Il y a toujours une légère tension à jouer à retardement au dernier jeu d'un studio. Toujours la douce appréhension de tomber sur un truc unique qui ne risque pas de se reproduire ou d'avoir été reproduit depuis. Sans aller jusque là pour le dernier titre d'Airtight Games, je dois reconnaître que j'aurais bien aimé une itération sur son idée de base...mais pas particulièrement sur le résultat final.


C'est Fantôme qui sème la pagaille:


C'est indubitablement à Patrick Swayze et Whoopi Goldberg que l'on pense lorsque l'on s'attarde sur le synopsis de Murdered: Soul Suspect. Un homme se fait agresser dans une ruelle sombre et suite à la violente altercation qui en résulte, découvre son propre corps gisant, réalisant qu'il n'est plus que le fantôme de lui même, coincé dans un entre deux mondes; il devra collaborer avec une medium pour attraper son assassin et ainsi aller au paradis. Bon évidemment, passée cette amusante similarité, Murdered fait son propre chemin. Pour faire de la poterie érotique avec Demi Moore, il faudra se tourner vers un autre titre.


Parce que Murdered est en fait un jeu d'enquête, inspiré du film noir, avec beaucoup de ce que cela sous-entend en terme esthétique. Notamment, la colorimétrie froide, réhaussée de quelques touches orangées, l'environnement de nuit, toujours plus ou moins dans le brouillard, le héros masculin, détective à chapeau et clope au bec, au grand cœur mais à la réputation violente...et bien sûr l'enquête qui met en danger la vie d'une (jeune) femme. Le jeu s'abstient d'ailleurs d'une seule marque de fabrique du genre, à savoir que cette jeune femme n'est ni blonde, ni une potentielle histoire amoureuse. Si le héros veut quitter l'entre-deux monde, c'est surtout pour retrouver sa femme décédée. Au fil de l'enquête on aura notre lot de petites avancées et de retournements de situations avec une surprise finale ; rien d'hallucinant, mais de quoi poursuivre le jeu jusqu'à sa fin.


Je dois bien l'avouer, j'ai été assez séduit par ce mélange entre surnaturel et noir. Cependant, je pense que je l'ai été surtout parce que le jeu, malgré un ton plutôt sérieux gardé du début à la fin, dégage une atmosphère qui tient plus des Contes De La Crypte que de True Detective. On cherche bien à démasquer un tueur en série au modus operandi pour le moins incertain mais à la signature immanquable - il laisse toujours une marque en forme de cloche sur le lieu du crime. Cependant, on le fait dans la ville de Salem, connue pour tout son folklore autour des sorcières, de leur chasse et des chats noirs. Dans ce contexte, Airtight Games a blindé son jeu de mini-histoires que l'on découvre en gros de deux manières : soit en collectant des objets, soit en parlant à des compagnons fantômes. Dans le premier cas, on doit assez classiquement trouver un objet un certain nombre de fois de manière à débloquer l'histoire de cet objet. Chacun des objets est donc une possibilité d'écouter des creepy-pasta, plutôt bien narrées dans leur ensemble, en regardant une image fixe. Dans le second cas, on entre en contact avec des fantômes bloqués dans le même entre-deux mondes que le héros. Tantôt la discussion tourne court et ils nous disent ce qui leur est arrivé. Tantôt, on a la possibilité de leur poser plus de question et de les aider à trouver la paix pour leur âme et à s'en aller dans un halo blanc.


Dans un cas comme dans l'autre, on ne doit pas s'attendre à du Twilight Zone en terme d'écriture. En revanche, si l'on apprécie le côté Ghoosebumps des creepy-pasta à écouter et les minis-enquêtes façon Conan (le détective, pas le barbare), on trouvera de quoi s'amuser sur le plan de l'écriture. Une bonne partie de mon appréciation du jeu est donc venue de là. Cette ambiance Halloween m'est particulièrement sympathique et est appuyée en plus par une vrai maîtrise formelle.


Graphiquement, c'est très réussi. Certes, les animations faciales ne sont pas à la fête, mais pour le reste, que l'on parle de modélisations des personnages principaux, des lieux intérieurs très détaillées, de la ville, des effets techniques comme la brume et les lumières ainsi que les particules qu'elles éclairent, on sent le jeu triple A. De même la direction artistique, sans être novatrice pour un sou, est faite sans faute de goût. Pour le dire simplement, c'est efficace pour l'atmosphère, sans jamais prendre trop de risques. Musicalement, c'est un peu le même constat : bruitages, doublages et compositions font pros sans aucun doute et aident à établir l'ambiance, sans jamais vraiment transcender quoi que ce soit. En somme, c'est carré mais sans prise de risque.


Le problème, c'est que cette sympathie qui manque clairement d'audace, on la retrouve également dans le gameplay.


Mortelle randonnée:


Murdered : Soul Suspect est un point&clic qui a adopté les méthodes de déplacements et de gestion de la caméra d'un jeu à la troisième personne classique. Ici on navigue dans un environnement assez vaste (dans la mesure où on est à pied), compartimenté en bâtisses que l'on visite au fil de l'avancement de l'histoire. On a donc rapidement accès à l'ensemble de Salem, mais l'on ne pourra visiter ses lieux particuliers (le commissariat, le musée, le cimetière etc.) que lorsque le jeu nous en donnera la possibilité scénaristiquement. Chacun de ces lieux donnera en gros trois objectifs : avancer le scénario en allant à un endroit précis, résoudre les problèmes des fantômes et ramasser un certain nombre d'objet.


