Life is Strange est par bien des côtés quelque peu schizophrène. C'est tout d'abord sans conteste un jeu qui essaie de sortir des carcans dans lesquels sont enfermés les jeux vidéo. On y incarne en effet une lycéenne de terminale de nature timide et renfermée, qui retourne dans sa ville natale dans l'Oregon après avoir passé 5 ans à Seattle, pour étudier la photographie. Toutefois, à peine sorti de ses gonds, il semble vouloir s'enfermer dans une autre cage. Je parle bien entendu du côté Sundance monté en épingle ici et là par de nombreux "tests" du jeu.


Mais à vrai dire, ce qui m'inquiétait le plus, c'était la légitimité de ce jeu. Pourquoi diable des français vont-ils aller raconter l'histoire fantasmée d'une étudiante dans l'Oregon ? Pire encore, et comme le générique me l'a bien confirmé, c'est un homme qui s'est attelé à l'écriture du jeu, qui allait donc devoir se mettre dans la peau d'une jeune fille et nous faire partager ses émois. D'ailleurs, il y a très peu de femmes dans l'équipe, mais passons. Je sais que c'est le boulot de l'écrivain de se mettre à la place d'autres personnes mais quand on voit le niveau d'écriture général dans le jeu vidéo, il y a de quoi avoir peur.


Et pourtant. Pourtant ça marche. Manette en main, c'est un vrai plaisir de contrôler Maxine Caulfield et de découvrir le lycée à ses côtés. Quand elle fait la moue, on soupire. Quand elle rit, on sourit. Si le jeu n'est pas extrêmement joli, et les animations faciales peu convaincantes (Unreal Engine 3 oblige), les environnements sont tellement denses et bien construits qu'on se prend vite au jeu. Tableaux d'affichage, élèves, tags, objets, Max a beau ne pas beaucoup parler, elle a pourtant des tas de choses à nous confier. La visite des dortoirs est à ce sujet un grand moment. Une fois dans la chambre de Max, on se traîne. On fait les 100 pas. On regarde les garçons se faire des passes dehors et on se prend en photo dans le miroir. On joue un air de guitare mélancolique, puis on regarde le plafond, allongé sur le lit, ourson de peluche dans les bras. On rigole en voyant notre maigre garde-robe, surtout en comparaison de celle de Victoria, la pimbêche de service. On attend. On respire. On est Max Caulfield.


Et ça, wow, ça ne m'était pas arrivé depuis une éternité. Voire depuis toujours ? Je crois que je n'ai jamais vécu un tel sentiment d'harmonie dans un jeu, l'impression d'être un personnage qui m'est pourtant à priori totalement étranger. Et cela perdure, quand on lit son journal, avec des réactions typiquement lycéennes, quand on parle avec ses amis, quand on retrouve Chloe, cette vieille amie qu'on avait vite abandonné. C'est une sensation prégnante. Pour paraphraser Erwan Higuinen (Inrocks, Games) : "Life is Strange excelle dans la pause, la stase."


Après, il y a quand même des maladresses. Max qui ne comprend pas des trucs qui nous semblent pourtant totalement évidents. Tous les personnages secondaires ne se valent pas : Victoria et Nathan sont plutôt pathétiques et creux, Warren est agaçant, mais Chloe est fantastique. Au niveau du gameplay, on est au parfait croisement entre un jeu Quantic Dream et Telltale. Comme dans le premier, on a un certain contrôle sur l'environnement, et le système de choix/conséquence s'inspire largement du second. Personnellement ça me va, surtout que les zones de jeu sont suffisamment grandes et intéressantes pour se balader. Dommage cependant que les aires soient fermées : on ne peut pas revenir en arrière. De manière spatiale en tout cas, puisque Max possède le pouvoir de revenir dans le temps afin de tester les différents choix avant de nous faire un avis définitif, ce qui est vraiment une excellente idée, et j'espère que cette faculté aura une véritable influence sur le scénario.


Au niveau des déceptions, j'aimerais également souligner le fait que je ne comprends vraiment pas pourquoi le jeu se passe dans l'Oregon. J'imagine que ça se justifie par des arguments marketings (le jeu est distribué par Square Enix quand même), mais c'est rageant ! On aurait pu imaginer le jeu prendre place en France, à Paris ou en province, qu'importe. Je déteste mettre mon avis en opposition aux choix effectués par les artistes, mais j'aurais adoré voir un jeu se rapprocher des Quatre Cents Coups de Truffaut par exemple. Surtout que comme je le disais plus haut, Dontnod n'a pas vraiment de légitimité à faire un tel jeu, étant un studio français ! C'est juste dommage.


Enfin, ça n'empêche pas Life is Strange d'être une douce surprise. Doux et amer, étonnamment bien écrit, ces quelques heures en compagnie de Max ouvre un tiroir à potentiel gigantesque. Pour peu que les épisodes suivants soient aussi réussis, Life is Strange a le potentiel de devenir un jeu iconique, de faire avancer un peu plus le jeu d'aventure, alors que Telltale semble se parodier de plus en plus. En tout cas, j'attends la suite de pied ferme.

khms
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le 13 févr. 2015

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