Nioh
6.9
Nioh

Jeu de Team Ninja et Koei (2017PlayStation 4)

L'un des problèmes majeurs que j'éprouve en tant que critique vidéoludique généraliste peut aisément être résumé en un seul mot qui – pour ce que j'en comprends – est allemand : le zeitgeist. Sans en avoir l'air, tenter de se mettre face aux jeux modernes nécessite de passer une portion assez conséquente de sa vie dans l'imaginaire des autres. Plus précisément... celui du consommateur moyen. L'utilisateur de base se dit soudain qu'il voudrait perdre sa vie à jouer aux divers nouveaux simulateurs censément loufoques bâtis autour de l'incapacité de divers développeurs à construire un jeu acceptable ? Vous êtes obligé de passer quelques jours de la vôtre à tenter de comprendre le phénomène. Serait-ce soudain l'année de la douleur pure car des jobards à lunettes se sont mis en tête de tout d'un coup s'enthousiasmer pour les descendants de Demon's Souls car ils en ont vu la publicité sur YouTube lors d'une session de streaming sponsorisé par Coke Zero ? Bardaf, l'on est soudain obligé d'apprendre à min-maxer un build capable de vous propulser jusqu'à la fin d'un monde maussade réalisé par un homme dont la vie fut rude et qui compte bien vous faire sentir la douleur existentielle de son enfance passée dans un état de pauvreté extrême. Face à l'adversité : vous êtes obligé d'apprendre constamment à vous plier aux velléités d'un public qui n'a qu'un intérêt très limité pour le jeu vidéo comme discipline artistique. Non, ce qui l'intéresse – en fait, hein – c'est de rester dans le coup. Ou, pour faire plus simple, de suivre la mode de manière aveugle. C'est aussi simple que ça.


Au fait, permettez-moi de prendre quelques lignes pour vous expliquer précisément pourquoi l'idée que « les YouTubeurs ont une importance vitale dans le domaine critique » est un mensonge presque total. Ces créateurs de vidéo... n'ont presque aucune volonté journalistique. Oh, certes, une poignée de personnes douées dans le domaine de la vocifération de jurons étrangement éloquents ont réussi à se faire de l'argent en faisant semblant d'être journalistes. (Ils ne le sont pas, hein, il leur manque presque l'intégralité de l'arsenal technique qui accompagne traditionnellement cette appellation.) Il suffit de gratter un peu pour se rendre compte que ce sont dans la très grande majorité des cas des spécialistes d'une toute autre discipline : pi**er dans le vent. Il leur suffit de suivre de très près Reddit et les forums spécialisés afin de jauger l'avis d'une portion très vocale de la communauté pour ensuite dire dans une vidéo réalisée à haute vélocité précisément ce qu'elle espère entendre. Ce n'est pas du journalisme, ça, c'est une forme très technologique de populisme. Autant l'admettre : le public du jeu vidéo, surtout sur le web, n'a aucun intérêt pour l'apparition d'une forme de journalisme spécifique à ce type d'activité. Si c'était le cas... ils achèteraient les quelques journaux qui tentent tant bien que mal d'exister dans ce domaine en louvoyant constamment entre leur dépendance totale aux éditeurs pour obtenir ces « exclusivités » dont ils ont besoin pour survivre... et leur instinct de simili-journaliste. (L'autre secret de cette profession, très mal gardé, reste que la plupart des rédacteurs de ce domaine sont médiocres, mal formés et généralement arrivés à leur position par pur copinage.) Et ne me parlez pas des tests exclusifs réalisés en avance sur des versions inachevées de titres à la mode. Non, sérieux, ne m'en causez pas. Je serais obligé de faire remarquer qu'ils sont généralement dithyrambiques – ouvrez un dictionnaire, tiens, si nécessaire – et cependant totalement dépourvus d'intérêt car réalisés sur du code rendu obsolète par le premier patch. Rien que ça.


L'hypocrisie, pour faire court, est devenu la norme. Seul le succès compte dans ce métier – fut un temps, c'était juste un hobby d'excentriques ; j'en sais quelque chose - et celui-ci s'obtient en restant le plus générique possible dans un domaine qui nécessiterait une révolution de l'esprit basée autour de principes éthiques. Quand l'on parle de « l'impact de YouTube » sur le jeu vidéo... n'oubliez pas de corriger mentalement la phrase pour préciser qu'il est question de « l'impact publicitaire de YouTube sur le jeu vidéo ». Ce sera plus réaliste. Nioh, dans le genre, est un exemple parfait du type de démarche devenue populaire ces derniers temps : c'est un décalque – ou, pour faire plus simple, un plagiat – d'une série plébiscitée sur un malentendu par des masochistes et rendu possible par des sadiques. Le tout, en plus, véhiculé par les réseaux sociaux où les portions les plus oisives de la société passent leur temps à revendiquer des goûts très spécifiques pour tenter de revendiquer leur appartenance à une caste qui n'est qu'une vue de l'esprit. Ne sont « hardcore » que les « gamers » qui peuvent prétendre au niveau de talent nécessaire à participer aux divers tournois mondiaux qui récompensent leur instinct de mono-maniaques. Vous, sans que ce soit une insulte, êtes juste désœuvrés. Ce n'est pas une bonne chose, au fait, il existe des démarches plus constructives que d'aimer souffrir du fait de participer à un produit vendu comme source de délassement. Sachez-le.


