Mother 3
8.7
Mother 3

Jeu de Brownie Brown, HAL Laboratory et Nintendo (2006Game Boy Advance)

Bashar al-"Fassad" et son armée de cochons cachent de l'argent dans un puits, ça tourne mal.

Écrire sur Mother 3 a été certainement l'exercice le plus complexe qui m'ait été donné en ce qui concerne l'écriture d’un avis sur un jeu vidéo. En-soi j'aurais sûrement assez de matériaux dans ma tête pour mettre sur papier l'équivalent de 10 pages, mais d'un autre côté il est très difficile d'exprimer ce que l'on ressent à la fin de Mother 3 pour un public qui n'aurait pas fait le jeu.
C'est une œuvre si singulière et spéciale, avec ses côtés sérieux, mais tout aussi délirants que de nombreux points décrits ici pourront paraître assez tordus. Sachez que j'éviterai au maximum les spoilers, l'objectif étant de vous donner envie de plonger dans cette aventure marquante, à plus d'un titre.
Et derrière ce nom de critique un peu farfelu que seuls certains comprendront, laissez-moi vous raconter Mother 3, un jeu simplement extraordinaire.


À première vue Mother 3 se présente comme un JRPG classique en proposant un prologue semblable à ce qu'on a pu voir dans les premiers Pokemon et nous invitant à choisir les noms des protagonistes et quelques questions d'ordre "culinaire".
Vous incarnez le jeune Lucas (nom par défaut), et si tout se déroule dans une ambiance bon enfant et en famille, prenant place dans ce qui semble être un univers paisible en harmonie avec la nature, c'est au détour d'une cinématique que vous voyez apparaître des humanoïdes ressemblant étrangement à des cochons venus en "soucoupes" volantes.
À partir de là, l'aventure bascule très vite sans perdre une seconde, et nos nouveaux amis commencent à détruire la si belle forêt qui vous entoure.
Passé ce prologue et début du premier chapitre, plutôt mystérieux, et qui serviront de fil conducteur au reste de l'histoire, le jeu prend un contrepied intéressant en suivant une voie particulière dans le sens où nous sommes très vite séparé de Lucas lequel nous pensions incarner pour le reste de l'aventure.


Par la suite Mother 3 nous amène à vivre le point de vue d'un inconnu, du moins ce que l'on pense au départ mais l'on comprend vite que c'est le père de Lucas qui se trouve à ce moment-là ailleurs, au village.
Coupé de Lucas et du reste de la famille pour les prochaines heures, nous suivrons les péripéties d'une multitude de personnages différents.
Si certains personnages semblent être extérieurs aux évènements, comme vous vous en doutez, et ainsi que chaque objet, phrase, décor dans Mother 3 tout a une signification et une raison, et bien entendu, tous les personnages que vous aviez contrôlé au début de cette longue aventure finiront par avoir des destins liés.
Parfois de façon claire, pour d'autres beaucoup moins, ce qui pourra prendre quelques heures pour découvrir le lien qui les unissent.


