La compression temporelle vaut bien une madeleine...

Final Fantasy 8, c'est l'épisode de la rupture : le moment où Squaresoft,tout auréolé du succès de FF7 et conscient du potentiel international de sa saga, a décidé d’en changer les canons et les règles pour mieux l’exporter et de se détacher progressivement des standards du RPG japonais. Pour le meilleur et pour le pire.


Plutôt pour le pire, selon moi... Et pourtant, j’adore Final Fantasy 8. Mais comme je n’ai ni dieu ni maître, pas de raison de rester dans l’adoration béate et subjective. C’est un enseignement que la licence nous a assez répété : si tu croises bouddha sur ton chemin, meule-lui la gueule à coup d’invocations.


Un peu d’histoire : FF7 a été un carton , a assuré la pérennité de la playstation, a placé la barre très haut en terme de standards de qualité et nous a tiré les larmes sur des pixels. Il a notamment redéfini la notion de scénario et de narration au sein du média en proposant une histoire alliant action, émotion et philosophie (petit troll : FF6 l’avait fait avant lui. Seulement on l’a découvert bien après). Autant dire que FF8 est méchamment attendu au tournant et que la pression est énorme. On prend le même designer, le même musicien, le même chef de projet et vogue la galère. La faculté, ici, en l'occurrence.


Je crois que mes yeux chialent des paillettes… Ah non, j’ai juste oublié de cligner.


Je considère, même plus de quinze ans après, la scène d’introduction de FF8 comme la meilleure du jeu vidéo, tout genre confondus. Oui, rien que ça (rassurez-vous, l’objectivité va venir.). Parce que ses successeurs l’ont imitée sans jamais parvenir à son incroyable intensité, sans parler de son esthétique qui a remarquablement passé les années : tout ici maîtrise et magnifie les codes du récit épique, la musique, la mise en scène, les messages cryptiques, la symbolique. FF8 voit les choses en grand et nous le dit. Ou nous le balance à la gueule, pour être exact. L’introduction nous cloue au siège et c’est exactement ce qu’elle voulait faire.


Côté graphismes, Squaresoft a repris la recette de FF7 : une modélisation en 3D très partielle (parce que chez Square, ils gèrent moyen la 3D à l’époque et aiment pas des masses l’idée de se prendre les pieds dans des lacets qu’ils auront été infoutus d’attacher) pour les personnages, ennemis et de la carte du monde et des décors en 2D avec plans de caméras fixes pour les environnements, afin de pouvoir offrir aux décors une multitude de détails.


L’équipe de Kitase a su équilibrer performance et esthétique, en n’utilisant que des techniques qu’ils maîtrisaient, en grande partie grâce à l’expérience FF7. Si les changements sont purement esthétiques - en terme d’exploration on est sur le même système carte en 3D/décors en 2D- le bond en avant sur ce plan est spectaculaire, qu’il s’agisse de l’animation ou des couleurs. En 2000, FF8 était à la pointe graphique et visuelle, au point que ses cinématiques ont encore de la gueule alors même qu’elles ont plus de quinze ans. Sacrée performance. On peut bien râler sur l’optimisation sur PC qui a compressé les décors 2D de manière assez dégueulasse, en revanche. Préférez la version playstation. Juste pour en finir sur l’aspect technique, malgré tout ce que j’ai pu entendre, j’ai eu très peu de bugs et de plantages sur PC, le jeu est remarquablement stable, vu sa complexité.


Exit les personnages en super deformed, ils seront réalistes (et pour la première fois tous présents à l’écran sur le terrain). C’est personnel mais je préfère ce choix esthétique aux SD, beaucoup plus cohérent lorsqu’on souhaite raconter une histoire sérieuse porteuse d’enjeux dramatiques. La modélisation de Squall et son équipe est exemplaire et leur animation au top : chacun a une gestuelle propre en lien avec son caractère et compense l’absence visible d’expression par un langage corporel soigné.