J'ai déjà évoqué les ''collectibles'' ; rien de particulier si ce n'est de les voir. Il y en avait suffisamment peu dans chaque lieu pour que j'ai envie de les trouver et d'écouter l'histoire attachée. Pour le reste, le jeu essaye de développer des mécaniques à la fois liées au caractère décédé du héros et son état de fantôme, et en même temps à sa profession de détective.


En gros, l'histoire principale progresse par étude de lieux. À chaque fois, on arrive dans une pièce, généralement une scène de crime ou un lieu où se trouvent le prochain McGuffin. On étudie la pièce, interagissant avec les objets disponibles. Quand on a trouvé assez d'objet (pas forcément tous) le jeu nous propose de résoudre la question qui est en suspens – littéralement, elle est écrite dans l'air pendant qu'on enquête. On doit alors trouver les deux ou trois informations les plus pertinentes parmi toutes celles que l'on a soulevé dans la pièce. Si l'on se trompe, on peut immédiatement recommencer, jusqu'à trouver ce que l'on doit trouver.


Et là se pose un peu le premier souci de gameplay. L'enquête est vraiment très en surface. Contrairement à un L.A Noire ou à un Sherlock Holmes : Crimes And Punishment, qui ont leurs défauts respectifs, mais qui ont également tous deux des fins alternatives au cas où le joueur se plante, Murdered : Soul Suspect est linéaire à l'extrême et ne permet jamais de se faire ses propres interprétation. On essaye de nous donner l'illusion d'enquêter, au lieu d'enquêter réellement. Le jeu n'attend pas du joueur qu'il fasse vraiment les rapprochements lui-même, mais plutôt qu'il se laisse porter par les conclusions du héros. Cela donne une progression assez artificielle dans l'enquête où le joueur n'a pas de possibilité de s'investir.


Pourtant initialement, le jeu fait croire que les outils particuliers de ce détective fantôme vont rendre l'enquête plus amusante. Si l'on ne peut pas manipuler et interpréter les indices à sa guise, la manière de les obtenir pourrait être le sel du jeu. En effet, dès les premières minutes de contrôles, on apprend que l'on peut posséder les gens et ainsi lire leurs pensées immédiates, voir à travers leurs yeux, écouter leur conversation ou encore les influencer. Seulement encore une fois, c'est très limité. Airtight Games a fait le choix de rendre l'ensemble de ces mécaniques contextuelles et non systémiques. Du coup, voir à travers les yeux d'un personnage est limité au moment où le jeu veut que l'on voit à travers les yeux d'un personnage – on pourrait d'ailleurs noté que dans la mesure où l'on peut passer à travers les gens, on a pas vraiment besoin de posséder quelqu'un pour lire ce qu'il lit...enfin bref. De même, influencer quelqu'un consiste à cliquer sur le bon indice pour qu'une personne pense à cela et dise au personnage à qui elle parle ce qu'elle sait sur la chose ; ici aussi, on le fera que lorsque le jeu l'exige.


D'une manière générale, tout le concept de possession sent le gâchis. On ne peut pas diriger les PNJs dans lesquels on entre (en tout bien tout honneur). Les seuls moments où l'on dirigera un autre personnage que le héros, ce sera lors de la possession de chats noirs, qui servent dans des phases de plateforming courtes et dénuées d'intérêt. Tout cela est fort dommage, car la première chose à laquelle on pense, c'est à Hitman, voire à sa version light et comique, le Stacking de Double Fine. Murdered hurle d'être un Hitman-like où, au lieu de tuer, on cherche juste à atteindre le prochain indice ou lieu en prenant possession des bonnes personnes, en influençant les bonnes personnes, en traversant les bons murs et en usant des bonnes lignes de dialogues. Au lieu de cela, le jeu nous propose d'explorer des lieux dont les règles d'interaction un peu strictes – notamment sur le fait passer au travers de certains objets ou pas – ne sont que vaguement justifiées scénaristiquement. Au moins le sont-elles, j'imagine (hein Beyond : Two Souls).


Le seul moyen que trouve le jeu pour changer un peu le rythme et tenter de mettre de la tension par le gameplay, c'est au travers de séquences d'infiltration affligeantes. Des démons font de temps à autre leur apparition et flottent vaguement dans les lieux que l'on visite. Le but est de ne pas croiser leur champ de vision, au risque de pratiquement mourir en un coup, et de soi-même se placer derrière pour les tuer en un coup grâce à un QTE. Le jeu tente avec peu de conviction de faire évoluer ces parties en ajoutant la notion de distraction à l'aide de corbeaux que l'on peut réveiller. Seulement comme pour la partie possession et enquête, on est à la merci de ce que les designers ont placé dans la pièce. Et très franchement, il y a aucune salle d'infiltration qui ne nécessite d'utiliser autre chose que le QTE. Aucun intérêt ludique, ni même en terme de rythme.


La mort est un long fleuve tranquille :


Ainsi, Murdered: Soul Suspect est un jeu oubliable et oublié, que j'ai clairement fait sans déplaisir, parfois même souriant à son atmosphère. Seulement, c'est aussi et surtout un jeu provoquant cette frustration assez typique de l'idée inexploitée. Malgré son côté pulp de vieux comics d'épouvante des années 50, ce que je retiens surtout de Murdered, c'est qu'il aurait pu être une super itération sur le concept d'Hitman. Si seulement Airtight Games avait fait plus confiance au joueur et à leur propre création, au lieu de proposer un mode d'interaction assez superficiellement expliqué par le lore du jeu. Avec le studio fermé, et une licence qui n'intéresse personne (malgré une ressortie inexplicable sur PS4 et Xbox One), je doute qu'on puisse espérer une suite qui apporterait ce qui manque cruellement au jeu : de l'ambition dans ses mécaniques.

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le 22 sept. 2017

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