Sans dévoiler tout les détails, Mother 3 est un jeu qui prend son temps. L'aventure prédécoupée en 8 chapitres peut durer entre 25 et 30 h suivant comment vous progressez.
J'ai réellement apprécié la façon dont Mother 3 nous guide lentement entre chaque chapitre via le point de vue des différents personnages avant de nous livrer enfin l'histoire dans sa globalité qu'au bout de plusieurs heures. Cette approche laisse tout d'abord le joueur découvrir chaque péripéties personnelles à une échelle plus humaine, qui sont survenus suite aux évènements tragiques dans le prologue et le premier chapitre, pour ensuite s'élargir sur un plan bien plus vaste englobant la totalité du monde. Cela concerne autant nos "héros" que vos antagonistes, agissant sur des échelles de temps et lieux différents et écartés.
Cette entrée en la matière douce permet de saisir toute la complexité de Mother 3 et de comprendre les motivations de chacun et ce qui nous attendra pour la suite, car l'effet de levier sera brutal.
En effet on fera vite face au premier vrai changement majeur du monde et de l'histoire qui marquera réellement le début de l'aventure et c'est à ce moment là que j'ai senti que le jeu a réellement décollé.
Et même si on aura le sentiment de ne pas encore tout comprendre, vous vous demandez sûrement pourquoi, alors même que le jeu semble tout juste commencer après plusieurs heures, que cela soit pour l'histoire ou même le gameplay, je savais déjà que j'étais face à un jeu exceptionnel.
Tout au long de ces 4 premiers chapitres et la grosse dizaine d'heures qu'il nous faut pour arriver à ce point de basculement, Mother 3 m'avait déjà absorbé par la qualité de son écriture et la profondeur de son histoire.
Sur ce point en particulier, je vais avoir énormément de mal à développer sans tomber dans des spoilers qui vous gâcheraient la surprise, donc je vais tenter d'être aussi vague que possible tout en essayant de vous donner envie de découvrir Mother 3.
Il faut savoir que Mother 3 est un projet de longue date qui a commencé peu de temps après Mother 2 / Earthbound, passant par la case SNES puis 64 le jeu a finalement vu le jour en 2006…Sur GBA.
Ce qui a laissé tout le temps nécessaire à Shigesato Itoi san, le scénariste, de peaufiner son œuvre dans les moindres détails.
Chose qui a son importance, le jeu arrive au milieu des années 2000, un début de siècle où nous avions eu le droit à l'avènement d'internet, le progrès rapide de l'informatique et la multiplications des écrans dans les foyers, le 11 Septembre, la guerre au Moyen Orient, la libération de certains mœurs et dans le même temps le recul sur d'autres plans, mais encore la pollution sonore, visuelle et de l'air toujours plus rapide, bref on a fait face à de nombreuses choses au cours de ce début de siècle et Mother 3 nous proposera à sa manière sa vision de l'évolution de l'humanité sur ces 30 ou 40 dernières années.
Sous ses airs de gentil jeu Nintendo, MOTHER 3 nous confronte à des sujets très matures et complexes avec une volonté de briser le 4ème mur, souvent de manière assez froide, comme un Deus Ex a su le faire en son temps dans un autre registre.
Comme je ne souhaite pas dévoiler à quel moment et sous quelles formes cela est traité dans l'aventure, sachez que Mother 3 aborde autant de sujet que la quête du bonheur, la perte d'un proche, le capitalisme, les genres sexuels, le consumérisme, la place de l'argent dans la société, le contrôle de la population, le passage à l'âge adulte, mais encore bien d'autres cette liste n'étant pas exhaustive.
Comme vous pouvez le voir cela tranche radicalement avec l'aspect graphique du jeu qui se veut aussi doux qu'un Dragon Quest sur SNES.
Et si pour certains d'entre nous les premiers pas dans l'aventure peuvent paraître déroutant sur ce point, sachez que rien n'est laissé au hasard, chaque action ou dialogue a ou aura une justification, et même si celle-ci arrive plus de 25 heures après, l'impact n'en sera que décuplé.
Cela apporte un côté très immersif au monde et nous "oblige" à faire attention à chaque chose qui nous entoure, car cela aura à un moment ou un autre, un lien avec le passé ou le futur.
Mother 3 n'a été décevant sur aucun point au niveau de son écriture, tout au long de l'histoire, j'ai réussi à être obnubilé par le scénario et la conclusion de ce long voyage n'aurait pas pu être plus réussie et émouvante, tout en prenant bien soin une fois de plus de briser le 4ème mur d'une merveilleuse façon. Hal Laboratory nous livre ici un chef d'œuvre d'écriture rien de moins.


C'est ainsi que nous arriverons sur l'autre gros morceau du jeu qui reste important à développer. En effet, le gameplay fait lui aussi partie des points qui différencient Mother 3 du reste de la masse.
Imbriqué d'une certaine manière dans le scénario en cela qu'il évoluera tout au long du jeu en parallèle, il ne se dévoilera globalement qu'à partir du premier tiers, ce qui correspond au revirement scénaristique que l'on a vu plus haut.
Se présentant sous la forme de combat au tour par tour, en somme tout ce qui a de plus classique, le gameplay de Mother 3 cache de belles surprises qui viennent apporter tout le cachet particulier à cette œuvre.
Tout d'abord Mother 3 possède et c'est assez surprenant, une légère dimension "jeu de rythme", dans le sens qu'il est possible d'effectuer des combos lors des affrontements simplement en exécutant ses actions suivant le tempo imposé par la musique.
Cette partie de gameplay reste assez secondaire, et pour ceux que cela inquiéterait, vous pourrez finir le jeu sans soucis en vous en n'en passant. Cela apporte juste un dynamisme supplémentaire et un chalenge personnel pour exécuter les plus longs combos possibles, je n'ai moi-même pas forcément bien géré cette partie alors pas d'inquiétude !


Ensuite, une autre chose qui fait la particularité de la série n'est autre que sa gestion de barre de vie.
Lorsqu'un personnage se voit infliger des dégâts lors d'un combat, il ne perd pas sa vie instantanément, mais voit plutôt celle-ci diminuer petit à petit, d'un montant équivalent à ce que vous avez subis, et croyez moi, cela transforme littéralement le jeu.
Cette simple fonctionnalité ouvre de vastes possibilités. Le temps, qui vous est accordé, permet de gérer sa stratégie alors même que par exemple, on sait que notre personnage a subi plus de dégâts qu'il ne possède de vie, illogique me direz-vous, et pourtant, c'est du génie. Nous laissant toujours un moment pour réfléchir à ce qu'on peut accomplir au tour suivant et dynamisant les combats tout en apportant sa dose de stress supplémentaire qui nous tient accroché à l'action.