Ceci dit... Nioh n'est pas la pire tentative de ce genre qu'il m'ait été donné de voir ces dernières années. (Enfin, je dis donné, j'ai malgré tout dû me payer cette affaire près de soixante euros.) Loin des délires malsains et malhabiles de From Software la formule Souls peut enfin se targuer d'avoir cette intangible qualité de nervosité qui a toujours fait défaut au fameux clone gothique de The Legend of Zelda. C'est normal, d'ailleurs, là où les parents de Dark Souls ont toujours été – au mieux – de maladroits artisans du code à peine capables d'écrire des jeux caducs rendus étranges par leur niveau de difficulté obtus... Team Ninja excelle dans la création de jeux d'action bâtis autour de la réactivité. Leur série Ninja Gaiden n'est certes pas passée ces dernières années par les meilleures cases de son histoire. Mais bon, c'est très dur de créer un titre de qualité quand la majorité des décideurs de votre compagnie quittent le bercail durant une période d'absorption où votre studio sera petit-à-petit absorbé par une corporation connue pour faire précisément l'inverse de ce que vous avez l'habitude d'exporter. (Il semble assez évident que la portion de Koei-Tecmo qui dirige la danse se trouve être celle dont le nom est soudain apparu en tête de leur nouvelle appellation après quelques années de tergiversations insensées.) Tout bien considéré, Ninja Gaiden 3 ne s'en sortait pas si mal d'un pur point de vue du gameplay. Or, comme je m'efforce de vous le répéter depuis la fin du XVIIIème siècle : dans le jeu vidéo, hein, ce qui compte... c'est le gameplay.


Comment s'assurer de faire mieux que Dark Souls dans ce domaine ? Ce n'est pas si compliqué que ça, en fait. Il suffit de s'assurer de prendre tout ce que la série pense savoir faire... et de laisser des professionnels de la discipline le transformer en une version moins désagréable à jouer du fameux Simulateur de Malheur venu du Japon. Premier arrêt ? Faire sauter les boucliers pour créer une différence fondamentale entre les deux séries. Tout peut passer par un système de garde permettant de fusionner en une seule fonction garde et parade. Simple et efficace. (Tout l'inverse de Bloodborne, d'ailleurs, qui donnait plus l'impression d'être une version de Demon's Souls coupée d'une fonctionnalité majeure.) Deuxièmement ? Justifier tout ceci par le setting : ici, vous jouerez un Samouraï. Vous avez déjà vu un Daïmio brandir un bouclier européen médiéval ? Moi non plus. Ensuite, faudra un truc technique qui donne l'impression d'une forme de profondeur au jeu tout en permettant au joueur habitué à l'autre série d'apprendre par petites touches comment survivre ici. Les Samouraïs, en théorie, font tous du Kendo... il suffit de rapatrier un peu de la logique de l'art martial que l'on tente d'adapter en proposant aux utilisateurs de varier la prise en main de leur sabre. Cela leur donnera une vague compréhension de la discipline que l'on tente de leur inculquer tout en leur faisant comprendre que tout duel est une suite de choix tactiques posés dans le feu de l'action. Cerise sur le gâteau ? Rajoutons à tout ceci deux fonctionnalités tirées tout droit de la série Ninja Gaiden : la capacité d'utiliser à tout moment un arc – ici utilisable sans passer par le système d'inventaire lourdaud de Demon's Truc – et un moteur 3D capable d'afficher l'intégralité de l'action à 60fps. Quitte à y être... réalisons tout ceci dans une résolution qui permette d'assurer cet artifice là où From Software semble s'entêter à faire précisément l'inverse.


En fin de compte, c'est ça la leçon de Nioh : il suffisait de laisser des professionnels du gameplay solutionner les problèmes inhérents à la formule pour que le tout devienne fonctionnel. Remarquez que j'ai dit « fonctionnel » et non pas « plaisant ». Faut pas déconner, non plus.

MaSQuEdePuSTA
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le 13 avr. 2017

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