectionné: aux USA, abaisser le monstrueux budget défense ou supprimer la peine de mort sont autant de missions impossibles tant la proportion de patriotes et de conservateurs est élevée. Mais interdisez l'enseignement du créationnisme en France, là personne ne vous crachera dessus.
A sa sortie, Democracy a eu la réputation d'être trop facile, et c'était vrai. On montait les taxes, on coupait les retraites, et pof, déficit oublié et réélection à 80%. Depuis, les patchs, les DLC et une foison de mods ont réglé ces problèmes. Dorénavant, le jeu offre un réel challenge, même à un faible niveau de difficulté. Certains parti-pris du jeu ont déchaîné les passions: "c'est trop ultra-libéral!" ou au contraire "C'est trop gauchiste!" Etc... Pour ma part, je regrette aussi certains choix de gameplay, comme le fait que l'immigration n'ait quasiment que des effets négatifs par rapport à ses effets positifs.
En gros, c'est un jeu spécial, un peu chiant à regarder en Let's Play mais très intéressant à jouer, pour peu qu'on soit pas allergique aux rouages de la politique. Avec tous les mods qui existent, on peut donner libre cours à ses utopies ou délires du moment: démocratie centriste qui ne fait pas de bulles? Gros fascisme paranoïaque? Superpuissance industrielle? Autarcie écolo? Tout est possible! Je pense même que Democracy peut avoir un réel intérêt pédagogique. Mais à 22€ sur steam ça reste un peu cher, étant donné ce qu'il offre en termes de réalisation: à ce stade là, même un Crusader Kings en met plus plein la vue. Jeu indé oblige. Mieux vaut de pas avoir peur de jouer à un jeu aussi sexy qu'un diagramme-camembert.