Comme une vilaine et mauvaise habitude, j'ai appris l'existence de Journey bien après la bataille.
Quand tu es naïf comme moi et qu'on te vend le truc comme le nouveau messie vidéo ludique et qu'en plus il est classé au top 111 de senscritique, t'as tendance à foncer tête baissée sans te méfier.

Alors allons-y.

« Poésie ».
C'est le mot qui est sorti le plus souvent au courant de la discussion avec mes potes. On retrouve ce mot dans beaucoup de critiques de fans conquis, le jeu fait même parti d'une liste douteuse sur la prétendue poésie vidéo-ludique. Il y a aussi le mot « beauté » qui ressort énormément ainsi que « liberté », « expérience unique »... Bref, que de grands atouts pour ce jeu ! Des atouts peu communs dans le monde du jeu vidéo à vrai dire.

Moi, quand je pense à de la poésie, je pense tout de suite à des trucs du genre :

« Mes yeux gris reflètent un hiver
qui paralyse les cœurs meurtris
mon regard vient de l'ère glaciaire
mon esprit est une fleur flétrie
je n'ai plus rien à exposer
dans la galerie des sentiments
je laisse ma place aux nouveaux-nés
sur le marché des morts-vivants »

Ça me transporte parce que je trouve ça beau, ça me parle. Je crois comprendre ce que me dit l'artiste.
La poésie, c'est quelque chose qui touche chacun différemment, peut être que certain d'entre vous n'ont pas aimé le petit texte ci dessus et ne le considérerons pas comme poétique. Et clairement, la poésie quand ça vous touche pas, ça peut devenir pénible et insipide. De la même manière que j'adore Lamartine, j'ai jamais accroché à Claudel. Tous deux poètes. Chacun a donc sa notion de la poésie, de ce qui va le toucher, l'émouvoir.

Dans le monde du jeu vidéo, on ne peut pas dire que « poésie » soit un mot qui soit légion. Mais à mes yeux, il existe bon nombre de jeux poétiques parce qu'ils touchent à certaines émotions qui m'interpellent. Prenons par exemple Toy Commander sorti en 1999 sur notre défunte (et irremplaçable) Dreamcast. En gros, à travers des jouets qui prennent vie, nous participons à la construction d'un enfant vers l'age adulte. Grâce à nous, il va accomplir le rêve d'une vie. Et ça, c'est quelque chose qui m'interpelle et qui arrive à m'émouvoir.
Un autre exemple, Chibi Robo sorti en 2006 sur Gamecube. Nous incarnons un petit robot haut comme trois pommes qui va devoir redonner le sourire à une famille qui se déchire. Sous des missions banales se cache une quête noble que je qualifierais de poétique. Redonner le sourire au gens, ça me parle.
En comparaison, la poésie de Journey, puisque poésie il semble y avoir, n'est que purement contemplative. Seulement moi, le contemplatif, ça me gonfle. De la même manière que je n'ai pas accroché à « Une histoire vraie » de Lynch, film purement contemplatif, je n'ai pas du tout adhéré à cette poésie pixelisée baignant dans une atmosphère toute en apesanteur.

Ce côté contemplatif nous amène donc à nous questionner sur l’aspect « beauté du jeu ».
Là encore, la définition va être propre à chacun. Dans Heavy Rain, on peut dire que, même si il est graphiquement impeccable, le jeu n'est pas spécialement beau car il ne joue pas sur le contemplatif. La beauté dans le jeu vidéo selon moi est assez propre aux jeux qui touchent à des mondes imaginaires (encore que ça puisse être discutable). Mais là aussi, tout dépend des goûts de chacun.
De la même façon que je n'accroche pas à Picasso dans sa période cubiste, j’adhère totalement à Hopper qui pourtant représente un aspect de la réalité (sublimé, certes). Je trouve le soft plus proche du cubisme de Picasso, en particulier pour les avatars, que du réalisme de Hopper qui a pourtant un côté fantastique (au sens littéraire du terme).

http://www.gameblog.fr/images/jeux/6612/Journey_PS%20Network_Editeur_015.jpg

http://www.insecula.com/PhotosNew/00/00/08/84/ME0000088496_2.JPG

(C'est mon sentiment à moi, hein). Mais voyez, ce genre là de graphisme, c'est pas mon truc.

