La Vie est belle
Life Is Strange pourrait être défini de bien des manières mais ce que ma mémoire de joueur retiendra c’est qu’il s’agit du premier jeu vidéo m’ayant donné le sentiment d’être humain. Jamais une...
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le 3 févr. 2015
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N.B. Ma note, ma critique et mon interprétation datent en fait de 2017. Je les ai rédigées après avoir regardé et joué au jeu plusieurs fois. Depuis, de nombreux Life Is Strange sont sortis, notamment une version remastérisée de ce jeu et de Before the Storm.
La vie est… bizarre. Parfois, on n’attend rien d’une œuvre et on se prend une claque en plein cœur. Parfois, on en attend beaucoup et on est déçu de l’expérience. Et parfois on s’attend à vivre une belle aventure… et le résultat est au-delà de nos espérances.
Life Is Strange, ou LIS pour les intimes, est un voyage vidéoludique inoubliable, une aventure émotionnelle intense dont on ne sort pas indemne. Quand les derniers mots du générique de fin s’affichent, que la dernière note de la chanson résonne, les êtres virtuels qui ont peuplé ces quelques dizaines d’heures de notre vie sont encore présents dans notre esprit. Ils nous hantent durant des jours, des semaines. Ils nous inspirent, nous interrogent, nous encouragent.
Alors on pense aux vrais êtres humains qui sont à l’origine de cette œuvre, et on a envie de les serrer dans nos bras, de leur dire à quel point on est reconnaissant, de tenter de leur exprimer combien leur enfant numérique a marqué notre vie, combien il nous a changé, ému, bouleversé. On a envie de leur dire à quel point on les aime sans même les connaitre ni les avoir jamais rencontrés. On a envie de leur dire que l’on a compris, que l’on se sent proches d’eux, même intimes. Car ce jeu respire l’humanité… et inspire la nôtre.
Life Is Strange s’adresse à un public adolescent ou adulte. C’est une histoire interactive. La jouabilité se limite donc à déplacer le personnage, à interagir avec certains objets et à prendre des décisions qui vont influencer — parfois de manière anecdotique, parfois de manière profonde, parfois à court terme, parfois longtemps après — le destin du personnage que l’on incarne, la jeune Max, et de ceux qui l’entourent dans la ville fictive d’Arcadia Bay. D’aucuns lui reprocheront ce manque d’interactivité par rapport aux jeux vidéo traditionnels, mais ce serait injuste, voire stupide, étant donné que c’est le concept même de sa création. Disons plutôt que ce genre précis ne peut convenir à tout profil de joueur. Il y a un aspect contemplatif certain et assumé auquel on doit adhérer pour pleinement profiter de l’expérience, ainsi qu’un gout pour l’investigation et la lecture. Il se divise en cinq épisodes, comme une série, et du fait de son genre, peut tout à fait être apprécié comme telle sans en être le joueur.
Le jeu est développé par le studio français Dontnod, est édité par la société japonaise Square Enix et se déroule aux États-Unis en 2013. L’histoire est donc ancrée dans la culture américaine contemporaine, en particulier celles de lycéens d’une petite ville côtière, mais les influences française et japonaise se font sentir par petites touches parfois subtiles, ce qui donne un mélange unique. Malgré son ancrage culturel très marqué dans un lieu et une époque (avec notamment les codes d’une jeunesse américaine « connectée »), il arrive paradoxalement, en fin de compte, à avoir une résonance universelle et intemporelle grâce à certaines trouvailles lumineuses. Il n’interdit notamment jamais au joueur d’interpréter les choses à sa façon, ce qui peut donner lieu à une frénésie de théories toutes plus folles les unes que les autres. Ainsi, le pouvoir utilisé peut être perçu comme une belle métaphore du regret, pour un jeu qui aurait pu s’intituler What If…
Si l’on peut craindre quelques clichés en jouant au premier épisode, ils sont balayés par la suite, à mesure que l’histoire et les personnages prennent de l’ampleur, pour peu que l’on s’attarde sur les nombreux détails et histoires secondaires qui parsèment le monde de LIS. Personne n’est vraiment ce qu’il parait être, ou du moins pas seulement ça. Le journal de Max a une grande importance à cet égard, comme il relate sa vision des choses et des gens (en partie en fonction de nos choix), et il est très bénéfique de le lire régulièrement pour améliorer l’immersion.
