Limbo
7.5
Limbo

Jeu de PlayDead, Arnt Jensen, Dino Patti et Jeppe Carlsen (2010Nintendo Switch)

“En déchirant (l’)enfance [...] le paradis se confond avec les limbes”

Citation de Hervé Bazin dont voici la version entière : “En déchirant mon enfance je touche à celle des autres. Comme l'âge d'or, dont on prétend qu'il se trouve derrière nous, le paradis se confond avec les limbes.”


Quand on parle de jeux indépendants sortis durant la décennie 2010, deux jeux reviennent tout le temps : Limbo et Hollow Knight. Et même si comme beaucoup, je préfère ce dernier, il faut bien avouer que contrairement à Hollow Knight, il y a eu un avant et un après Limbo dans le monde du jeu vidéo indépendant. C’est sans doute lié au fait qu’il a apporté au grand public, au même moment que Dark Souls, les clefs de la narration moderne, nous plaçant au milieu de celle-ci sans jamais nous la montrer frontalement (à ne pas confondre avec les lors limités voir inexistants des premier jeu vidéo). Le succès de Limbo résulte selon moi en 3 points parfaitement maîtrisés et pionniers dans leur utilisation: son histoire brillamment vidéoludique, son level design novateur et son ambiance marquante. Alors pour comprendre ce qui fait de Limbo l’Ovni vidéoludique des années 2010, il faut discerner comment Limbo a su fabriquer ses trois éléments, rassemblés derrières la question : Comment Playdead, le studio Danois à l’origine de Limbo, a défini voir redéfini ce qu’est le jeu vidéo.


Ce qui différencie le jeux vidéo des autres arts (en particulier le cinéma), c’est son interactivité qui amène le joueur à participer activement. Dans un film on s’identifie à un héro (et à d’autres personnages/situations), dans un jeu vidéo on est, dans des mesures variables, le héro (par exemple : qu’on le contrôle ou pas, Cloud restera Cloud, on peut difficilement en dire de même des derniers protagonistes de la licence pokémon). Cette nouveauté artistique c’est malheureusement souvent limité à 2 rôles celui du narrateur (ex : le premier zelda) qui nous fait raconter notre propre histoire et celui du spectateur (99 % des jeux actuels) où l’on assiste omniscient au spectacle proposé, à ceci près qu’on doit appuyer sur des boutons pour que l’histoire évolue. Limbo est de ces jeux qui ont intelligemment contourné cette répétitivité du rôle du joueur (je tiens à citer Fire Emblem 7 où le stratège est membre à part entière de l’équipe), en faisant, comme pour Dark Souls Dark Souls, de son héro qui n’est qu’un personne, donc un peu nous même, image renforcée par la perte du statut d’omniscient autant dans la connaissance de l’univers que de la conscience de ceux qui la arpentent.


Limbo commence par un petit garçon qui se réveil et qui doit avancer dans une direction donnée, et c’est tout. Si le non attentionné ne va se concentrer sur le level design et penser à une histoire inexistante, l’archéologue va au contraire se baigner de l’ambiance et des décors offert par le décors pour trouver un sens derrière le périple de Limbo. Attention, ce qui va suivre est l’histoire du jeu, donc spoil + ce n’est que mon avis ettaillé par d’autres ayant parlés de Limbo avant moi.
Limbo ça veut dire Limbes en Anglais, et chez les catholiques, c’est un lieu où les enfants morts sans avoir effectués de baptêmes séjournent. Cette idée que le protagoniste et sa petite sœurs sont morts est renforcée par le fait que le plan de fin est le même que celui du menu à ceci près qu’à la place des personnages se trouvent des cadavres de mêmes dimensions. L’espoir vient du fait qu’une fois sa petite sœur retrouvée ils puissent montés monté au paradis (échelle) sauf qu’on la découvre complètement détruite sur le menu, laissant penser que les deux sont condamnés à errer dans les limbes. En fait on comprend que d’une certaine façon que le petit garçon sans nom est obligé de faire une retrospective de sa vie et de sa mort pour accéder à son dernier souhait qui semble être de rejoindre sa petite sœur. On va donc avoir selon moi des indices sur celui qu’il a été et la façon dont il est mort. Les obstacles + la pluie qui provoque un changement de gravité + la vitre qui se brise + les différents indices laissant penser à une voiture (comme les pneus) amènent beaucoup à penser (dont moi) qu’ils sont morts suite à un accident de voiture. Mais on oublie souvent de parler de l’araignée, des enfants, des larves, le la ville tentaculaire et de l’usine qui sont respectivement les métaphores des peurs, du harcèlement, des envies de suicides, de la dépression et de la crainte de l’avenir du héros, qu’il va toute battre pour retrouver la paix, paix qui est discutable quand on connaît le destin très morbide qui entraîne la mort d’enfants et de l’araignée de manière atroce (mais on y reviendra plus tard). J’aimerai finir ma courte et subjective analyse de l’histoire de Limbo en parlant du regard. Les yeux sont le miroir de l’âme, le protagoniste est la seul personne à avoir un regard, une âme. Et un souffle d’âme, le nécessaire pour retrouver sa petite sœur, sans regard, sans âme, déjà morte.