Un petit bémol, toutefois : quoi qu’il soit recherché, je trouve l’univers graphiques de FF8 assez kitsch(le design des véhicules en tête de gondole). Ok, nous sommes en 16 millions de couleurs et c’est formidables mais il n’était pas forcément nécessaire de tartiner la moitié de la palette sur les voitures et les vaisseaux du jeu, non ? À ce titre, la BGU est probablement le truc le plus laid qu’il m’ait été donné de voir. Un coquillage géant sur lequel ont été mis du bleu, du rose, du jaune et une… auréole. Si le design est pertinent avec la véritable fonction du bâtiment, ça reste moche. C’est un peu le paradoxe de FF8 : une modélisation au top pour un travail graphique…”meh”. Autant j’aime le chara-design, qui sait être un brin “fantasy”-ste sans en faire des tonnes, autant l’univers est visuellement pas terrible.


La logistique de l’ésotérique, c’est chiant ?


C’est un argument qui revient pas mal concernant le gameplay de FF8 : son système de jeu trop complexe et fastidieux.


Il repose sur deux mécaniques : la “liaison” et le stockage de magies.


Les combats sont au tour par tour, classique mais cette fois ci tout passe par les G-Force, des invocations qui une fois liées à un personnage lui donne accès à l’utilisation de magie et de compétences diverses apprises grâce aux points de compétence glanés au combat. On peut donc personnaliser les actions d’un personnage en fonction des G-forces qu’on lui attache, G-Force qu’il pourra bien entendu invoquer et dont le temps d’appel dépend des affinités entre la créature et son invoqueur (une idée sympa mais selon moi trop peu exploitée). En gros, vous n’avez pas que votre équipe à customiser mais également vos invocations, dont tout dépend.


Plus important, les G-Forces permettent de lier des magies aux caractéristiques du personnage pour les booster ou lui permettre de se protéger d’un élément ou d’une altération d’état. Et pour ce faire, les magies se stockent comme des objets : de leur quantité dépend le bonus alloué à la caractéristique et naturellement, utiliser ces magies sur le terrain affectera les caractéristiques du personnage. Il est possible de voler la magie aux ennemis mais également dans des sources réparties aléatoirement dans le monde ou de la fabriquer avec les objets ramassés au fil de l’aventure.


Si la mécanique de liaison est bien foutue, je suis plus dubitatif sur celle de magie stockée, qui oblige à farmer très souvent et à surveiller son stock - il est un peu chiant de devoir mettre l’aventure en pause pour aller remplir ses magies, histoire de ne pas tomber en rade et perdre ainsi le bonus pour les caractéristiques. Ce n’est pas systématique mais assez lourd pour peu qu’on aime moyennement farmer, voire cela peut dissuader d’utiliser les magies. Bref, la technique de FF8 est bien pensée mais un brin contraignante et casse un peu le rythme en vous obligeant à passer du temps dans les menus. Autant dire que si cet aspect dans les RPG vous emmerde, vous pouvez passer directement votre chemin, la gestion des liaisons est un aspect qui demande temps et réflexion.


Là où je ne suis en revanche pas d’accord c’est sur la supposée complexité du dit système. Pour avoir joué une première fois adolescent et alors qu’il s’agissait de mon premier RPG, j’ai pigé en quelques heures comment tout ça fonctionnait (contrairement à FF7 et sa traduction finie à la pisse qui m’a valu presque une partie complète pour apprécier pleinement son système de materia. Je dis ça…). Donc, si vous n’avez rien bité au système de liaison de FF8, désolé de vous dire que vous êtes plus con qu’un noob de 16 ans.


Plus sérieusement, le système de FF8 demande certainement un peu de prise en main et une grosse part de gestion et oui, je peux comprendre que ça en emmerde certains. En ce qui me concerne, c’est ce que je préfère dans un RPG, ne comptez donc pas sur moi pour allumer le jeu sur ce point. Il faut aimer. Mais ce n’est ni mal pensé, ni mal foutu, ni trop compliqué. Les tutoriaux sont clairs et synthétiques et la difficulté suffisamment magnanime pour nous laisser rarement en rade complète de magie.


C’est mon douzième T-rex de la journée, je ferais bien une pause...