Life Is Strange est surprenant à plus d’un titre. Le jeu, sous ses airs de peinture colorée, lumineuse et nostalgique, se révèle parfois d’une noirceur inattendue. Son scénario, que l’on pourrait craindre dans un premier temps conventionnel, prend des chemins audacieux et étonnants. On se prend parfois à attendre, à espérer, à prier de pouvoir choisir l’option A plutôt que B, mais on se retrouve finalement devant une alternative totalement différente dans une situation que l’on n’avait pas vue venir.
Les choix sont en effet parfois cornéliens et nous obligent à sacrifier une partie de nous (le cœur ou la raison), car, comme dans la vie, on ne peut pas tout avoir. Les fins d’épisodes sont dignes des meilleures séries dramatiques : tantôt touchantes, tantôt poignantes, tantôt glaçantes… mais toujours marquantes.
Le jeu aborde de nombreux thèmes, parmi lesquels les arts et les sciences tiennent une place importante. La photographie, le dessin, la physique sont au premier plan, mais la culture geek d’une manière générale est omniprésente. Certains thèmes sociaux sont propres ou presque à la culture américaine, comme un certain type de harcèlement scolaire, mais ils sont si nombreux qu’il est difficile de ne pas se sentir concerné à un moment ou à un autre par l’un d’entre eux, ou ne pas reconnaitre dans un personnage quelqu’un de notre entourage ou que l’on a connu.
Le jeu a indéniablement des défauts. Techniques, pour l’essentiel. Les sous-titres en français en sont un parmi d’autres en raison de leur mauvaise synchronisation et répartition (l’adaptation, elle, sans être un modèle du genre, est honnête). Être anglophone est donc un avantage indiscutable pour apprécier à leur juste valeur l’ambiance et l’histoire du jeu (les sous-titres en anglais n’ayant de plus pas les mêmes problèmes).
Le titre souffre également d’une animation moyenne (bien loin d’un The Last of Us), et parfois de problèmes d’affichage, entre autres bugs. Il n’est également pas toujours très stable.
Heureusement, tous ces défauts techniques ne suffisent pas à enrayer la machine à fabriquer de la beauté qu’est LIS. La direction artistique est remarquable et semble s’améliorer à chaque épisode.
Un des piliers de cette beauté est sans aucun doute la bande originale. Sans conteste une des meilleures du jeu vidéo. D’autant plus qu’elle s’intègre parfois à l’histoire, va jusqu’à jouer son propre rôle. On a donc le droit à un défilé magique de la scène indépendante, essentiellement folk. Le groupe français Syd Matters et son chanteur Jonathan Morali signent notamment les musiques d’ambiance du jeu, ainsi que deux chansons tirées d’un précédent album. Mais de nombreux autres titres de divers groupes parsèment l’univers musical de LIS.
Mais venons-en à la question fatidique. Comment savoir si LIS est fait pour nous quand on n’a jamais joué à ce genre de jeux auparavant ? La réponse est sans appel : il faut jouer ou regarder le premier épisode. Le jeu joue beaucoup sur l’empathie et l’antipathie envers les personnages. Si l’on accroche à l’ambiance, à l’esprit, aux personnages dès le départ, alors l’expérience intégrale sera inoubliable. Si l’on est rebuté ou que l’on s’ennuie dès le premier épisode, ce jeu n’est tout simplement pas fait pour nous et il vaut mieux s’arrêter là. Si l’on est mitigé, alors l’espoir est permis, car le titre ne fait que monter en puissance.
Life Is Strange est donc une œuvre surprenante empreinte de douceur et de cruauté, d’humour et de mélancolie, de rêve et de nostalgie. C’est une ode à l’humanité, à l’amitié, à l’amour, à la vie, à l’espoir. Au moins pour ceux qui n’ont pas encore totalement oublié leur âme d’enfant ou d’adolescent. C’est un voyage intime que l’on fait en vibrant au rythme de la musique et des aventures de ses personnages.
Et enfin, après un final grandiose, dépendant des choix que l’on a faits, on reste pantois, en état de choc, en se demandant comment on a pu vivre durant tout ce temps sans connaitre cette expérience et comment on va pouvoir continuer sans. On décide alors que l’on ne peut pas, qu’il n’y a pas de raison de le faire, et, après avoir retrouvé nos esprits, on décide de se replonger dedans pour vivre une autre histoire, tout aussi belle.
