Grim Fandango
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Grim Fandango

Jeu de LucasArts (1998PC)

Remédiation, Compréhension et Amélioration (UdeM)

Il s'agit ici d'un travail érigé dans le cadre du cours Cinéma et Jeu Vidéo, pour Mr. Therrien à l'Université de Montréal. Ce dernier consiste en l'étude d'un jeu vidéo sous l'instance d'une grille d'analyse, en rapprochant cinéma et jeu vidéo. J'ai choisi de parler de "Grim Fandango" en utilisant les grilles "Caméra Virtuelle" et "Remédiation des codes cinématographiques".


Au cours de son histoire, le dixième art a eu de nombreux consensus avec le septième art. Le jeu vidéo a souvent emprunté au cinéma ses codes de narrations visuels, tout en ajoutant une forme d’interactivité à son médium.


En 1998, le studio LucasArt développe et sort le jeu Grim Fandango. Imaginé en grande partie par Tim Schafer, le jeu est réputé pour être l’un des derniers représentants de l’âge d’or du « Point’n’Click » (littéralement « pointer et cliquer »). Le succès fût mitigé à sa sortie, mais le jeu acquis un statut culte au fil du temps. En 2015, le nouveau studio de développement de Tim Schafer, Double Fine Productions, sort une version remasterisé de Grim Fandango [...].


L’inspiration majeur pour le jeu fût le genre du film noir.



Un ensemble de films unis par des ressemblances thématiques, narratives et esthétiques étiquetés abstraitement par un lexique. Raphaëlle Moine



[...]


Au début des années 80, le réalisateur Georges Lucas monte le studio LucasArt afin de développer des produits dérivés pour la franchise Star Wars. Durant cette période, de nombreux jeux d’aventures seront développés avec pour principe le mécanisme de « pointer et cliquer ». Initialement conçu pour les ordinateurs, le genre se sert principalement de la souris afin de diriger le personnage et d’activer l’interface de jeu. Souvent relié au jeu d’aventure, le genre est défini par le développeur Ron Gilbert [...] par différents points : un objectif clair, de nombreux puzzles et une pluralité d’options pour parvenir à la fin. Ce dernier a travaillé chez LucasArt pour certains de leurs grands classiques comme Maniac Mansion (1987) et The Secret of Monkey Island (1990). Tim Schafer débutera en travaillant sur les dialogues de Monkey Island, avant de s’attaquer à un autre mythe du studio : Day of the Tentacle (1993). Des jeux ayant une aura particulière, venant symboliser cet âge d’or du jeu d’aventure dit « Point’n’Click ». Ces titres sont développés par l’intermédiaire du moteur de jeu SCUMM, permettant la création d’environnement en 2 dimensions. Le passage au moteur GrimE voit venir la troisième dimension. Tout comme Super Mario 64 (1996), Grim Fandango (1998) utilise des polygones afin de créer ses personnages, et y applique une texture. Ces dernières feront partie du travail de refonte graphique pour la version de 2015 [...]. Les personnages étant des squelettes, leurs textures restent assez simples. Il est intéressant de remarquer que les êtres humains, représentés lors de la rencontre entre Manuel Calavera et Bruno, ne sont définit qu’à partir de collage de photos de visages d’humains, empêchant d’une certaine manière d’entrer dans la vallée de l’étrangeté, développé par Masahiro Mori. Par la suite, Tim Schafer fondera Double Fine Productions, dans lequel il développera des jeux différents, comme Psychonauts (2005), Brütal Legend (2009) ou encore Broken Age (2014), tous gardant la patte humoristique du développeur. Le « Point’n’Click » refera surface chez d’autres studios comme Telltales Games ou DONTNOD, dans un format plus sériel.


L’apport de la troisième dimension au sein de la production de Grim Fandango a amené la réflexion d’une caméra virtuelle afin d’explorer l’univers imaginé par Tim Schafer. Parmi les différentes notions de caméra virtuelle développé par Selim Krichane [...], on retrouve ici le concept de caméra positionnée, un angle de vue fixe, contrairement à d’autres jeux d’aventures en 3D, comme Syberia (Benoit Sokal, 2002) qui utilise des mouvements de panoramique pour suivre le personnage principal. Ici, les rares mouvements se situe durant certaines cinématiques, notamment lors de la présentation du Casino de Manny. Pendant les séquences de jeu, les déplacements de Manuel Calavera vont venir effectuer un montage pour changer d’angle de vue.