Autre nouveauté dans le gameplay : le niveau fluctuant des ennemis. Si jusque-là le niveau de vos adversaires - simples monstres assez malchanceux pour croiser votre route ou boss décidé à faire de vous une statistique - était fixe, FF8 le fait varier en fonction du niveau de votre équipe afin d’adapter la difficulté de manière dynamique. Un boss vous pose problème et vous pensez le rendre plus facile en allant vous entraîner ? Quand vous reviendrez, vous aurez engrangé trois niveaux. Ce qui tombe bien car lui aussi. Oui, ce jeu vous trolle.


Si cela peut sembler placer la barre de difficulté assez haut, il lui évite surtout de tomber en-dessous de la balade de santé : FF8 n’est clairement pas un jeu dur, les seuls véritables challenge que vous aurez à essuyer sont le boss optionnel (qui n’est pas obligatoire, c’est bien, vous suivez) et le boss de fin. Si le niveau de vos ennemis augmente en fonction du vôtre il est toujours plafonné, ils ne peuvent donc pas vous talonner jusqu’au sacro-saint niveau 99. Cette feature rehausse légèrement la difficulté mais pour un joueur adepte de farming, se frayer un chemin sur la gueule des boss ne posera aucun problème.


Toutefois, le jeu nous gratifie d’un pic de difficulté bien mesquin en ceci qu’il encourage tout son long à user et à abuser des invocations (notamment pour économiser les magies) et nous en prive face au boss ultime. C’est un peu “pute”, passez-moi l’expression, de faciliter le chemin au joueur pendant plus de trente heures et de lui retirer ses pompes au moment où il arrive dans les ronces. Et je ne peux m’empêcher d’y percevoir un choix de gameplay un poil flemmard pour booster la difficulté. L’affrontement final reste d’ailleurs un des plus longs de la saga pour un boss de fin.


Grosso modo la difficulté du titre va crescendo mais reste très accessible. On aurait pas craché sur un peu plus de challenge mais cela fait partie de la stratégie commerciale de Square pour exporter ses jeux (le même qui nous avait pourtant livré un FF7 plus dur que son équivalent japonais… va comprendre). Le hardcore gamer passera son chemin, même avec un handicap, FF8 se boucle aisément en une trentaine d’heures pour celui qui fonce, en un peu plus de quatre-vingt heures pour le/la complétiste. On est dans la moyenne de ce qui se faisait en RPG mais la durée de vie reste énorme par rapport aux titres présents à l’époque sur PS1. Côté quêtes secondaires, le jeu ne propose pas de personnages optionnels mais des G-force supplémentaires débloquables, un jeu de carte - plutôt sympa et dont les gains sont loin d’être inintéressants pour les combats - et quelques quêtes relativement mineures qu’on aurait peut-être aimé un peu plus fouillées. Mais c’est vraiment histoire de râler, tant le jeu est généreux en contenu.


Monsieur Uematsu, je vous aime beaucoup. Ma cave est par ici...


Un petit mot sur la musique.


Elle est sublime.


Voilà, voilà…


Bon, pour être plus objectif elle est un poil moins inspirée pour certains morceaux que le sont celles de FF6 et FF7, mais comme FF8 a bénéficié d’une bien meilleure compression sonore, elle les surpasse sur le plan technique pur. La B.O manque peut-être un rien de musique emblématique (on peut citer tout de même le somptueux “Liberi Fatali” ou “Succession of Witches”) comme ses prédécesseurs, mais l’ensemble est toujours de qualité et porte magnifiquement l’histoire et ses ambiances.


Et pour être totalement objectif, “Eyes on me” est très niais et écrit dans un anglais qui fera crever tout anglophone d’une anémie par hémorragie auditive (heureusement qu’à 16 ans je comprenais rien à l’anglais…) : c’est la seule faute de goût de cette OST et je suis parfaitement conscient que je n’apprécie cette chanson que par pure nostalgie. Mais c’est davantage un problème de texte que de mélodie, le thème reste très beau.


