Live A Live
7.6
Live A Live

Jeu de SquareSoft (1994Super Nintendo)

“Chaque époque engendre son héros.”

Les éditeurs prennent parfois des décisions incompréhensibles.

Trop souvent, il arrive que de superbes titres (Shining force III, Mother 3, Seiken Densetsu 3, les premiers jeux de la licence Yakuza), ne dépassent jamais les frontières du Japon pour parfois des raisons très obscures : c'est la fameuse perception des Japonais pour le marché occidental.

Pour beaucoup ça a commencé avec les jeux de combats : quand on devait se taper un Dragon Ball Ultimate Battle 22 avec des animations scandaleuses, les Japonais eux avait dès 1994 pu jouer à Dragon Ball Z : Idainaru Son Goku Densetsu, avec des animations superbes et une histoire respectant parfaitement l'univers du manga.

Parce que bien sûr les occidentaux sans trop bêtes pour vouloir jouer à des excellents jeux et préfèrent se farcir de véritables étrons (oui Ultimate Battle 22, je pense à toi !).

Pourtant, cette année-là, un autre scandale encore plus inacceptable, devait se passer bien loin des marchés occidentaux: la sortie de Live A Live.

Vous n'en avez jamais entendu parler ? C'est normal car le jeu est passé complètement sous les radars des magazines de l'époque, puisque sa distribution n'aura concerné que le Japon. Pourtant, le jeu sera réédité en 2015 sur la WII U, mais malheureusement seul le Japon sera encore concerné.

Donc, Live A Live est un JRPG, développé par Squaresoft, sorti en 1994 sur la Super Nintendo.

Bien sûr personne ne connaît Squaresoft qui est un petit studio sans prétention, qui n'a développé "que" les premiers Final Fantasy, SaGa, Secret of Mana, et qui sortira la même année Final Fantasy VI, Breath of Fire, puis plus tard Chrono Trigger, Xenogears, FF VII, Chrono Cross, Parasite Eve, Vagrant Story ou encore Kingdom Hearts !

Donc ce "petit" studio sort la même année l'un des plus grands JRPG de tous les temps (Final Fantasy VI), mais ne sort pas Live A Live au delà du Japon alors que les JRPG connaissent un vrai engouement hors du pays du Soleil-Levant ? Premier (et pas dernier) haussement de sourcil.

Mais Live A Live, est t-il seulement un JRPG parmi tant d'autres ? Pas vraiment.

C'est un jeu qui n'a pas une histoire construite dans un même univers. Le jeu propose en effet, de suivre 7 histoires dans 7 univers différents. Du jamais-vu pour l'époque.

Inherance (Préhistoire) : Le scénario met en scène Pogo, un jeune homme accompagné de son ami Gori dans leur tribu. Leur vie se résumait à chasser, manger et dormir, jusqu'au beau jour où une femme d'une autre tribu vient se cacher chez eux pour éviter de servir de sacrifice au dieu dinosaure : ODO. Pogo tombe immédiatement amoureux d'elle et s'occupe de la cacher et de la nourrir. Malheureusement, la tribu ennemie débarque un jour et la fille se fait enlever ...
Pogo et son ami Gori vont donc partir à sa recherche et tout faire pour la sauver.

Passée la surprise de la découverte de ces 7 scénarios, on se laisse porter par les différentes histoires. Mais alors qu'on termine le dernier chapitre, le jeu nous fait comprendre qu'il n'est pas un JRPG ordinaire.

King of Demons (Moyen-Age) : Une fois les 7 scénarios finis, un 8ème sera débloqué (avec un retournement de situation incroyable dès l'écran titre !) qui se déroule cette fois-ci dans le royaume de Lucrétia. On y incarne Oersted, un chevalier qui aura pour mission de sauver la princesse Alicia, qui a été enlevée par le roi des démons (bon là il faut avouer que ça ressemble beaucoup au début de FF I). Pour l'aider dans sa quête, il sera accompagné de son ami Straybow ainsi que le chevalier Hash et le prêtre Uranus, qui eux-mêmes avaient battu le roi des démons 30 ans auparavant.

Le scénario est franchement original dans son propos, (et les multiples clins d’œil au cinéma rendent l'ensemble tantôt parodique, tantôt dramatique) et même si certains chapitres sont moins inspirés que d'autres (je pense notamment à celui du combattant), l'ensemble démontre un talent scénaristique certain de la part de l'équipe de SquareSoft.

