Je m’en souviens comme si c’était hier, pour avoir usé jusqu’à la moelle le DVD bonus accompagnant le numéro de juin de mon magazine favori (une époque que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître) : lors de l’édition 2003 de l’E3, un trailer de 11 minutes et 48 secondes (!!) a littéralement scotché tous les visiteurs du salon. Le Metal Gear nouveau était enfin là, exhibant ses précieux atours, présentant sa toute nouvelle orientation survie, dans un contexte géopolitique inédit pour la série (la Guerre Froide), ce qui laissait peu de doute sur le protagoniste qu’on allait devoir incarner. Inutile de préciser que le matin du vendredi 4 mars 2005, date de sortie de la version française du jeu, le choix entre aller chercher le jeu à la Fnac ou assister à un cours magistral d’économie était plus qu’évident…


Ah, la Guerre Froide, quelle époque géniale ! Enfin je veux dire, pour y situer une intrigue d’espionnage… Une ère de pseudo-accalmie, pendant laquelle deux super-puissances tenaient en otage la planète entière et où tout ou presque se jouait dans les coulisses. Le briefing met ainsi directement dans l’ambiance : deux années plus tôt, un éminent ingénieur soviétique, le dr. Nikolai Stephanovich Sokolov, prit contact avec l’ennemi américain et demanda asile pour lui et sa famille, en échange de renseignements et de ses compétences. Mais l’homme était trop important pour l’URSS, qui en représailles déploya toute une batterie de missiles longue portée sur les rives de Cuba (la fameuse crise des missiles de Cuba, bien réelle, de 1962), exigeant la restitution de Sokolov. La Troisième Guerre Mondiale semblait alors plus proche que jamais…


Dos au mur, les américains n’eurent d’autre option que d’obtempérer. Deux années quelque peu tendues passèrent, puis Sokolov reprit contact, avec de bien mauvaises nouvelles : sitôt le pied posé en territoire soviétique, il fut forcé de travailler sur un projet de tank nouvelle génération, capable de lancer des têtes nucléaires indétectables sur à peu près n’importe quel point du globe, notamment des cibles américaines…et sa construction est en passe d’être finalisée. Une unité spéciale est alors créée en urgence, la FOX (pour Force Operation X), avec pour mission de ramener coûte que coûte Sokolov (et accessoirement les plans qu’il a volés) au pays de la Liberté. Pas de bol, le gars qui doit s’y coller, un certain Jack, nom de code Naked Snake…ben c’est vous !


Qui dit années 60 dit technologie d’époque : le codec (remplacé ici par une simple radio) et le radar Soliton n’existent donc pas encore, et ne parlons même pas des nanomachines. Dans ces conditions "à l’ancienne", infiltrer les zones touffues particulièrement inamicales de la Mère Patrie, pleines de bêbêtes en tous genres, est donc tout sauf une sinécure ; c’est d’ailleurs là qu’intervient la principale différence entre les versions Snake Eater et Subsistence : le premier ayant gardé la caméra de trois quart haut initiée par Metal Gear Solid, celle-ci se trouve finalement bien peu adaptée aux environnements piégeux et partiellement ouverts de la jungle russe, rendant la progression parfois laborieuse, là où le second, "piquant" la caméra totalement manuelle de Splinter Cell, permet de mater librement les lieux autour de soi et ainsi mieux planifier son approche…mine de rien, ça change pas mal la donne…


Et il vaut mieux avoir la maîtrise de son environnement lorsque l’ennemi n’est plus simplement 2-3 clampins faisant leur tour de garde, mais carrément toute une nature par définition hostile. Si la jungle est sublime, magnifiée par de somptueux effets de lumière, elle est aussi criante de réalisme pour l’époque (quel travail sur le son!), et recèle donc mille et un dangers, avec en premier lieu sa faune sauvage -notamment les serpents (pythons, cobras, anacondas)- aux comportements véritablement bluffants, aujourd’hui encore. C’est aussi un endroit propice à la tromperie, parfait pour y dissimuler des pièges, ce que l’ennemi a très bien compris… Les soldats ennemis justement, ne sont pas les derniers des idiots et savent très bien se fondre dans le décor, tout en maintenant leurs sens aiguisés. Et si ça ne suffisait pas, ils sont parfois accompagnés de chiens de garde encore plus affûtés…


Fort heureusement, MGS3 apporte son lot de features pour équilibrer un minimum les forces. On a tout d’abord l’introduction d’un indice de camouflage situé dans le coin supérieur droit de l’écran qui calcule en temps réel notre pourcentage d’invisibilité aux yeux de l’ennemi, celui-ci oscillant selon notre mobilité (on est logiquement moins repérable allongé sur le sol qu’en courant partout comme un idiot) et la tenue portée. Et s’il est assez difficile d’approcher les 100 % de discrétion, je peux vous assurer qu’atteindre le pourcentage inverse se fait sans trop d’efforts ! La jouer guerrier de l’ombre a rarement été aussi complexe que dans cet opus, et le jeu l’a d’ailleurs fort bien compris, puisqu’il permet à Snake d’encaisser un certain nombre de dégâts avant de passer de vie à trépas. Ou alors c’est juste que le mâle alpha des années 60 est plus fort et plus robuste que l’oméga fragile de notre époque, qui se sent selon son humeur paratonnerre, feuille d’eucalyptus ou moteur de missile V2…