Nobuo Uematsu parvient tout de même à enchaîner trois OST exceptionnelles où se mêlent l’épique et l’émotion et FF8 ne fait pas exception.


Biactol et gunblade


J’attaque ici ce qui est considéré comme le gros point noir de FF8 : son histoire et sa narration. Et pour ça, je vais être obligé de le comparer à son grand frère. Parce que le scénario serait une petite histoire d’amour niaise sans envergure là où FF7 était un conte écologique d’une portée toute autre.


Voyons, donc...


Squall Leonhart, un enfant-sold... mercenaire fait partie du corps d’élite des Seeds et termine sa formation au moment où commence l’histoire. Laissé orphelin par une longue guerre causée par une sorcière, il a été intégré à cette organisation qui assure le cadre de vie et la formation à tous les enfants comme lui, dans le but d’assurer un rôle de pacificateur et surtout de combattre une autre éventuelle sorcière. Les casques bleus du patelin, quoi. Après avoir validé son cursus avec brio (enfin tout dépend de comment vous jouez, pour le brio…), il est envoyé en mission auprès d’un groupe de résistants, ce qui paraît étrange. En effet, le seed est supposé être totalement neutre dans les conflits politiques qui agitent encore la planète. Naturellement, cette mission va dévoiler la présence d’un nouvel ennemi, la sorcière Edea, décidée à relancer la grande guerre… S’ensuivront des histoires d’invasion, d’assassinat manqué et pour finir de voyage dans le temps.


Oui, le scénario de FF8 est beaucoup moins ambitieux dans le message délivré, c’est un fait, puisqu’il se concentre davantage sur ses personnages, qui sont un groupe d’adolescents à peine bombardés soldats, et la romance entre Squall et Linoa. Ce qui est bien pensé de la part de Square : car au moment de la sortie du jeu, un bon paquet des nouveaux joueurs potentiels avait l’âge de Squall et son équipe.


Oui, le scénario de FF8 brosse carrément le public visé dans le sens du poil en mettant en avant des problématiques adolescentes : la peur de devenir adulte, le sens des responsabilités, les histoires d’amour chaotiques, l’angoisse de la solitude et de l’abandon… en somme des choses que nous expérimentions tous au moment de découvrir le jeu. Et forcément, quand tu es en recherche d’icônes, Squall qui joue les simili rebelle en prétendant n’avoir besoin de personne alors qu’il crève intérieurement de stress à l’idée de décevoir ou de se retrouver seul, ça te parle. Je n’arrive pas à considérer ces problématiques comme “moins importantes” que celle soulevées par FF7 car elles ne sont pas du tout sur le même plan. Avec Cloud, nous étions dans l’infiniment grand de la planète et du sens de la vie, avec Squall, nous explorons l’infiniment petit de l’humain et de son rapport au temps. Les deux ne se valent pas car elles ne sont tout simplement pas comparables pour moi. Ce qui ne m’a nullement empêché de les apprécier car elles offrent toutes les deux plusieurs niveaux de lecture (le joueur qui ne veut pas se prendre la tête peut parfaitement rester en surface, celui qui recherche un propos philosophique y trouvera son compte) et ouvrent la voie à pas mal d’analyses et d’extrapolations.


Qui plus est, le sujet du voyage dans le temps est un thème sacrément casse-gueule, dont square tire une histoire globalement cohérente… même si pleine de trous.


Car j’ai beau défendre la profondeur du scénario, je dois reconnaître qu’il est loin d’être toujours raconté de manière optimale : le jeu est émaillé de longueurs et de séquences chiantes (les “rêves” avec Laguna, qui auraient pu être bien mieux employés) et peine malgré tout à donner toutes les clés au joueur. J’en veux pour preuve cette cinématique finale plutôt cauchemardesque mais totalement énigmatique. Si la tension est à son comble à la fin du jeu, on ne peut s’empêcher d’être assez frustré par les zones d’ombre que le scénario n’aura en définitive jamais éclairés et les twist mal utilisés (la découverte du père de Squall, qui n’en saura jamais rien, par exemple). La narration est chaotique, tiraillées entre de vraies moment d’émotion et d’action, d’un côté tout en se diluant dans des séquences sans intérêt de l’autre. Difficile de dire s’il s’agit d’un parti pris de Squaresoft mais FF8 laisse son histoire - réellement complexe, peut-être trop pour un jeu déjà long - partiellement irrésolue, notamment sur l’identité finale de son antagoniste. Il existe une théorie assez bien argumentée sur la question mais faute de complétion de la part de Square, cela restera une théorie.