Since the action during game play is unplanned, cinematography dictates that multiple cameras should be used. […] the view can switch between multiple camera angles thereby exploiting a fundamental feature of cinematography. James Kneafsey & Hugh McCabe



Cela se ressent particulièrement durant la deuxième année du jeu. Le jeu est divisé en quatre parties, permettant surtout de délimiter le jeu en plusieurs niveaux. La deuxième année est un bon exemple de l’utilité de la caméra, étant donné qu’elle se passe entièrement à Rubacava, ville de débauche où Manuel Calavera y tient son casino. Si cette partie est considéré comme l’une des plus difficiles, c’est notamment par la taille de son aire de jeu dans lequel le joueur a vite fait de se perdre. En se déplaçant, le « montage » créé de nombreux changements d’angles de caméras. L’idée est de faciliter l’exploration visuelle ainsi que l’orientation du joueur, le jeu se reposant en grande partie sur la collecte d’outils permettant de débloquer une situation, une énigme. Il est ainsi capital d’aider à la prise d’information dans le décor, en mettant en valeur des éléments avec lequel le joueur peut interagir, comme un ouvre-boite géant sur une boite pour chat géante. A Rubacava, le grand carrefour principal est lisible en grande partie grâce à la caméra, situé en légère plongé, laissant voir les quatre embranchements possibles. Pourtant, le jeu s’amuse beaucoup avec ces notions de lisibilité de l’image. Près de la zone de course de chat se trouve un guichet accessible par le joueur. C’est ici qu’une des énigmes les plus difficile du jeu se situe. Et cela est dû en partie à l’existence d’un contre-champ du guichet, dans lequel se trouve un second guichet. Trouver ce contre-champ devient un défi en soit étant donné que l’angle du premier guichet met déjà en valeur un escalier ainsi qu’un couloir. L’exploration de l’environnement est complexifiée par la grandeur des plans, jouant que très rarement sur des gros plans. L’orientation est parfois flouée par l’existence d’une porte visible uniquement sur une faible portion de l’image. On pourrait presque y voir une volonté de l’équipe de LucasArt de mettre au défi le joueur expérimenté, mais beaucoup peuvent y voir là un défaut.


La caméra virtuelle a aussi pour fonction de mettre en place une mise en scène, de créer une certaine tension dramatique.



By arranging elements on screen in a certain way, film directors can create mood, atmosphere, tension and conflict in the filmic space that is not achievable through any other means. Heather Logas & Daniel Muller



Par l’ajustement des lumières, du jeu d’acteur, de la caméra et de nombreux autres éléments, le réalisateur vient signifier plusieurs émotions pour le spectateur attentif. Dans le film La Corde (1948), Alfred Hitchcock décide de tourner le film en un plan-séquence. Il s’agit évidemment d’un faux, le metteur en scène ne s’en cache pas. Lors d’un affrontement entre deux personnages, il va même jusqu’à couper le plan pour offrir son contre-champ. La coupure offre un surplus de tension à la scène. Dans le cadre de Grim Fandango, c’est surtout l’humour qui vient être mise au premier plan. Durant la troisième année, Manny et son compagnon Glottis se retrouvent sous l’océan. La caméra reste fixe, filmant dans un plan large les deux compères illuminés par la lumière du bateau échoué. Le personnage de Chepito apparait alors, nous apprenant la présence de monstre dans l’obscurité. A ce moment, la caméra coupe le « plan-séquence » et révèle un contre-champ obscur que Chepito vient illuminer, ce qui nous laisse découvrir une horde de monstre attendant à quelques mètres du groupe. La révélation de cet hors-champ est similaire à la mise en scène de Hitchcock, mais vient ici déclencher le rire, par l’absurdité du design des monstres et la façon dont le plan suivant revient sur les personnages principaux, occultant par la suite la présence du danger. On retrouve par la même occasion la fonction remédiation, surtout durant les cinématiques du jeu, reprenant sous plusieurs aspects les codes du film noir.