Introduction
Voici mon interprétation… Je ne remets pas forcément en cause tout ce qui nous est montré et raconté, mais j’y vois une histoire à (au moins) double lecture. Il y a la lecture au premier degré dans laquelle Max va tout faire pour sauver sa meilleure amie Chloe Price d’une mort violente qui semble lui être destinée tout en sauvant la ville et ses habitants d’un péril majeur. Mais si on regarde les choses sous un autre angle, plus symbolique ou psychologique, on peut y voir une autre histoire, avec un autre message, qui reste au fond pourtant très proche.
Mon interprétation en résumé
Pour moi, Life Is Strange (au même titre que Before the Storm) n’est pas un univers fantastique. Il ne contient aucun élément magique ou surnaturel, car l’immense majorité de ce que l’on vit au cours du jeu n’est pas la réalité mais ce qui se passe dans l’esprit de Maxine Caulfield. Pour moi, cette œuvre traite symboliquement de la dépression que traverse ce personnage (symbolisée également par le personnage de Kate Marsh). Chloe est morte, tuée par Nathan dans les toilettes de l’académie, et Max n’a donc jamais pu la revoir depuis son départ pour Seattle. Le pouvoir que se découvre Max n’est que la tragique et magnifique métaphore de ses regrets… et de son sentiment de culpabilité, qui nous accompagne durant tout le jeu.
Indices et éléments concordants
Arcadia Bay est une ville fictive.
Max est le seul personnage jouable de LIS.
Il n’y a aucun élément fantastique dans Before the Storm.
L’épisode bonus Farewell de Before the Storm ne contient aucun élément fantastique (pas même à venir) et révèle déjà clairement un premier traumatisme (la mort de William la veille du départ de Max pour Seattle, l’enterrement de William, qui fait écho à celui de Chloe).
Max est la seule à apparaitre sur la jaquette du jeu.
Son pouvoir sur les photos ne fonctionne que si elle est dessus (à une exception).
Le sang quand elle fait trop appel à son pouvoir.
Les choses empirent à chaque fois qu’elle sauve Chloe.
Le jeu commence dans la tête de Max avec sa vision de la tornade et se termine avec cette tornade.
La séquence de l’épisode 5 dans la tête de Max.
Les paroles de Spanish Sahara, la chanson de la fin où on choisit Arcadia Bay.
Le carton d’affaires personnelles de Chloe que Joyce donne à Max.
L’enterrement de fin où Max semble invisible pour tout le monde (ainsi que le papillon).
L’autre fin et la mélancolie de Max, les biches.
Les éléments magiques ou surnaturels
Le pouvoir de Max : remonter le temps à l’aide de sa mémoire à court terme ou de photos où elle apparait (sauf celle du papillon, le déclencheur).
La présence de certains animaux (ou certains comportements d’animaux) : le papillon bleu, l’oiseau bleu, la biche fantomatique, les écureuils, les oiseaux morts, les baleines échouées…
Les évènements météorologiques (la chute de neige sous le soleil, l’éclipse solaire non prévue, la double lune et enfin la tornade géante).
Qu’est-ce qui est réel ?
Pour expliquer les choses simplement : rien. Tout ce que l’on vit et voit au cours du jeu, ce sont soit des souvenirs de ce que Max a vécu (fidèles ou modifiés), soit des choses dont elle a entendu parler (et qu’elle modifie ou pas), soit de purs fantasmes ou inventions de son esprit.
Donc qu’est-ce qui correspond à la réalité (c’est-à-dire à ce qui s’est effectivement passé à un moment donné) ? Commençons par le plus important : Maxine Caulfield existe, évidemment. De même qu’Aracadia Bay et bon nombre de ses lieux (l’académie Blackwell, le Two Whales, le phare, etc.) et habitants (la question se pose pour certains, comme la vieille dame sans-abri). Le passé de Chloe et celui de Rachel Amber sont vrais (confirmés par Before the Storm). L’évènement déclencheur à l’origine de toute cette histoire, à savoir le meurtre de Chloe par Nathan est également réel, mais tout ce qui se passe par la suite est selon moi imaginé par Max (voire écrit par elle). On peut cependant voir des bribes de la réalité dans les photos de la première fin (celle où on sacrifie Chloe), qui résument la semaine.