Le jeu a bénéficié d’une vraie traduction cette fois mais avec le recul, l’écriture demeure par moment assez maladroite. Square Europe avait encore des progrès à faire en la matière (le problème sera définitivement résolu à partir de FF9, je dirais).


FF8 c’est donc un scénario au potentiel énorme - j’en veux pour preuve les discussions qu’il suscite encore aujourd’hui - mais bizarrement exploité par un jeu qui semble parfois se complaire dans des longueurs dispensables. Pas étonnant que certains, gavés par ces instants de vide, aient basché l’histoire. Mais je persiste à ne la trouver ni superficielle, ni mièvre. On ne retrouve certes pas la noirceur présente dans FF7 ou FF6 mais le final reste tout de même l’un des plus anxiogène que la saga nous ait offert. Malgré les cahots du scénario, le jeu reste un modèle en matière de mise en scène et sait nous garder en haleine.


Les gens l’appellent la G-force des jeunes


L’histoire de FF8 comporte des faiblesses et des trous, c’est un fait, malgré sa mise en scène virtuose. En revanche, là où le jeu devient intéressant, c’est que Squaresoft a poussé plus loin un concept qu’il avait déjà commencé à mettre en place dans ses précédents titres : le rapport aux personnages. Afin que le joueur se sente davantage impliqué dans les enjeux - et que la mise en scène soit plus efficace - le jeu met tout en œuvre pour créer de l’empathie pour ses personnages. J’avais parlé des angoisses de Squall et de son côté assez “iconique” pour un(e) adolescent(e), il en est de même pour les autres personnages. Quoique leur background reste assez “léger” - ce sont des orphelins tous recrutés par les seeds qui tâchent de rester soudés afin de faire face à une menace qui les dépasse - ils ont tous une personnalité bien définie et particulièrement mise en avant. Le jeu veut créer un lien fort et indubitablement, si cela ne fonctionne pas, il est impossible d’aimer FF8. Car il s’agit du principal moteur du jeu, dont découle l’implication émotionnelle, l’adhésion au scénario et tout ce qui fait que vous accepterez - ou non - de vous frapper les trentes heures de la partie. Et de les apprécier. La présence de toute l’équipe à l’écran, la mise en scène avec ses multiples zoom sur les visages, les longues phases de dialogue, tout cela est destiné à servir l’empathie qu’on éprouve pour les personnages et à favoriser l’immersion.


Ai-je besoin de dire que cela a très bien fonctionné pour moi ? FF8 est le premier jeu à m’avoir réellement lié aux personnages que je dirigeais et qui n’étaient jusque là qu’un avatar pour moi (Tomb raider se débrouillait bien aussi en la matière mais la pression dramatique était bien moindre) : Square l’avait déjà bien montré avec FF7 et la mort d’Aeris et pousse encore plus loin l’expérience dans FF8, avec brio, notamment puisque comme je l’ai dit, ils ont calibré les personnages pour le public visé, les nouveaux acquéreurs de la PS1. Et je ne considère pas ça comme un tort puisque le jeu suit artistiquement. En papillonnant parfois un peu mais tout de même. Proposer un casting de personnages vendeurs ne signifie pas en faire des coquilles vides pour autant, ni pratiquer un fan-service putassier (pour ça, il y a internet). Oui, Squall est un argument de vente avec sa belle gueule de brun ténébreux et son côté emo-badass mais il n’en demeure pas moins un personnage intéressant et bien construit, auquel il reste possible de s’identifier et de s’attacher.


Du moins tant que Square ne tire pas trop sur cette corde…


Le ridicule ne tue pas. Sauf les licences.