Ces deux ensembles forment un cœur de gameplay extrêmement solide et malgré ma longue expérience en jeu vidéo, je n'ai jamais ressenti cela dans un jeu similaire.
Cependant, Mother 3 ne s'arrêtera pas là et ce qui montre encore une fois toute la maîtrise de l'équipe de développement, c'est l'ingéniosité qu'ils ont su insuffler dans les moindres détails.
Le jeu ne vous imposera jamais de farmer, ou très peu, et ne vous coincera en aucun moment face à une situation. Ceci est d'une part du grâce à un level design d'une rare intelligence, avec l'ensemble des tableaux interconnectés et d'autre part l'emplacement de sources d'eau chaude pour récupérer sa vie (les Osen <3) mais aussi des points de sauvegarde minutieusement bien placés.
On est toujours capable de faire face à un moment difficile en améliorant son équipement ou retrouver un niveau en adéquation avec ce que l'on a à affronter.
J'aurai pu revenir sur d'autres points tels que la façon dont les personnages respectifs apprennent leurs compétences, encore une fois de manière très unique et assez marrante, mais cela serait encore gâcher la surprise.
Cerise sur le gâteau et qui fera plaisir à chacun, il existe un mode hard si vous voulez corser l'aventure, celui-ci se déverrouille à partir du menu de nouvelle partie grâce à un cheat code.


Nous approchons de la conclusion, mais avant celle-ci il reste un point que je souhaiterais aborder, et s'il m'arrive quelquefois de résumer en quelques lignes la partie audio des jeux, car je n'ai bien souvent pas grand chose à dire, soit c'est bien, soit la bande son est passée inaperçue, ici, il n'en est rien.
MOTHER 3 possède simplement une OST exceptionnelle, sans doute une des plus belles que j'ai eu la chance d'écouter dans un jeu vidéo.
Composé par Shogo Sakai san, elle comporte pas moins de 250 pistes, 250 p***** de pistes. Rendez vous compte que la cartouche de Mother 3 pèse 32mo ce qui peut paraître ridicule aujourd'hui, révèle du miracle en 2006 sur GBA, la majorité des jeux ne dépassant que rarement les 4 voir 8mo dans le meilleur des cas, cela reste même plus lourd que certaines cartouches N64.
Si sur ces 250 pistes audios il y a bien sûr des variantes, l'OST possède cependant une telle variété de style, qu'on a la sensation qu'une dizaine d'artistes différents ont composé celle-ci et pourtant Shogo Sakai san était bien presque tout seul. Electronique, rock, pop, jazz, reggae difficile à saisir l'ensemble de la bande originale avec une telle richesse.
Globalement, j'ai rarement été autant enivré par une BO de jeu vidéo, une sensation proche de ce que j'avais ressenti avec celle d'Halo en son temps.
Je ne peux plus m'empêcher de décortiquer celle-ci et l'écouter en boucle même après avoir fini Mother 3.
Sincèrement Shogo Sakai san nous livre ici un bijou de composition dont je me souviendrai bien toute ma vie.
Cela englobe bien sûr l'ensemble du travail de sound design qui lui aussi n'a pas à rougir face au reste et s'élève au même niveau de qualité.


Vous l'aurez compris, je n'ai pas trouvé Mother 3 simplement bon, non, je l'ai admiré, je l'ai aimé, je l'ai dévoré et j'y repense aussi souvent que possible depuis que j'ai vu l'écran de fin.
Mother 3 est un jeu unique, qui n'a pas de semblable et je ne suis même pas certain que ses aînés lui ressemblent réellement. Mother 3 est souvent considéré comme un jeu très sombre et je ne dirai que trop souvent que cela sera à chacun de se forger un avis sur cette idée.
Mother 3 ne se résume pas à quelques mots, c'est œuvre complexe, torturée et riche qui mérite clairement à chacun d'entre nous, amoureux du jeu vidéo, d'y consacrer un moment de notre vie. Que cela soit aujourd'hui ou dans 15 ans croyez moi Mother 3 est intemporel.
Le mot de la fin sera pour remercier l'équipe de traduction Fobby qui après un long travail acharné nous propose un patch en anglais de grande qualité pour profiter au mieux de votre cartouche japonaise de Mother 3 ;)


Sur ce "Ok desu ka"

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le 16 mai 2021

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Sajuuk

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