Si la gestion de la stamina et des blessures peut s’avérer redondant sur la longueur (obligation de se nourrir et se soigner régulièrement), sachez que les ennemis sont logés à la même enseigne que nous ! Tirez donc dans la jambe d’un garde isolé, de préférence depuis un point indétectable, et observez-le : après avoir appeler ses potes en soutien, vous le verrez s’appliquer lui-même les premiers soins ! Détruisez les dépôts de munitions et celui-ci sera vite à court de balles en cas de confrontation directe. Ou encore mieux, affamez-le en explosant les dépôts de nourriture, voire pire, empoisonnez-le en laissant traîner délibérément de la bouffe périmée, et il éprouvera alors d’extrêmes difficultés à se battre ! Bon par contre, évitez quand même de faire tout ça sur le même gars, ça serait à la limite du sadisme…


Et puis, il y a le CQC, pour Close Quarter Combat. Comme son nom le laisse subtilement deviner, c’est un ensemble de mouvements au corps à corps théoriquement adapté à toutes les situations possibles, de l’interrogatoire discret, net et sans bavure à la prise d’otage musclée pour se protéger d’une fusillade. C’est un peu le proto du gameplay que l’on retrouve dans Phantom Pain, sauf qu’ici c’est assez difficile à maîtriser (de l’aveu-même de Kojima, les combinaisons sont volontairement délicates à réaliser, ceci afin de retranscrire le plus fidèlement possible la complexité de ce type d’action dans une situation réelle…ou alors c’est du total bullshit, à vous de juger), et je vous conseille donc vivement de vous entraîner dans le menu prévu à cet effet avant de vous lancer dans l’aventure… Alors oui, on peut certes traverser tout le jeu sans avoir à l’utiliser une seule fois, notamment dans les premiers modes de difficulté, mais ça serait bête de se passer d’un atout supplémentaire dans sa besace…


Enfin, il y a toutes les petites astuces qu’on découvre ici et là au fil des parties, comme celles concernant les multiples façons de vaincre The End, qui sont super connues et n’ont donc pas vraiment besoin de développement. Parlons plutôt d’autres tips moins renommés, comme par exemple la possibilité de développer une résistance au poison en s’intoxicant intentionnellement (en Kirua-style!) ou encore d’un truc qui à l’époque m’avait véritablement bluffé, à tel point que j’avais expressément rechargé ma sauvegarde pour être sûr que je n’hallucinais pas, et ça n’était effectivement pas le cas : lors du passage dans les grottes plongées dans le noir quasi complet, patientez environ 5 minutes et votre vision s’adaptera naturellement à l’obscurité, comme en vrai ! Et ce jeu est sorti il y a 15 ans bordel !


Avec tout ça, on n’a même pas pris le temps de parler plus en profondeur du scénario de cet épisode, moins verbeux et complexe que son prédécesseur (ceux qui ont été laissés sur le bord de la route par MGS2 peuvent se rassurer). Pas de pensées métaphysiques ni de thématiques dédaléennes autour de la génétique ou la mémétique ici, MGS3 concentre son propos sur les jeux de pouvoirs qui fluctuent au gré des époques, et le devoir de dévotion du soldat envers sa nation, condamné à incarner le bras armé de ces changements, avec tous les sacrifices que cela peut impliquer (The Boss en étant le symbole ultime). Car oui, si l’opération Snake Eater s’avèrera un succès diplomatique majeur empêchant le monde d’entrer dans une troisième Guerre Mondiale sous le signe de l’atome, elle ébranlera à jamais le patriotisme du "meilleur soldat du XXe siècle", qui finira par faire défection et qui, tout comme son mentor, sera érigé d’abord en héros (en idole même), puis en paria, sous la plume des puissants qui tiennent le stylo écrivant l’Histoire "officielle"…


Qu’est-ce qu’on se marre tout d’un coup ! :p


Bon, que les fans se rassurent, ça reste du Kojima pur jus, donc ça flirte constamment avec la série B, avec même quelques moments proche du malaisant (au hasard la grande passion de Volgin pour le "touche-pipi"). L’ambiance générale est d’ailleurs fortement inspirée des premiers James Bond (période Sean Connery à Roger Moore), soit le summum du kitsch, EVA étant une james bond girl officieuse évidente…


Sinon, cette version Subsistence (ou la plus récente version HD) vaut également le coup pour découvrir les origines de la saga. Si Metal Gear a pris un méchant coup de vieux et pourra en rebuter beaucoup (mais je vous invite quand même à l’essayer), je ne peux que vous inciter à jouer à Metal Gear 2, encore très actuel, et encore et toujours mon épisode préféré de la saga. Ah la la, cette maturité dans le propos (le jeu approche les 30 piges!), cet éventail de possibilités d’action, cette OST divine ! Sa découverte fut pour moi une véritable révélation ! Je sais pas, prenez-le comme une sorte de demake de Metal Gear Solid, ce dernier puisant allègrement sa recette dans ce chef d’œuvre intemporel, "simplement" revisités à la sauce 3D (même si bien sûr les unités de lieu, de temps et de personnages sont différents). Faites-moi confiance pour une fois, maison close de déjection malodorante !


Metal Gear Solid 3, c’est pour moi l’apogée, le summum, que dis-je, le zénith de la franchise. Mais si j’avais un reproche à faire au jeu, un seul, c’est sur les membres de l’unité Cobra, trop peu développés en dehors de l’émotion qui caractérise chacun d’eux (je sais, c’est le principe, mais quand même…). Fort heureusement, la qualité (et la variété) des boss fight de cet épisode parviennent à atténuer ce petit défaut, avec en point d’orgue le déchirant duel dans le champ de fleurs (MGS3 restant l’un des très rares jeux -avec FF6 notamment- à avoir réussi à légèrement humidifier les globes occulaires du grand insensible que je suis). En bref, c'est une expérience vidéoludique inoubliable. Jouez-y (c’est pas un ordre, mais presque).

Wyzargo
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le 6 sept. 2019

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Wyzargo

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