Attention Spoilers !
Un cauchemar entre les lignes du réel et du souvenir
Dans la mouvance des thrillers psychologiques narratifs à la première personne, Martha Is Dead s’impose comme une œuvre singulière, aussi fascinante que dérangeante. Développé par le studio italien LKA, déjà à l’origine de The Town of Light, ce jeu nous plonge au cœur de l’année 1944, dans une Italie fracturée par la guerre, les secrets et la mémoire. Si son décor historique pourrait laisser croire à un récit de guerre, Martha Is Dead se révèle être tout autre chose : un labyrinthe mental où la réalité se craquelle sous le poids de la douleur, de la culpabilité, et de la maltraitance psychologique. Le joueur, pris au piège d’un drame familial aux contours incertains, est invité à reconstituer une vérité qui semble fuir à chaque instant.
Un scénario sous tension
Le jeu frappe fort par la densité et la noirceur de son récit. Sans jamais verser dans le sensationnalisme, il tisse une intrigue lente mais profondément immersive, centrée sur la perte d'identité, le trauma et les ravages de l’oubli. La narration brouille volontairement les frontières entre le tangible et l’imaginaire, invitant le joueur à douter de chaque image, de chaque souvenir, de chaque voix. Ce flou constant agit comme une chape de plomb psychologique, renforçant l’angoisse sourde qui parcourt l’aventure. Le traitement de la santé mentale et des abus y est frontal, parfois choquant, ce qui justifie amplement l’avertissement au public sensible.
Gameplay immersif mais imparfait : la forme au service du fond
Le gameplay repose sur l’exploration, les interactions contextuelles et la photographie, utilisée ici comme un outil de vérité mais aussi de distorsion. La mécanique du développement photo argentique, à la fois réaliste et métaphorique, s’intègre parfaitement au récit. Si la prise en main est fluide et la direction artistique soignée, quelques bugs techniques (collisions capricieuses, scripts qui peinent à se déclencher) viennent parfois freiner l’immersion. Rien de rédhibitoire, mais ces accrocs nuisent légèrement à l’efficacité de l’expérience.
Une mise en scène viscérale et macabre
C’est sans doute là que Martha Is Dead frappe le plus fort. La mise en scène est d’une précision chirurgicale : caméra subjective oppressante, jeux de lumière naturalistes, textures détaillées et décors réalistes, tout est pensé pour instiller un sentiment de malaise. La campagne italienne, pourtant bucolique en surface, devient un théâtre d’épouvante psychologique. Chaque lieu – la maison familiale, la forêt brumeuse, le cimetière désolé, ou le bunker souterrain – évoque une mémoire blessée, une atmosphère de deuil et de silence oppressant. La direction artistique frôle parfois l’art pictural tant certains tableaux du jeu s'impriment dans la rétine.
Vibrations macabres et silences pesants
La bande-son, discrète mais poignante, s’appuie sur des compositions mélancoliques et des bruits d’ambiance glaçants. Le choix de la musique et des sons participe à l’installation d’un climat anxiogène, sans jamais être envahissant. Les rares moments de silence sont d’ailleurs parmi les plus marquants, laissant au joueur le soin d’écouter ses propres battements de cœur et de ruminer les révélations précédentes.
Un jeu à thématique forte : entre horreur intime et guerre mondiale
Si le contexte de la Seconde Guerre mondiale sert de toile de fond, c’est avant tout l’horreur intime, domestique, que le jeu met en lumière. Martha Is Dead interroge la violence familiale, la dislocation de l’identité, et les séquelles de la maltraitance. Des thèmes puissants, traités avec une brutalité parfois glaçante mais jamais gratuite. Le récit, elliptique et exigeant, oblige à une réelle implication émotionnelle du joueur.
Verdict : 7/10 – Une œuvre marquante, imparfaite mais nécessaire
Martha Is Dead n’est pas un jeu à mettre entre toutes les mains. Sa lenteur assumée, ses thèmes difficiles et ses quelques errances techniques pourront rebuter certains joueurs. Mais ceux qui s’y aventureront avec patience et ouverture d’esprit découvriront une œuvre sensorielle, viscérale et mémorable. Plus qu’un simple jeu narratif, c’est un miroir brisé de la mémoire et de l’identité, dont les éclats continuent de hanter longtemps après le générique.
Un titre audacieux, inégal mais courageux, à réserver aux joueurs avertis en quête d’émotions fortes et de récits qui laissent une trace indélébile.