Dans le monde du jeu vidéo, il ne faut pas faire l'amalgame entre puissance d'une console et beauté d'un soft. La beauté d'un jeu va dépendre aussi de ce qu'il nous fait ressentir dans son histoire et des impressions que vont nous laisser les créateurs (en gros, on va ressentir ou non qu'ils se sont cassé le cul à faire un beau jeu).
Je prendrais en exemple l'excellentissime Grandia 2 sur Dreamcast. Le jeu a 12 ans et pourtant, il n'a pas à rougir devant les productions actuelles, car l'harmonie des atmosphères est juste parfaite et le soucis du détail impressionnant :

http://static.actujeux.orange.fr/images/n/9/b/3/grd2pc004.jpg

Honnêtement, ça déchire, hein ? Non ? Bon...

En jouant à Journey, j'ai eu le sentiment qu'on voulait m'en mettre plein la vue sans réellement s'attacher à une cohérence entre l'environnement et l'histoire. En gros, ça se passe dans le désert parce que... on sait pas. Et honnêtement, ça m'a dérangé de pas savoir ce que je foutais là.
Y'a un passage assez évocateur, où notre avatar glisse sur du sable et passe devant un coucher de soleil entre des arches. C'est joli visuellement, mais c'est purement contemplatif, ça n'apporte rien. Pour m'émouvoir devant un coucher de soleil pixelisé il aurait fallu que le jeu me donne envie de le découvrir par moi même et ne me l'impose pas. Et c'est là l'aspect le plus dérangeant de Journey selon moi, le jeu est ultra dirigiste.
Je suis bien plus attiré par la beauté nue de l'océan sur lequel navigue Link dans The Wind Waker que par ce désert qu'on me fait découvrir. Les choix, je ne les fais pas moi même, du coup rien ne me surprend et je ne suis pas émerveillé là où le jeu voudrait que je le sois puisque je n’adhère pas à l'aspect « contemplatif » du soft.

Pour finir ma démonstration du pourquoi je trouve que Journey n'a rien d’exceptionnel, je me pencherais sur le cas Minecraft. Minecraft est moche, tout le monde en conviendra. Pourtant, quand je me balade librement dans le jeu à la poursuite des objectifs que je me suis fixé et que je tombe sur une montagne enneigée, du haut de laquelle coule une cascade, le tout surplombé par une île céleste recouverte d'arbres, je reste sans voix. Je trouve mon aventure réellement belle et poétique et pourtant, c'est vraiment moche d'un point de vue graphique. Vous comprenez ce que je veux dire ?
C'est vraiment une question d'ambiance et de contexte.

Je passe maintenant à la phase qui va en faire râler plus d'un, mais voilà mon sentiment profond.
Je pense que si on ne connaît pas beaucoup le jeu vidéo, si on aime jouer occasionnellement, on adhérera à 100% à Journey. D'autant plus si l'on considère que le jeu vidéo est un passe temps, un loisir. Car Journey a pour lui d'offrir quelque chose d'original dans un décor qui peut s’avérer fascinant.
Si par contre comme moi tu es un afficionados, si tu as roulé ta bosse, si tu joues depuis tout petit et que le syndrome ne t'as jamais lâché et que pour toi, le jeu vidéo est un art, un vrai qui sait procurer de vraies émotions, au moins autant qu'un bon bouquin ou qu'un bon film (même un Lynch à la limite) tu risques de t'ennuyer devant Journey tant il propose des choses qui existent déjà. Ce qui est tout bonnement paradoxal. Journey va te dérouler un voyage, j'aurais voulu le composer moi même ou au moins en avoir le sentiment. Journey c'est un jeu où tu ne joues pas, tu voyages, tu regardes. Et malheureusement si tu n’adhère pas, tu subis.

Donc finalement que reste t'il de Journey si on ne le trouve ni poétique, ni beau ?
Pas grand chose.
On salue l'originalité du soft, l'aisance de la maniabilité, les chouettes musiques. Mais selon moi ça ne suffit pas à faire un bon jeu ni même un jeu tout court.
villou
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le 18 févr. 2013

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