Critique publiée sur Etoile-et-Champignon.fr


On a aimé Ori and The Will of the Wisps, mais cette affection n’est pas sans ambiguïté. C’est d’abord un jeu au game-design très conservateur, qui reproduit scrupuleusement la formule « plateforme-action » du premier épisode, et veille à ne surtout pas faire un pas de côté : ses grandes qualités sont les même, ses aspects superflus aussi, de sorte que l’on voit mal ce que l’on peut en dire de neuf pour le décrire comme une expérience spécifique – d’ici quelque mois, on aura même probablement du mal à dire si tel niveau était dans le premier ou le second jeu. Si l’on commence par lui casser du sucre sur le dos, c’est que ses grandes ressemblances sont aussi ses limites : un jeu qui se donne comme seul horizon de reproduire un modèle, aussi brillant soit-il, ne peut logiquement rien produire de neuf, ni surprendre vraiment.


Ceci étant, on a quand même aimé Ori and the Will of the Wisps, comme on avait aimé le premier, parce qu’en dépit de sa frilosité, cette suite replonge avec délice dans l’un des versants les plus forts du jeu-vidéo : la pratique d’un déplacement comme source de jubilation. Pour servir cette belle idée, qui est vraiment le cœur battant de la série, les développeurs de chez Moon Studios affichent une maîtrise formelle impressionnante, dans tous les aspects « artisanaux » du game-design, des décors aux animations en passant par la gestion des lumières et la « mise en son ». Chaque niveau s’explore comme une jolie peinture bercée d’une myriade d’animations figurant le passage du vent : partout où porte le regard, les branchent oscillent, les feuilles tombent et les buissons s’agitent, jusque dans l’arrière-plan d’où jaillissent des rais de lumière qui semblent traverser le décor jusqu’à percuter l’écran. D’une manière générale, le travail sur l’éclairage est immanquable, et semble pensé pour accentuer des couleurs déjà saturées en elles-mêmes, comme pour déborder notre œil de stimulations visuelles jusqu’à l’excès. De fait, et presque mécaniquement, on est souvent arrêté par la joliesse de l’ensemble, par l’effet de nature vibrante et frémissante qui s’en dégage.


Sur le plan de la présentation, Ori est un modèle, de ceux que l’on montre dans les écoles des métiers du jeu-vidéo pour présenter les standards de qualité atteints par des équipes les plus capées. On insiste sur l’idée de « standard » : la série de Moon Studios n’est pas le lieu d’idées folles mais celui de choix longuement pondérés, sommatifs de plus de 30 ans de game-design en matière de jeux en 2D (et plus spécifiquement du Metroidvania, sous-genre mêlant action et plateforme dans un monde qui se décloisonne progressivement). Les Ori sont, de toute évidence, des jeux travaillés par un phénoménal effort de rationalisation de ce qui fait le succès d’un produit « grand-public ». Ce sont des jeux où tout est ripoliné, où rien ne doit dépasser, y compris dans leur histoire gentillette, lestée par ce qu’il faut de drame pour instiller une dose réglementaire de tension qui, soyons honnête, ne sert vraiment qu’à « servir le gameplay ». On pourra d’ailleurs ne pas goûter son fond de niaiserie rebattue, qui s’accorde assez bien avec ses quelques musiques sirupeuses.


Par leurs bords les moins nécessaires ou les plus forcés, les Ori témoignent ainsi de leur cahier des charges, qui les contraignent à s’alourdir de choses qui les desservent. Autre exemple-clé : les Metroidvania font d’habitude la part belle à l’action, il fallait donc qu’ils en proposent aussi… sauf que le gameplay des Ori est clairement moins agile dans l’action, transformant les confrontations en corvée, s’agissant notamment de saisir les fenêtres de contre face aux ennemis dont les animations sont les moins lisibles. Et si les combats de boss, aux gigantesques modèles animés de façon spectaculaire, contiennent une part d’adresse stimulante, leur côté « sac de frappe » ne convainc pas, à défaut déplaire – car tout cela se laisse quand même bien jouer. On ne retiendra pas grand-chose non plus des quêtes annexes, qui ne sont qu’une nouvelle manière de présenter un contenu semblable à celui du premier Ori, ni des power-ups équipables qui n’infléchissent que légèrement la pratique : ce sont des « carottes » à l’exploration, qui n’avait pourtant besoin de rien d’autre que du gameplay « en déplacement » pour séduire.


Ce qui nous semble indiscutable en effet, c’est la jubilation procurée par le simple fait de mouvoir notre personnage, qui s’affranchit progressivement de la gravité à mesure qu’il acquiert de nouvelles manières de fendre les airs. Tout ce qui fait la valeur d’Ori tient à cette approche aérienne et fougueuse du parcours, à cette ivresse de trajectoires véloces et suspendues, nourries par l’explosivité de notre personnage : chacun de ses pouvoirs est une propulsion, que ce soit par des sauts (jusqu’à quatre successifs), par l’arrimage à un point distant lui permettant de traverser le tableau en une fraction de seconde, ou par cette capacité jouissive à plonger dans et hors de zones sablonneuses ou aqueuses, offrant une option de plus pour se catapulter. Les séquences les plus grisantes jouent précisément sur cette jubilation qui nous gagne, lorsque l’on réussit à planer de prise en prise, presque sans toucher terre, en activant successivement toutes nos options propulsives lors de course-poursuites où le décor se reconfigure sous nos pattes.


Reste à aborder le level-design, si essentiel aux jeux de plateformes, et qui brille dans les Ori au même niveau que leur gameplay. Il est d’abord limpide, toujours ultra-lisible sur le plan de l’action, malgré sa profusion de détails visuels qui ne noient jamais les points d’appuis interactifs : un simple coup d’œil suffit à savoir ce qu’il est possible de faire avec nos capacités du moment, ce qui permet d’ailleurs de tisser son parcours « à la volée », en captant notamment les projectiles ennemis pour s’en servir comme de trampolines, tout en renvoyant le tir dans la direction opposé – dans un double-effet de notre action, qui était l’une des belles inventions du premier épisode. Le level-design est en outre parsemé de nombreuses gratifications immédiates, sous forme de murs à détruire, de leviers à activer ou de portes à ouvrir, qui sont autant d’occasions d’éprouver une certaine forme de liberté : celle d’ouvrir ses propres chemins avant de les explorer, un classique des Metroidvania qu’Ori applique avec panache.


On est enfin frappé par la progressivité à peu près parfaite des niveaux, qui se compliquent pas à pas jusqu’à la fin du jeu, malgré une structure non linéaire dont le développeur se dépatouille à merveille : tout en offrant de suivre quatre objectifs dans l’ordre que l’on préfère, le level-design balise discrètement ses quatre régions de plusieurs niveaux de lecture, adaptés à nos différents avancements possibles (avec ou sans tel ou tel pouvoir), qui permettent de progresser tous azimuts de façon consistante et sans blocage, tout en réservant des chemins optionnels à explorer une fois tous les mouvements acquis. Tout bien considéré, voilà qui fait tout de même un socle de belles qualités, pour un jeu dont on avait commencé par regretter le manque d’originalité et la part de superflu : un tel gameplay aérien, adossé à un level-design brillant et une présentation hors pair justifiaient bien cette suite ; mais pour le jeu d’après, s’il vous plait Moon Studios, on espère quand même autre chose !


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Benetoile
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le 3 mai 2020

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