FF8 est le jeu de la rupture, disais-je, celui où Square change drastiquement de direction artistique tout en conservant un semblant de cohérence dans ses choix d’appuyer le récit sur les personnages. Il est également sur le fil du rasoir : ses mécaniques de gameplay sont intelligentes mais contraignantes, ses graphismes magnifiques mais son design inégal, sa mise en scène extrêmement efficace mais son scénario plombé par des longueurs et des imprécisions, ses personnages attachants mais légèrement trop “fan-servicable”, sa musique sublime mais en manque de thème emblématique… il y a comme un goût de “c’était juste” derrière tout ça.


Mais FF8 malgré ses défauts reste un grand jeu, artistiquement pertinent et demeure aujourd’hui une expérience vidéoludique de haut vol, une plongée dans une histoire épique qui n’a rien perdu de sa force et a été une petite révolution à sa sortie.


Et c’est là que je déchante un peu (attention, c’est l’heure de l’analyse qui n’engage que moi).


FF8 était à la limite du mièvre, à la limite du kitsch, à la limite de la caricature mais parvenait à un équilibre, une alchimie assez bluffante ou le tout passait parfaitement. Il a surtout été un carton commercial. Son successeur, FF9, plus proche des rpg à l’ancienne a été bien reçu par la critique mais beaucoup moins par les joueurs, qui couraient tous après FF7 pour certains, après FF8 pour d’autre (je simplifie en opposant les deux écoles mais on a chacun notre petite préférence). Les ventes sont presque moitié moins bonnes, l’environnement heroic-fantasy-kawaii peine à convaincre malgré un propos philosophique beaucoup plus sombre qu’il n’y paraît. FF9 ne plaît pas (ce qui est très con. Parce qu’il est excellent.).


Et à partir de là, Square s’est mis à appliquer la “recette FF8” en essayant de l’améliorer. Sauf qu’ils n’ont fait qu’accentuer ses différents aspects, au point d’en faire trop : là où Squall était un adolescent sombre et renfermé mais très humain, Square commence à coller des personnages qui se prennent tellement au sérieux qu’ils en deviennent caricaturaux et antipathiques (n’est-ce pas, FF XIII ?). Là où le chara design permettait une touche de fantaisie sans trop en faire, square va commencer à saper ses personnages comme dans un carnaval (n’est-ce pas, FFX ?). Là où le propos philosophique et humain restait en filigrane afin de laisser le soin au joueur de l’interpréter et de l’assimiler comme il le souhaitait, Square va commencer à nous marteler de la philosophie de café du commerce servie par des personnages insupportables de suffisance. Toute la licence va être du FF8 en “trop” à partir du 10ème opus et des multiples jeux à pognon qui en ont découlé.


La réussite de FF8 provient de sa délicate alchimie entre narration, gameplay, humour et sérieux. Square va progressivement détruire cette alchimie, en pensant tenir la combinaison gagnante, sans comprendre que repousser les limites ne veut pas dire manquer d’humilité ou de modération. Et visiblement, le torrent de haine que s’est pris - à raison ou à tort - FF XIII sur le coin de la gueule ne leur a appris ni l’un ni l’autre. Quand je vois le teaser de FF XV où le héros m’évoque un Squall en manque d’inspiration faisant un road trip avec ses copains Bishô, je me dis que Square compte bien continuer dans la même voie.


FF8 est un grand jeu. Il a été mal compris par certains joueurs, pour moi, la faute à sa narration parfois laborieuse, mais plus grave, il a été très mal compris par ses concepteurs, qui en ont tiré les mauvaises leçons. Ce qui explique le rapport haine-amour assez spécifique que je le lui voue : celui d’être une expérience incroyable qui m’a laissé transporté mais en même temps la garantie que Squaresoft ne m’en offrira plus jamais de semblable. Peut-être aussi parce que dans son alchimie, il y avait le joueur que j’étais à l’époque et que je ne suis plus aujourd’hui. Le temps s’écoule comme du sable…

Créée

le 1 mars 2016

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SubaruKondo

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