Limbo est un plateforme 2D minimaliste, on ne peut que soulever des choses et sauter. Pourtant c’est bien sa complexité qui est retenu. Il y a quelque chose de mesquin dans le level design de Limbo, et en même temps d’élémentaire, créant la surprise, l’effroi, mais pas l’inaccessibilité, au contraire, elle nous pousse à recommencer, à continuer notre route. Si, de part l’omniprésence de points de sauvegarde, de mauvaises langues diront que la mort n’est pas punitive, je pense au contraire qu’elle l’est, et bien plus que dans beaucoup de jeux moins généreux protection de l’avancée du joueur. Il y a un endroit ou on peut, au périple de plusieurs épreuves compliquées, se détacher de la route principale et normalement voulue, cette même route va pourtant finir par rejoindre cette même route principale, le jeu vous gratifiant d’un succès « fuir ne servira à rien ». Le jeu utilise ses limites pour nous envoyer un message d’horreur : nous sommes piégés dans Limbo, il nous a vaincu, déjà condamné (chose qui colle parfaitement avec l’histoire). Une des choses qui participe le plus à cette ambiance morbide et ce level design punitif, c’est les morts du personnages principal, ultra violente malgré l’absence de couleur et de détails, on le verra entre autre embroché, noyé, déchiqueté, décapité, écrasé, électrocuté ect… toute lassant un assez long moment avant la réapparition pour nous obliger à contempler un enfant mourir, encore et encore, avant que l’on trouve une solution. La fragilité du personnage se fait aussi ressentir par sa facilité à mourir de dégât de chute, on ne l’entend pas crier mais il ne se relève pas après s’être tordu dans un sens humainement impossible, une mort en silence, mais visuellement effroyable. Si bien que même si on ne sait rien de lui, on a peur de le voir mourir, je dirai même que dans Limbo, bien plus que l’envie d’avancer c’est l’envie de ne pas avoir à subir le spectacle de la mort du protagoniste qui motive le joueur à avancer prudemment et intelligemment. Cette peur d’avancer est ironique quand on sait que le jeu n’a pas véritablement de boss et encore moins une épreuve finale ressentie comme telle, car similaire à toutes les autres voir même inférieure en difficulté comparée à celle d’avant. Cette façon de concevoir Limbo par PlayDead vise à nous faire sentir mal, à nous faire prévoir le pire, à nous faire avoir peur du vide, du noir où notre âme espérait se réfugier. Peut être que d’un point de vue rationnel, Limbo ne fait que nous rappeler la réalité de la mort, sans suite vers les cieux, sans avenir glorieux, la mort, sec et brutale d’un accident de voiture, une fin en soi, voir même LA FIN.


Limbo est une ombre, elle ne siégera peut être jamais au coté de Mario, Halo ou Sonic baignant dans la lumière des projecteurs, mais quand on se détourne d’eux à scruter l’horizon pour voir le futur de ceux qui monterons les rejoindre, on ne peut s’empêcher de la voir s’étalant de nos pieds jusqu’à l’infini, cette traîné sombre nous scrutant de ces deux yeux blancs, sa manière à elle de nous rappeler avec effroi que même si elle ne fait pas partie de la fête des triples A, elle a autant si ce n’est plus sa place dans la grande histoire du jeu vidéo.

Lordlyonor
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le 31 mars 2022

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Lordlyonor

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