Genesis Noir
5.9
Genesis Noir

Jeu de Feral Cat Den et Fellow Traveller (2021Nintendo Switch)

Hein ? Quoi ? ...Le gameplay ? Qué que c'est ?

J'avais pourtant vu ces notes peu flatteuses qui auraient dû me dissuader d'aller mettre mon nez dans ce Genesis Noir...


...Mais bon, alors que je faisais mes emplettes sur le Nintendo e-shop voilà que j'ai revu ce titre me faire de l’œil.
Je me souvenais que déjà, par le passé, il avait su attirer mon attention sans que je ne lui donne suite. Mais ne sachant plus sur quelle raison s'appuyait ma bouderie de l'époque j'ai décidé de lancer le trailer présent sur la page d'achat, par acquis de conscience...
...Et j'ai trouvé ça beau. Très beau même. Carrément magnifique pour tout dire.
Comment pouvait-on bouder une œuvre qui s'était risquée à un tel geste artistique, me suis-je alors dit ?
Alors OK, peut-être que le jeu qui se cache derrière cette direction artistique n'est pas à la hauteur – peut être est-ce convenu ou bien il y a-t-il des ratés – mais est-ce au point d'accepter de passer à côté d'une telle expérience sensorielle ?
Alors j'ai craqué sur le champ. J'ai acheté...


...Et aujourd'hui je pleure.


Je pleure parce que je me sens con.
Je pleure parce que je me sens sale.
J'ai l'impression d'être tombé dans un piège à bobo à qui il suffit de faire un peu d’esbroufe arty pour tomber dans le panneau.
Sur ce coup-là je ne vaut pas mieux qu'un ado boutonneux qui a acheté compulsivement le dernier FIFA, Call Of ou Pokémon, alléché par des promesses de refonte et puis qui découvre dès sa première partie qu'il s'est en fait laissé enflé comme le puceau qu'il est, ayant claqué 60 boules pour le même jeu vide d'enjeu que tous les épisodes précédents qu'il a déjà.
Avec Genesis Noir, mon ressenti est pratiquement le même sauf qu'à la place de cette fameuse refonte tant promise mais désespérément absente, c'est ici le principe même de jeu qui manque à l'appel...


Parce que c'est quoi jouer à Genesis Noir ?
D'abord, sur la première séquence de jeu, c'est juste incarner un personnage qui ne peut pas bouger. Il est immobile, dans la rue, face à des passants représentés sous forme de silhouettes sombres.
On déplace juste un curseur à l'écran. On découvre alors qu'on ne peut qu’interagir avec les silhouettes. Du coup on clique dessus. Notre imper s'ouvre. On choisit au hasard une montre qu'on entend vendre sous le manteau. On clique. On reçoit de l'argent et... C'est tout.
On recommence une deuxième fois. Clic sur le client. Clic sur la montre. Argent. Bim, c'est tout.
On recommence une troisième fois. Clic client. Clic montre. Mais – ah – ce coup-ci pas d'argent. Le client détale sans payer. Nouveau plan. Cadrage large. Personnage immobile.
Je cherche le curseur. Je bouge le joystick afin q... Ah mais attendez ! ...Mon personnage vient de bouger !
Ah bah tiens un changement de gameplay sans prévenir ! Bon, soit. Puisque visiblement le stick dirige désormais le personnage et non plus un curseur alors courrons et rattrapons ce fripon qui doit maintenant être bien loin vu le temps qu'il m'a fallu avant de comprendre de quoi il retournait...
...Je cours.
Vingt secondes.
En ligne droite.
Pas d'obstacle.
Et là au bout de ma course je vois mon fuyard disparaitre au loin... En vain...
Fin de la première séquence de jeu.
Temps de chargement.
Autant vous dire que j'en suis resté... Circonspect.
...Et encore ça ce n'était que le début.


Car oui, face à cette première phase de jeu, je me suis dit que ces moments de flottement et cette confusion n'étaient peut-être en fait que la résultante des tâtonnements du début – à la fois ceux du studio, à la fois des miens – mais malheureusement il n'en fut rien.
Cette première phase était en fait un avant-goût. La mise-en-bouche avant bien pire.
Parce que oui, tout le reste du "jeu" est ainsi.
A chaque nouvelle séquence s'installe toujours cette même latence pour comprendre de quoi il retourne. Où sommes-nous ? A quel type de gameplay sommes-nous confrontés ? Quels sont les touches ? Avec quoi peut-on interagir ?
Alors on tâtonne, on découvre, on explore les possibilités et puis on finit avec toujours cette même dramatique conclusion : tout ça pour au final rien du tout.
Deux minutes pour comprendre qu'il n'y a rien à faire dans l'appartement du héros à part agiter ses affaires et puis franchir le seuil qui lui permet de passer au prochain tableau.
Deux minutes pour comprendre qu'il n'y a rien d'autre à faire que de balayer l'écran avec le curseur afin de savoir sur quoi appuyer pour qu'enfin le film continue d'avancer.
Et vas-y que des fois il faut que je spame le bouton B pour faire disparaître les nuages, les bulles d'alcool, les rochers...
Et vas-y que d'autres fois il faut que je fasse l'essuie-glace avec le curseur pour effacer tous les cœurs, les étoiles, les barrières...
Et là il faut que je relie des points. Et là il faut que je fasse avancer mon personnage pour qu'il avale des bulles qui balisent un chemin. Et là il faut que je maintienne B en permanence pour qu'il daigne avancer jusqu'au fond de la pièce...
Non mais franchement...