Mais au-delà du talent, c'est aussi l'application d'une idée géniale de l'équipe en charge du projet : elle confie en effet, le projet des scénarios à 7 mangakas extrêmement populaires à l'époque : Yoshihide Fujiwara (Kenji), Yoshinori Kobayashi (le très controversé Gōmanism Sengen) , Osamu Ishiwata (B.B), Yumi Tamura (7 Seeds, Basara), Ryōji Minagawa (ARMS, D-Live!!), Gosho Aoyama (Détective Conan), et Kazuhiko Shimamoto (Blazing Transfer Student)

Chaque mangaka avait en charge la création des personnages du scénario qui lui était attribué, et autant vous dire qu'une telle réunion ne se fera certainement plus jamais !

Pour parler un peu de gameplay et surtout de système de combat, je dois dire que celui de Live A Live est intéressant : le système de combat du jeu se fait au tour par tour sur un damier, ce qui permet une approche stratégique du combat. On a le choix entre plusieurs actions : combattre, passer son tour, utiliser un objet ou s'enfuir. Quand on choisit de combattre, plusieurs techniques spécifiques à chaque personnage sont utilisables, et se débloquent en fonction des niveaux. Toutes les techniques sont différentes et ont une zone d'impact spécifique, c'est cette zone qu'il faut déplacer sur l'ennemi pour que l'attaque soit efficace. Il y a des zones de plusieurs formes en fonction de l'attaque, et certaines attaques peuvent prendre quelques tours à charger, selon leur puissance, ce qui renforce le côté stratégique des combats.

Il existe de nombreuses de techniques : l'attaque physique qui est souvent au corps-à-corps, l'attaque à distance, la création d'une zone d'altération d'état (inflige des dégâts aux ennemis qui passent dessus), les counters (contre-attaques qui se déclenchent automatiquement), et les regains pour regagner de la vie. On peut être plusieurs personnages à attaquer un ennemi, tout comme les ennemis peuvent être parfois très nombreux.

Enfin, un excellent détail : le sprite (c'est-à-dire l'animation à l'écran de nos personnages), en combat change en fonction du nombre de point de vie qu'il reste au personnage. Ainsi, on peut facilement voir quand un personnage n'a plus beaucoup de points de vie rien qu'en observant son sprite.
Lorsqu'un de nos personnages n'a plus de points de vie, son corps reste sur le terrain allongé et on peut encore le soigner. Par contre, s’il est de nouveau touché alors qu'il est allongé, il disparaît et ne va pas pouvoir gagner d'expérience à la fin du combat.

À noter également qu'à la fin de chaque combat l'équipe est automatiquement soignée, simplifiant le jeu, en évitant de devoir redouter un enchaînement de combats qui pourraient être mortel. On préfère fluidifier le gameplay et ce choix est tout à fait compréhensible pour un titre qui se focalise surtout sur ses histoires et ses univers.

Chaque personnage a un niveau maximum à atteindre qui limitera l’apprentissage de nouvelles techniques et l'augmentation des statistiques.

Donc pas de phases de leveling à outrance, comme tout bon JRPG qui se respecte !

Et puis la fin de chapitre arrive. Vous faites face au boss et vous sentez que quelque chose va se passer.

C'est là que Live A Live vous met une nouvelle claque :

https://www.youtube.com/watch?v=6rf8Dj7PRAI

La musique donc, mériterait des paragraphes entiers, tellement son impact se fait ressentir à chaque chapitre de l'histoire de Live A Live. Elle est composée par l'illustre Yôko Shimomura (Street Fighter II, Actraiser puis plus tard Kingdom Hearts, Parasite Eve, Xenoblade), qui a pu tirer parti de la puce développée par Sony présente sur la Super Famicom. La bande son est extrêmement riche et variée, proposant plus de 40 titres. Bien sûr comme beaucoup de musiques de RPG, nombre de titres ne sont ici présents que pour coller au contexte et seront vite oubliés, mais certains sont tellement remarquables qu'il m'est difficile de ne pas fermer les yeux à l'écoute de la majorité des musiques du chapitre dans la Chine Ancienne par exemple.