Pour faire simple, Grim Fandango raconte l’histoire de Manuel Calavera, un mort travaillant au Département des Morts. Le jeu pose intelligemment son univers lors de la cinématique d’introduction, où l’on voit Manny en action, présentant les différentes options de voyage jusqu’au neuvième monde pour les nouveaux morts. Le moyen le plus rapide est le neuf express, un train disponible seulement pour les âmes ayant été enterrées avec suffisamment d’argent. Le tout s’inspire des traditions de la fête des morts au Mexique. L’univers des morts est aussi dépravé que celui des vivants. Le trafic de billet est la cause de l’échec perpétuelle de Manny face à ses clients. Le jeu nous emmène à la recherche d’une des clientes, Mercedes Colomar, destiné au neuf express, mais ayant été détourné du système par l’agent Calavera qui cherché un bon client. Outre ses énigmes assez difficiles mais symptomatique des jeux d’aventures de l’époque, le jeu se doit d’avancer son scénario durant les quatre années de recherches, notamment grâce aux cinématiques. La narration se complexifie par l’interaction possible avec de nombreux personnages non-joueurs. La version remasterisé vient même encourager les joueurs à discuter avec ces personnages, la découverte de certaines lignes de dialogues venant déverrouiller un trophée sur la plateforme de jeu utilisé. Un ajout qui prouve la volonté du studio à pousser les joueurs à la discussion, explorer le travail fourni au niveau des multiples dialogues. Par ces possibilités d’interactions, le jeu se démarque du cinéma dans sa narration. Pourtant, de nombreuses remédiations vers le médium cinématographiques sont utilisé par Tim Schafer et son équipe.


Les séquences de jeu sont généralement cadrées sous forme de plan général, ayant pour but de situer l’action dans lequel le joueur peut interagir. On en revient aux fonctions orientation et exploration, une caméra filmant une portion plus large du territoire aidant à la visualisation et la compréhension de l’environnement. C’est en général lors des dialogues, pendant les séquences de jeu, que le cadre va venir se rapprocher des personnages. On peut, par exemple, avoir un plan rapproché taille lors de la discussion entre Manny et Chinchilla Charlie. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ces séquences utilisent très peu le champ/contre-champs, qu’il s’agit souvent d’un seul plan comprenant les deux personnages. L’un des rares champ/contre-champ du jeu se situe lors de la rencontre avec Mercedes Colomar, permettant de bien mettre en valeur l’arrivé de ce personnage dans la vie de Manny, grâce à la séparation des personnages dans deux plans distincts. Mais en général, la caméra reste assez éloignée. Les cadres plus rapprochés se retrouvent surtout en cinématiques, avec de nombreux gros plans sur des visages. Ces derniers ont pour but de dynamiser la lecture des dialogues en cinématique, de rendre certains instants plus dramatiques, plus percutants. On tombe ici dans une remédiation purement cinématographique. Cependant, le gros plan est aussi utilisé lors des séquences de jeu, visible même plus d’une fois. Le joueur collecte de nombreux objets au cours de sa partie et retrouve tout ce butin dans l’inventaire du personnage. Cet inventaire est diégétisé au sein de la fiction, bien qu’invraisemblable et assez comique. Le jeu propose peu d’interface, surtout dans sa version originale. La version remasterisé ajoute un bouton présentant le costard de Manuel Calavera. En appuyant dessus, le montage vient couper le plan précédent pour nous amener sur un gros plan du torse de Manny. Le joueur peut alors sélectionner un objet en appuyant sur les touches de direction. On voit la main du personnage principal chercher dans le col de son costard, puis en ressortir un objet, et ainsi de suite en fonction de notre recherche. On peut y trouver une faux pliée, un ballon en forme de Capitaine Haddock ou encore un pistolet à « fleur ». Outre l’aspect comique, ce point de vue a pour but un aspect totalement ludique. Il s’agit d’un inventaire dans lequel on peut avoir des informations sur l’objet, dans lequel on peut ranger ou sortir des objets. Une utilisation des codes cinématographiques pour en faire quelque chose de totalement vidéo-ludique.


La caméra étant souvent fixe, Grim Fandango vient faire une remédiation des codes cinématographiques, par un montage analytique, pour permettre au joueur de se déplacer dans l’environnement.