Le meurtre de Chloe est le traumatisme majeur qui déclenche la dépression de Max, qui doit faire face à une succession de réalités difficiles à accepter : la mort violente d’une ex-étudiante par un de ses camarades de classe, donc, mais aussi le fait qu’elle découvre seulement après qu’il s’agit de Chloe et prend conscience à la fois qu’il est trop tard pour reprendre contact avec elle et qu’elle aurait peut-être pu changer les choses si elle l’avait fait (sentiment de culpabilité). Sans compter que l’arrestation de Nathan entraine la découverte des activités de Jefferson (son prof préféré), son arrestation et la découverte du cadavre de Rachel Amber (comme on peut le voir dans la première fin). À noter aussi que Joyce confie à Max un carton d’affaires personnelles de Chloe, qui contient surement beaucoup de précieux souvenirs qui peuvent aussi bien l’aider ou la rendre nostalgique et triste que nourrir son imagination en pensant à ce qu’aurait pu être sa vie si elle avait pu changer les choses.
Comment les choses se sont passées selon moi ?
Là on entre véritablement dans le domaine de la théorie et non plus de l’interprétation. Voici mon hypothèse grâce aux photos de fin.
Chloe est tuée par Nathan comme on le voit dans la première fin. Il n’est pas certain que Max assiste réellement à cette tragédie, impuissante, car il n’est pas nécessaire que ce soit le cas : l’évènement (et tout ce qu’il va déclencher) est déjà suffisamment traumatisant et culpabilisant pour justifier une dépression, d’autant plus que Max est déjà plutôt déprimée par sa rentrée à en croire son journal.
Chloe morte, s’ensuit donc tout un tas d’évènements bouleversant la vie de l’académie : l’arrestation de Nathan (un Prescott, rappelons-le), la découverte des activités de Jefferson, son arrestation, la découverte du cadavre de Rachel Amber… et, on l’imagine, pas mal d’autres choses.
À la suite de ça, Joyce va donc confier à Max ce fameux carton d’affaires personnelles de Chloe (qui contient des photos à n’en pas douter, mais on sait aussi par exemple, avec Before the Storm, que Chloe a notamment tenu un journal adressé à Max durant son absence…). Je pense que découvrir le contenu de ce carton a un grand impact dans l’esprit de Max et va entrainer chez elle une tornade (comme l’exprime la chanson finale Spanish Sahara) d’émotions et de projections sur ce qu’elle aurait voulu ou pu faire pour changer le cours des évènements (et ces projections sont la majeure partie de ce que l’on vit pendant le jeu, selon moi).
Le choix final
Il faut bien prendre conscience que, lors de cette décision finale, tout ce que l’on a fait durant cette semaine est balayé d’une manière ou d’une autre : par la tornade elle-même ou par le retour dans le temps et l’annulation du sauvetage de Chloe qui a déclenché tout le processus. Donc le fait que rien ne soit réel, dans le cas du premier choix, ne change finalement pas grand-chose.
Alors, le choix final, sauver Chloe ou Arcadia Bay — en somme, choisir entre la mort et la destruction d’une ville entière ou l’acceptation d’un drame qui semble écrit — prend un autre sens — le suicide ou la vie —, mais reste le même dans l’esprit. Il s’agit toujours de choisir entre la vie et la mort. C’est le point culminant décisif de la lutte intérieure de Max. Va-t-elle quitter ce monde pour rejoindre Chloe car son sentiment de culpabilité est trop fort (et donc « sacrifier » Arcadia Bay, tout ce qui était sa vie, et la quitter comme on peut le voir dans la séquence finale), ou va-t-elle accepter la mort de sa meilleure amie, faire son deuil et continuer sa propre vie ?
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Créée
le 10 mai 2025
Écrit par
Life Is Strange pourrait être défini de bien des manières mais ce que ma mémoire de joueur retiendra c’est qu’il s’agit du premier jeu vidéo m’ayant donné le sentiment d’être humain. Jamais une...
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le 3 févr. 2015
98 j'aime
7
Ceci n'est pas une critiqueVoici des liens vers des critiques qui reflètent mon avis : http://bit.ly/1NyXCrg et http://bit.ly/1HPEXlM Vous pouvez vous lancer dans cette lecture une fois l'épisode 1...
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