Généralement, chaque chapitre possède trois musiques : un thème principal, qui est joué lors de grandes occasions, un thème de carte qui est joué durant la majeure partie du jeu, et un thème de combat. À cela s'ajoute un ensemble de thèmes dramaturgiques utilisés d'un scénario à un autre, comme le thème récurrent de la tristesse que connaisse bien les amateurs de bande son de jeux vidéos.

Grâce à son travail Yôko Shimomura fit beaucoup parler d'elle au sein de l'industrie du jeu vidéo, et est depuis considéré par beaucoup d'observateurs comme la meilleure compositrice de jeu vidéo de tous les temps.

Terminons enfin par un aspect qui pourra diviser la critique : les graphismes.
Certains expliquerons très justement que pour de la SNES, on alterne entre du très bon et du passable compte tenu des capacités de la console.
Je suis beaucoup plus positif : les graphismes ont très bien vieilli et ce n'est pas toujours le cas des titres de l'époque (par exemple, je considère que Final Fantasy IV accuse un peu son âge). Prenez le temps de chercher des images sur Internet, certains sprite en combat sont magnifiques.

Le jeu souffre de certains défauts que je ne peux pas nier : il y a un certain déséquilibrage entre les chapitres (certains sont excellents d'autres comme le catcheur sympathique, mais moyen), le changement d'ambiance à chaque chapitre peut être déstabilisant et le système de combat ne diffère pas d'un chapitre sur l'autre ce qui peut rendre le jeu répétitif.

Pourtant, Live A Live n'est pas un jeu difficile. Le leveling par exemple n’est pas obligatoire. Cependant, certains combats donneront du fil à retordre si jamais le joueur s'y prend avec la mauvaise méthode. Mais rien d'insurmontable pour un joueur moyen maîtrisant le code du JRPG. Le jeu est long et se termine en environ 30 heures. Il n'y a pas vraiment de quêtes annexes, mise à part à la fin du jeu. D'ailleurs, cette fin de jeu est assez spéciale et va privilégier plus particulièrement l'exploration. On y est libre de faire ce que l'on souhaite, tandis que les précédents scénarios étaient bien plus dirigistes, comme si le jeu prenait un malin plaisir à nous présenter un JRPG classique même dans son fil conducteur, pour nous prendre par surprise au moment du dernier chapitre.

Que retenir, finalement de Live A Live ? Parmi la myriade de RPG et JRPG sans ambition, le titre représente aussi une époque où SquareSoft n'avait pas peur d'innover, de surprendre, voir de déstabiliser les habitudes des joueurs. Derrière un titre mercantiliste, se cache un scénario très original avec une double lecture, une très forte dramaturgie, soutenu par des graphismes de toute beauté et une bande son incroyablement riche.

Pour finir, sachez qu'une traduction anglaise du titre a été faite par des passionnés en 2001, et qu'en 2017, c'est la traduction française qui a enfin été achevée.
Disponible en quelques clics, elle m'a poussée à découvrir le titre, et pour cela, je tenais aussi à remercier ces traducteurs anonymes, hommes de l'ombre, qui par leur travail permettent à de nombreuses personnes de découvrir des trésors perdus.

Je soupire, en me disant que comme beaucoup de joueurs, je n'ai pas pu découvrir ce titre au moment de sa sortie, même lorsqu'il est ressorti sur Wii U en 2015.
J'ai même un petit pincement au cœur, en me disant que le titre aurait mérité de sortir au-delà du Japon : son originalité, son gameplay et son scénario lui aurait certainement ouvert les portes de nombreux tops de joueurs lorsqu'ils proposent les meilleurs JRPG.

Live A Live n'a pas à rougir face à des mastodontes comme les Final Fantasy, Dragon Quest, Chrono Trigger, Suikoden, Xenogears, d'ailleurs il aura marqué beaucoup de joueurs japonais, particulièrement pour sa musique.

À l'heure où les studios de jeux vidéos font beaucoup de surplace en terme de créativité, où la tendance est au reboot de titres à outrance (il n'y qu'à observer la politique actuelle du géant Capcom), il est bon de rappeler que le jeu vidéo reste un art comme un autre : sans une dose de créativité, on stagne et on ne peut pas proposer des œuvres mémorables.

Alors procurez-vous, Live A Live, le titre ne mérite pas de sombrer dans l'oubli.

Elminster
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste La musique de jeu vidéo n'est pas un sous genre. En voici la preuve.

Créée

le 17 nov. 2022

Critique lue 885 fois

4 j'aime

Elminster

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