[Un montage] destiné à mieux faire voir, en supprimant l’inutile et en insistant sur l’essentiel. Il doit en même temps se faire oublier, en préservant l’illusion d’une continuité dans l’espace, le temps et l’action. Marie-Claire Ropars-Wuilleumier



Pour faire cela, le jeu fait appel à plusieurs types de raccords. Tout d’abord, le raccord de direction est largement exploité par LucasArt pour rendre les déplacements de Manuel Calavera suffisamment lisible. Nous avons déjà abordé le cas de la ville de Rubacava qui, sans la règle des 180° exploité pour l’enchaînements des plans lors de l’exploration de la ville, nous mènerait rapidement à nous perdre. L’exemple du carrefour permet très bien de voir comment chaque embranchement est relié à une destination par un montage coordonné et logique au niveau de l’espace de jeu. Le tout est couplé au raccord de mouvement du personnage principal. En effet, le contrôle de Manuel Calavera n’est pas interrompu par le changement de plan, bien que la version originale soit réputée pour ses problèmes de contrôle lors des changements de caméra. [...]


Comme préciser plus tôt, l’histoire de Grim Fandango se passe sur 4 années. Le jeu prend le parti pris de ne venir raconter que certains passages de ces 4 années. Des ellipses temporelles sont donc mises en place dans la narration. Par exemple, à la fin de la deuxième année, Manuel Calavera quitte Rubacava en bateau. Ellipse. On retrouve Manny un an plus tard, capitaine de ce même bateau. La traversée a été écourté. La volonté de Tim Schafer est que ses personnages passent quatre années avant d’arriver au neuvième monde, temps maximum qui peut être atteint par les morts au dossier le moins bon, pour rejoindre le paradis. Pour accélérer sa narration, il vient former ces grosses ellipses en affichant des intertitres indiquant « Un an plus tard ». Une autre scène vient montrer une manipulation du temps tout à fait différente. Vers la fin de l’aventure, Manuel Calavera se trouve sur le point d’abattre Hector LeMans, le grand méchant de l’histoire. Pour se faire, il doit récupérer une arme dans le coffre de la voiture de Salvador Limones, le chef des révolutionnaires. Ce dernier ayant été tué, Manny part chercher son corps dans le champ de fleur (les morts ne pouvant mourir qu’à cause de la vie des plantes). Une fois trouvé, une cinématique se déclenche. Il s’agit d’un plan américain en contre-plongée de Calavera, en tenue de faucheuse, dans l’obscurité de la nuit. Sa faux vient s’abattre sur les fleurs pour les découper. La scène est montrée au ralenti. Une volonté très cinématographique, celle d’iconiser son personnage dans son meilleur atout, comme a pu le faire Zack Snyder à la fin de son film Justice League (2021) pour iconiser ses super-héros. Cela marque un moment capital dans le développement du personnage, sur le point de vaincre son dernière adversaire et de finir sa quête.


Le jeu Grim Fandango recèle quelques autres remédiations cinématographiques avec un but très précis : reprendre les codes du film noir. Il s’agit d’un genre né dans les années 40, nommé ainsi par le critique français Nino Frank, suite à la réception d’un corpus de films aux codes similaires, juste après la seconde Guerre Mondiale. Empreint d’une esthétique post-année 30, des films de gangster, de l’expressionnisme allemand ou encore du réalisme poétique français, il s’agit surtout d’un genre bien codifié. [...] Tout d’abord, on peut parler de la remédiation d’un format 1/33 dans le jeu de LucasArt. Certes, les ordinateurs de l’époque était équipé d’écran au format « carré », mais cela apporte une certaine esthétique, les cadrages faisant écho à ce qu’il se faisait dans les années 40, notamment dans le genre du film noir. La version remasterisé propose d’ailleurs de garder ce format (même s’il est possible de le changer) et vient coller sur les bandes noires une esthétique dite « art déco », prônant les lignes droites, l’épure par rapport au superflu. Une esthétique très en vogue durant l’entre-deux-guerres, dont de nombreux bâtiments du jeu en sont inspirés. Outre ce détail, il y a aussi la présence des cartons indiquant les ellipses temporelles d’une année entre chaque chapitre. Un chapitrage ayant une fonction de remédiation, écho direct aux cartons dans le cinéma muet, encore utilisé à l’arrivé du parlant pour quelques effets, comme avec des journaux, ou justement pour proposer des ellipses temporelles. En plus des éléments purement cinématographiques, le genre du film noir possède de nombreux éléments qui sont réutilisés dans Grim Fandango. [...]


