J'ai toujours eu un faible pour les productions Quantic Dream. Depuis Farenheit, j'étais toujours en première ligne lors de la sortie d'un nouveau titre, et je dois bien dire que je n'étais pas forcément insensible au discours, un peu simpliste aujourd'hui il faut bien le dire, de David Cage sur sa nouvelle proposition de jeu et cette opposition entre ressenti et skill. Mais depuis 2013, date de sortie de Beyond, de l'eau a coulé sous les ponts : non seulement Quantic Dream n'est plus vraiment seul sur ce créneau, trusté massivement aussi bien par des productions indépendantes que par des AAA, mais beaucoup de ces nouveaux compétiteurs ont fait mieux que leur modèle en matière d'écriture et/ou de mécaniques de jeu. Aussi, convaincu que j'étais par Life Is Strange, SOMA ou encore What Remains of Edith Finch, j'ai failli à ma tradition et totalement dédaigné Detroit lors de sa sortie en 2018. Et c'est seulement lors de l'acquisition de ma PS5, où le titre est offert à tous les abonnés Playstation Plus, que j'ai daigné le lancer. Et je dois bien l'avouer, un peu honteusement, je me suis encore fait avoir.


Pourquoi honteusement ? Parce que les vieux démons de Quantic ne sont jamais bien loin dans cette nouvelle production. L'écriture, si elle s'est largement améliorée, réserve quand même son lot de situations un peu grotesques et reste très largement distancée par DontNod, pour ne citer qu'eux. Mais le plus décevant, c'est que, depuis Farenheit, Quantic n'a pas dévié d'un pouce sur son approche de la narration interactive et reste convaincu que "interaction et émotion = histoire à branches multiples". Selon eux, plus il y a de choix et plus l'histoire est impliquante, alors que la concurrence a largement prouvé le contraire, par exemple dans SOMA ou même The Last of Us 2.


Dans Detroit, cette approche basée sur la multiplicité a été poussée à son paroxysme : l'arbre des possibles, ici totalement assumé et exhibé à la fin de chaque séquence, est d'une complexité qui donne le tournis. Je pense pouvoir affirmer sans trop me tromper que Detroit a probablement le script le plus complexe de toute l'histoire du cinéma interactif, rien de moins. Je n'ose pas imaginer la quantité de travail qu'une telle cathédrale de choix a du demander, d'autant plus que de manière assez surprenante et contrairement aux productions précédentes, ici toutes les branches se valent et sont à peu près de qualité égale en terme d'écriture.


Et là, on touche un paradoxe inhérent à ce type de jeu : afin de ne pas briser l'immersion, il est recommandé d'assumer ses choix et de faire le jeu sans jamais revenir en arrière. Mais dans ce cas, le joueur loupera des pans entiers de l'histoire, pourtant intéressants. Il peut toujours revenir dessus après le générique de fin, me direz-vous. Certes, mais après le générique, la "magie" et le suspension of disbelief sont un peu cassés et donnent l'impression étrange de ne pas avoir assisté à "la vraie fin". D'un point de vue professionnel, donner une telle liberté de retour en arrière revient finalement un peu à remettre en cause le boulot du scénariste, du monteur, voire celui du metteur en scène.


On le voit, Detroit ne manque pas de défauts. Et pourtant, comme je le disais plus haut, je me suis fait avoir. Je me suis fait avoir par ces personnages touchants, Kara et Connor en tête, et leur tribulations un peu convenues mais finalement pas désagréables. Certes, les thèmes (en gros, l'intelligence artificielle et l'apartheid) sont archi-connus et ont été explorés avec bien plus de pertinence dans d'autres oeuvres (on pense, en vrac, aux robots d'Asimov, à Blade Runner, Amistad, La couleur pourpre...) mais l'histoire se laisse suivre sans déplaisir, voire même avec une certaine passion. Et le jeu est exceptionnellement long pour son genre, jusqu'à 20 heures pour les complétistes qui veulent tout voir. Signalons également que, comme à l'accoutumée chez Quantic, la réalisation technique et la direction artistique sont largement au dessus de la moyenne et les acteurs particulièrement bien castés et convaincants.


Alors oui, encore une fois, je l'avoue honteusement : j'ai vibré avec Connor, j'ai pleuré avec Kara, et j'ai lutté avec Marcus. Et finalement, malgré tout ce qui a été dit plus haut, Quantic a une nouvelle fois réussi son pari et, plus important, relève la tête et montre qu'il n'est pas non plus le plus mauvais représentant du genre. Maintenant qu'il est gratuit ou presque (le jeu est également présent dans le Ps Now), les amateurs seraient bien avisés d'y jeter un oeil.

JipéF
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le 23 janv. 2022

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