Ce gameplay c'est le néant même en terme d'enjeu et d'intérêt. Et le pire c'est que les trois-quarts du temps qu'on passe sur Genesis Noir c'est juste chercher ce qu'il faut faire, le découvrir, puis être consterné sitôt constate-t-on qu'il s'agissait depuis le début de simplement cliquer en un endroit particulier de l'écran et c'est tout.
...Et bien évidemment, pendant ce temps, la narration est gelée, elle attend.
Parfois deux minutes entières pour qu'un personnage découvre comment ouvrir une porte ou taper dans ses deux mains.
Alors là bravo aux petits studio de Feral Cat Den : on a atteint le sommet de l'expérience vidéo-ludique là...


Tout le jeu est dans cet état d'esprit-là. Tout.
En fait Genesis Noir n'est qu'une longue histoire stylée visuellement qui s'arrête toutes les vingts secondes en attendant que le spectateur – pardon le joueur – découvre sur quel bouton aléatoire de la télécommande du lecteur Blu-ray il est désormais nécessaire qu'il appuie afin que le bousin daigne se relancer.
Et comme il n'y a absolument aucun intérêt au fait d’interagir avec ce qui se passe à l'écran – et cela parce que cela nécessite aucune compétence ni aucune réflexion - le jeu devient littéralement un ennemi de la narration.
Le jeu – pour peu qu'on puisse le qualifier ainsi – n'apporte rien, mais par contre il retire tout.
Il retire le rythme (surtout quand on joue sur console j'ai l'impression, tant le gameplay a l'air d'être « optimisé » pour y jouer à la souris). Il retire l’intérêt. Il retire même l'investissement.


Parce que c'est aussi ça qui est terrible dans ce titre : c'est qu'on incarne tout de même un détective mais l'enquête qu'on est censé mener se déroule littéralement sans nous.
Sitôt met-on la main sur quelque-chose que les preuves s'agitent et s'accrochent d'elles-mêmes sur le mur. Qu'on en déduise quelque-chose ou pas n'y change rien en fin de compte.
De toute façon j'avoue avoir très rapidement lâché l'affaire au niveau de l'intrigue. Décousue et empêtrée d'un sous-texte à base de création d'univers dont je n'ai pas perçu l'intérêt, celle-ci semble surtout chercher à nous enfumer afin qu'on ne s'aperçoive pas qu'en définitive, il ne s'agit là que de nous proposer un substrat au fond assez quelconque de polar des années 30 tout ce qu'il y a de plus basique et stéréotypé.


Alors après, OK, c'est vrai que ça reste très beau en termes de direction artistique et je ne vais pas renier le fait que cet aspect-là est parvenu à m'accrocher quelques temps...
Mais bon, d'un autre côté, quand je dis quelques temps, je parle en fait de trois sessions d'une demi-heure chacune. C'est certes peu, mais j'avoue pour ma part l'avoir vécu comme quelque-chose d'interminable.
Interminable parce que sans attrait narratif apparent.
Interminable parce que haché en permanence par des phases de jeu totalement vides.
Et surtout interminable parce qu'incapable de fixer une dynamique quelconque pour le spectateur / joueur.


Jouer à Genesis Noir c'est comme avoir l'impression d'ouvrir un livre qui prétend se lancer dans quelque-chose de trop créatif et de trop profond pour le commun des mortels, mais qui ne se révèle être au final qu'une comptine pour enfants sans texte ni profondeur mais avec par contre les petites languettes qui se tirent pour nous distraire trois secondes.
Eh bien moi, ce genre de divertissement là, désolé mais ça ne me correspond pas.
Plus que ça : ça m'agace.


Bah oui, j'avoue que j'ai du mal à passer outre ça. Je pourrais très bien dire que c'est juste un jeu narratif, un jeu à atmosphère, un jeu concept et simplement établir comme constat que ce n'est pas un titre pour moi et que « tant mieux pour les autres ».
Sauf que je n'y arrive pas.
Je ne peux pas m'empêcher de voir dans ce Genesis noir une forme d'entourloupe qui m'exaspère ; le genre de démarche où il suffirait de faire un truc un poil en dehors des clous pour que forcément ça entraine derrière une adhésion de principe de la part des inconditionnels de la FIAC vidéoludique.


Non mais merde quoi...
N'oublions pas la substance de l'art ludique : le jeu !
Tout miser sur l'apparat sans questionner la substance ou - pire encore, comme c'est le cas ici - pour aller jusqu'à dénigrer sa substance, c'est pour moi ouvrir un champ qui me dérange...
...Un champ de l'appauvrissement.


Malgré ça, s'il y en a qui se retrouvent dans ce genre de démarche formaliste, tant mieux pour eux.
Néanmoins je ne peux m'empêcher de poser une question : est-ce que ces gens-là auraient moins apprécié cette expérience formaliste si – en plus de ça – Genesis Noir avait su être porté par une vraie proposition de jeu ?
Personnellement j'avoue avoir déjà ma conviction sur le sujet, mais rien ne nous empêche d'en débattre dans l'espace commentaire si jamais vous le souhaitez... ;-)

Créée

le 28 févr. 2022

Critique lue 158 fois

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