Lors d’un interview avec Celia Pearce à la Game Developers Conference de 2003, Tim Schafer a abordé la question de ses références cinématographiques pour Grim Fandango :



Right when we were starting Grim, there was a huge film noir festival in town. It was a strange coincidence, and I saw every single film showing there. Tim Schafer



Comme expliqués durant l’interview, étant passionné depuis son enfance par ce cinéma, Tim Schafer est venu piocher dans le genre extrêmement codifié du film noir pour lui rendre hommage. Il a ainsi plongé son équipe dans un corpus de film, et ils s’en sont inspirés pour construire une partie de l’esthétique de leur projet. Pour beaucoup, le genre du film noir a débuté avec le premier film de John Huston, Le Faucon Maltais (1941), proposant déjà deux clichés propres au genre : la femme fatale et le détective privé. Les personnages sont ambigus, foncièrement mauvais, dans un univers pessimiste. Le travail de Manuel Calavera est figuré dans un monde corrompu, et sa tenue peut rappeler celle d’un détective. Le personnage de Olivia Ofrenda peut rappeler celui de la femme fatale, mais c’est Mercedes Colomar qui devient la conquête amoureuse du héros. La présence d’une romance centrée sur le personnage principal est un trope souvent observé dans le film noir. Un autre élément capital de ce genre cinématographique est l’omniprésence de la cigarette à l’écran. Dès que le personnage de Manny n’est plus contrôlé, il sort une cigarette. De plus, l’introduction de Grim Fandango place directement cet élément lors d’un gros plan sur un cendrier, accompagnant le titre du jeu. Toute la première partie du jeu se situe dans des bureaux typiques des années 30 aux Etats-Unis, presque identique à ceux visible dans Le Faucon Maltais. Mais Grim Fandango vient apporter une touche humoristique à son édifice. Les personnalités de la galerie de mort que l’on rencontre au cours de l’aventure vient signifier une pointe de comédie. Certains personnages sont empreints de clichés inhérents au genre du film noir, voir étant des citations directes à d’autres films, ce qui peut faire preuve d’une notion de parodie. Le film noir reste principalement une approche esthétique pour le jeu de LucasArt.


Dans une vidéo promotionnelle pour la sortie de la version remasterisé de Grim Fandango, Tim Schafer est venu détailler ses 8 inspirations [...]. Parmi les films cités, Tim Schafer érige un titre comme l’inspiration majeur pour son jeu. Il s’agit du film Casablanca, sortie en 1943 et réalisé par Michael Curtiz. Plusieurs points de comparaisons sont à noter. Tout d’abord, au niveau du scénario : Casablanca raconte l’histoire de Rick Blaine, propriétaire d’un bar à Casablanca durant le régime de Vichy. Le scénario tourne principalement autour de lettres de transit qui permettrait à ceux qui les possèdent de fuir la ville en perdition. Le personnage principal interprété par Humphrey Bogart se retrouve alors à devoir sauver son ancienne amour en la laissant partir avec son mari pour continuer le combat contre l’Allemagne nazi. Grim Fandango en reprend donc l’idée des « laissez-passer », ceux permettant d’arriver au neuvième monde dans le pays des morts, et qui font l’objet d’un trafic. Le jeu reprend aussi l’idée du bar, notamment des jeux de casino, que Tim Schafer aura tout autant repris du film Gilda (1946) de Charles Vidor, avec son jeu de la roulette truqué. Les comparaisons avec Casablanca se font surtout sur la morphologie de certains personnages. La tenue de Manuel Calavera au Calavera Café est directement repris de celle d’Humphrey Bogart, un smoking blanc avec un nœud papillon noir. Le personnage d’Hector LeMans et son ventre proéminant sont inspirés du rival de Rick Blaine, Señor Ferrari, interprété par Sydney Greenstreet. On peut aussi voir des similitudes chez le personnage de Chinchilla Charlie reprenant les traits de caractères du personnage de Ugarte, interprété par Peter Lorre, ou encore le personnage du Commissaire Bogen inspiré du Capitaine Louis Renault, de par leurs fonctions respectives, interprété par Claude Rains dans l’œuvre de Michael Curtiz. Cependant, durant l’interview de Tim Schafer par Celia Pearce [...], le créateur de Manuel Calavera présente son héros comme inspiré du personnage de Walter Neff, interprété par Fred MacMurray dans le film Assurance sur la mort (1944) de Billy Wilder. En effet, ce personnage se retrouve embarqué dans une affaire plus grande que sa personne, après être tombé sous le charme de Phyllis Dietrichson, interprété par Barbara Stanwyck. Une petite erreur de jugement qui l’embarque dans le monde du crime. Bien que leurs fins soient différentes du couple Calavera/Colomar, le personnage de Walter Neff évolue d’une manière assez similaire à celle de Manny, les deux étant parfois maladroits. Tim Schafer s’est aussi inspiré d’œuvres comme Le Grand Chantage (Alexander Mackendrick, 1957) ou encore Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston, 1948) pour leurs soutirer quelques lignes de dialogues, en faisant des citations directes.


