Limbo
7.5
Limbo

Jeu de PlayDead, Arnt Jensen, Dino Patti et Jeppe Carlsen (2010PC)

La nébuleuse monochrome de la solitude

Il se réveilla dans une forêt obscure et fantomatique. Un silence pesant avec, néanmoins, quelques élucubrations d'un vent lointain, très lointain. Ce n'est pas un endroit pour dormir, ça non. Ce frêle petit garçonnet visible à contre-jour se retrouve malgré lui dans une Nature nébuleuse et fortement assombrie. Pour l'expérimentateur (autre terminologie en ce qui concerne le joueur dans ce cas de figure), l'écran se veut filigrané par un calque flouté où les zones lumineuses se font rares. L'absence de narration rend l'expérience encore plus perturbante. Remportant de multiples prix lors de la treizième édition de l'Independant Games Festival (http://www.igf.com/), Limbo est un des garants de l'étendue créative et artistique d'un domaine culturel fustigé par des médisances intempestives de joueurs blasés. Les intrigants malheurs du garçon monochrome ont été signés par les talents danois de PlayDead.

Rien ne vaut une certaine simplicité quand un gameplay est mûrement réfléchi. Mais d'un autre côté, certains parleront de conception « old-school ». Le gringalet n'a rien d'un super héros. Aucun entraînement préalable, ce dernier ne peut faire qu'une chose : aller de l'avant. Des petits bras, des jambes ridicules et juste un regard fixe lumineux vers un objectif qui nous est inconnu jusqu'à sa clôture. Le jeu est conçu en scrolling horizontal, le personnage peut courir mais ne fait que de petits sauts d'enfant. La seule interaction possible est une saisie de ses mains faibles sur certains objets.

Le level design est intransigeant. Il s'agit de ce genre de titre où prime avant tout l'apprentissage par l'échec. La faiblesse exubérante du personnage fait que de nombreuses séquences seront répétées. Empalé, écrasé, électrocuté, noyé ou, encore, explosé, la violence visuelle est à l'égale de la rigueur imposée par le choix visuel du noir et blanc du soft. Lorsque le gamin retrouve l'un des siens, le joueur est rassuré l'espace d'un instant, mais ce n'est que de courte durée jusqu'à ce dernier se mette à vouloir, soit, vous trucider, soit, vous fuir violemment. Sans chercher de réponse, le garçon avance sans cesse.

Le jeu est divisé en deux phases. Une partie plus naturelle où la forêt obscure est l'antre d'une araignée géante et cruelle. Voleuse d'enfants, on s'imagine comprendre le comportement des autres gamins face à des mouvements adverses et inconnus. La seule arme possible contre ce monstre : des pièges à loup. Il y a une chance sur deux de se faire avoir par ces pièges gigantesques mais c'est aussi la seule façon de lutter contre la Reine des lieux. Le jeu bascule implicitement vers une zone plus industrielle. Les zones boisées sont remplacées par des scies circulaires de toutes tailles. La précision devient de mise et la technologie, parfois capricieuse, devient votre seule alliée, pour peu que vous trouviez comment actionner la machinerie.

Ce qui caractérise Limbo, c'est sa notion de survie, quitte à bafouer la moralité dont la plupart d'entre nous sont empreint. Un petit gamin pendu ne devra pas vous gêner car ce n'est pas la survie générale mais juste la vôtre qui prime. Une séquence vous impose d'ailleurs d'en utiliser un, en le mettant sous un piège à loup afin qu'il soit happé et vous permettre d'utiliser une corde ainsi libérée de son poids pour grimper à un rebord surélevé. On retrouve néanmoins une sorte de censure naturelle de par le choix visuel du soft : le monochrome et le contre-jour permettent de ne faire que suggérer tout en installant un clair sentiment de dégoût.

Cependant, même si le jeu est une expérience exceptionnelle, il n'est pas exempt de défaut pour autant. Si l'on peut évoquer sa courte durée de vie, le prix étant, sans promotion précise, un peu élevé, cela se justifie malgré tout par une expérience qui aurait pu s'avérer quelque peu redondante avec des artifices supplémentaires. Trois ou quatre heures de votre temps sont nécessaires pour venir à bout du cauchemar du garçon ce qui s'avère déjà transcendant en soit.

Ensuite, il est presque aberrant de voir que le protagoniste coule comme une pierre lorsqu'il n'a plus pieds... Allez comprendre... On peut, alors, évoquer la raison suivante qui serait de dire qu'en rêve, peu de gens, ont un contrôle complet de leurs mouvements. La nage s'interdit d'elle-même dans une situation où l'être humain n'est souvent rien d'autre qu'un spectateur. Cet élément est d'ailleurs mis en exergue à certains moments du jeu. En effet, plusieurs fois, le garçon se retrouve avec un parasite scotché sur le crâne. Qu'il aille à gauche ou à droite, impossible de l'arrêter. Seule la lumière – unique signe pouvant nous faire espérer la sortie éventuelle de ce rêve tordu – peut chambouler le travail de l'indésirable. Le joueur doit alors tenter de trouver des plantes gourmandes amatrices de ces larves blanchâtres. On retrouve donc cet aspect de semi-perte de contrôle... La frustration même ressentie lors d'un rêve, bon ou mauvais.

Limbo pourrait être une remise en question sur les nombreuses craintes infantiles. On y trouve ainsi la solitude, la phobie (reproduite, entre autres, par la noyade et l'arachnophobie) et la violence interhumaine... C'est une mise à nu de l'enfant que nous étions face au fatalisme de l'âge adulte. Il s'agit d'une leçon sur ces éléments extérieurs qui ne sont pas contrôlables.

En sortant de là, on ne peut se dire qu'une chose : le jeu vidéo mérite entièrement son statut de média culturel doté d'un patrimoine et d'une histoire riche et cohérente. À l'instar de la littérature ou de n'importe quelle création de fiction, des remises en question et des clés de réflexions jalonnent les productions vidéoludiques.
Gaeru83
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Créée

le 24 déc. 2011

Critique lue 289 fois

1 j'aime

Gaël Barzin

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