Grim Fandango est une œuvre vidéo-ludique se présentant comme un grand hommage au genre cinématographique du film noir. Qu’il s’agisse de sa caméra, des remédiations visibles au sein du jeu, et des références directes à certaines œuvres filmiques, l’œuvre de Tim Schafer et de l’équipe de LucasArt arrive à réinterpréter les codes d’un genre cinématographique au sein d’une œuvre purement interactive. La caméra vient souligner l’intelligence de la création des niveaux, les nombreuses interactions avec les personnages visible dans le jeu apporte une plu value aux joueurs qui s’en donneront la peine, et par l’usage du système « pointer et cliquer », Grim Fandango se voit supporter par un studio passé maître dans le genre. Malgré un échec commercial à sa sortie, Grim Fandango possède un aura culte auprès des anciens joueurs et des nouveaux pouvant enfin l’apprécier grâce à la version remasterisé. Grim Fandango prouve que le jeu vidéo respecte ses ainés tout en usant de leurs codes d’une manière nouvelle. Grim Fandango relate l’appropriation même du cinéma par le médium vidéo-ludique.



Bibliographie



Gilbert, Ron. 1989. « Why Adventure Games Suck (And What We Can Do About It) ». Grumpy Gamer, mai 2004, en ligne.


Kneafsey, James et McCabe, Hugh. 2005. « CameraBots: Cinematography for Games with Non-Player Characters as Camera Operators ». DiGRA '05 - Proceedings of the 2005 DiGRA International Conference: Changing Views: Worlds in Play, vol 3, p3.


Krichane, Selim. 2018. La caméra virtuelle : Jeux vidéo et modes de visualisation. Genève : Georg Editeur.


Logas, Heather et Muller, Daniel. 2005. « Mise-en-scène Applied to Level Design: Adapting a Holistic Approach to Level Design ». DiGRA '05 - Proceedings of the 2005 DiGRA International Conference: Changing Views: Worlds in Play, vol 3, p2.


Moine, Raphaëlle. 2008. Les genres du cinéma. Malakoff : Armand Colin.


Pearce, Celia. 2003. « Game Noir - A Conversation with Tim Schafer ». Games Studies, vol 3, n° mai 2003, en ligne.


Ropars-Wuilleumier, Marie-Claire. 2009.« Fonction du montage dans la constitution du récit au cinéma ». Le Temps d'une pensée : Du montage à l'esthétique plurielle. Saint-Denis : Presses universitaires de Vincennes, en ligne.


« Architecture et décoration au Pays des Morts ». Le Pays des Morts sur Internet. En ligne.


Double Fine Productions. 2018. « 8 Inspirations for Grim Fandango ». En ligne.


Double Fine Productions. 2014. « The Making of Grim Fandango Remastered : Episode 1 ». En ligne.


Double Fine Productions. 2014. « The Making of Grim Fandango Remastered : Episode 2 ». En ligne.


Double Fine Productions. 2015. « The Making of Grim Fandango Remastered : Episode 3 ». En ligne.


Plouf et Pseudoless. 2021. « Que retenir de GRIM FANDANGO ? ». En ligne.

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le 28 nov. 2021

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