Même les plus beaux voyages ont une fin

Outer Wilds est aisément l'un des plus grands jeux vidéo auxquels j'ai joué ces dernières années mais aussi au cours de ma vie. Il s'est révélé particulièrement stimulant, diablement ingénieux et émotionnellement intense.

En préambule, je précise qu'il est primordial de l'aborder avec un minimum d'informations de fond, de contenu. Pratiquement tout peut être considéré comme un spoil susceptible, à des degrés divers, d'entacher l'expérience. Je conseille de ne pas lire de critique trop détaillée, de ne pas regarder de vidéastes traitant du jeu et autres sources pouvant aller trop loin dans les explications ou les images montrées. C'est pourquoi cette évaluation se veut aussi détachée que possible, en dehors du bref synopsis ci-dessous.

Il part d'un postulat simple. Vous êtes un astronaute parmi quelques autres, tous faisant partie du programme spatial d'Âtrebois qui, comme dans notre monde, cherche à en découvrir plus sur le système solaire qui vous entoure. Or, dans ce dernier, a vécu une espèce énigmatique et technologiquement avancée, les Nomai. Ils semblent avoir tous disparu mais vous avez un atout dans votre exploration : le premier outil de décryptage et de traduction de leurs écrits, qui parsèment les vestiges de leur civilisation. Au-delà de ce canevas, vous êtes entièrement libre.

Or, dans Outer Wilds, la liberté n'est pas un vain mot. Il reprend une logique, déjà connue avec Myst, d'un jeu d'aventure et de réflexion qui pourrait être achevé en l'espace d'une poignée de minutes. Il est pourtant impossible de le terminer aussi rapidement parce que la clé du jeu est la connaissance. Nul objet permettant de dégager ou d'ouvrir un accès, nul boss à défaire pour ouvrir une zone : absolument tout est atteignable dès la première seconde de votre périple, sans condition. Seule votre soif de connaissance, d'expérimentation et de compréhension du monde qui vous entoure vous permettra de progresser dans le jeu. Celui-ci ne vous prend jamais par la main et se contente de vous aiguiller à l'aide d'un game design subtil et intelligent, sans jamais se montrer envahissant.

Pour autant, d'aucuns pourraient se sentir perdus, voire abandonnés, lors de leurs premières dizaines de minutes. Pas d'affolement, tout est normal. Laissez-vous guider par ce qui attise votre intérêt, par vos obsessions et vos envies. Il n'y a pas de parcours type, pas de balises, pas de course ni de concours du joueur qui comprendra mieux et plus vite que les autres. Tout est possible alors autant en profiter !

Le monde tel qu'il est façonné relève d'une maestria rarement vue. Les différents corps célestes et autres satellites évoluent tous au cours de votre voyage, dans une chorégraphie savamment étudiée. Le résultat est, sur le plan esthétique, fascinant et époustouflant. Au niveau du game design qui en découle, c'est encore une fois parfait. Tout s'enchaîne à la perfection, comme si le joueur évoluait dans une portion d'un véritable univers évoluant de façon organique et spontanée. On est alors amené à réfléchir à son itinéraire et, parfois, aux différentes zones en fonction des changements subis par l'environnement.

Rien n'est laissé au hasard et les différentes mécaniques qui constituent le cœur du jeu se dévoilent de plus en plus clairement au joueur, même à celui qui aurait ignoré plusieurs informations de base. Tout a un sens et une logique qui peut être comprise d'une manière ou d'une autre, à un moment ou à un autre, dans une cohérence rare. Comme je le disais plus haut, cela vous offre également une liberté d'expérimentation très souple et il ne faut pas hésiter à essayer de trouver ses propres solutions. De ce fait, votre parcours sur Outer Wilds ne sera jamais identique à celle d'un autre joueur.

L'histoire, qui enchevêtre celle vécue par les joueurs et celle du système solaire, est profonde. Littéralement. Il faudra se lancer dans de solides excavations pour retrouver un maximum de fragments qui permettront, finalement, de les recoller en une immense fresque s'étalant sur 14,3 milliards d'années. Les différents écrits Nomai jouent évidemment un grand rôle et on se surprend à s'attacher à des personnages que nous ne verrons et n'entendrons jamais, qui ont vécu et qui sont morts depuis bien longtemps.

Si l'ensemble comporte un sous-texte philosophique et plus particulièrement métaphysique, cet aspect résonne d'autant plus au moment de la conclusion. Exceptionnelle pour de nombreuses raisons, elle ne se veut ni heureuse, ni déchirante. Elle est. Le joueur n'a d'autre choix que de l'accepter et, s'il le souhaite, d'y réfléchir. Nul doute que ses implications feront écho aux expériences personnelles de nombreuses personnes.

Enfin, la bande originale d'Andrew Prahlow n'est pas seulement magistrale. Elle fait également partie intégrante du jeu. La plupart des pistes sont relativement discrètes (voire absentes, un choix artistique assumé par le compositeur) et participent à une atmosphère générale. Toutefois, lors de moments définis, elles se déploient dans une toute autre dimension. Pourtant, elles ne sont pas plus tonitruantes ou grandiloquentes. C'est simplement que, ponctuellement, le joueur se rend compte de l'importance de ce qu'il est en train de vivre après un certain temps ou en accédant à un endroit en particulier. Certaines pistes s'interpellent, se répondent et s'entremêlent dans un orchestre polymorphe mais intime, indissociable. Le tout offre une ambiance mélancolique et nostalgique, soutenant non seulement l'univers (notamment le voyage grisant à travers le vide spatial) mais aussi le propos de l’œuvre.

Vous l'aurez compris, mon avis est dithyrambique. Il serait possible de disserter des heures et des pages durant, en allant plus ou moins dans le détail. Comme cette critique se fait déjà suffisamment longue et que l'objectif est d'éviter toute information pouvant gâcher l'expérience de futurs joueurs, il vaut mieux y mettre fin.

Outer Wilds est assurément un jeu exceptionnel comme on en voit peu, un diamant taillé avec minutie pensé pour faire vivre au joueur une expérience inoubliable (et unique, au sens propre).

Il peut convenir à tout type de personne prête à s'investir dans le monde qui lui est proposé. L'univers proposé est adapté à tout âge et tout public. La seule barrière potentielle se trouve dans le gameplay, qui nécessite une certaine adaptation en termes de contrôle de la navette et du personnage. Une personne peu habituée à une manette et aux jeux en 3D devra faire preuve d'un peu plus d'assiduité que les autres pour passer certains passages plus "techniques" (rien d'absolument rédhibitoire cela étant).

En ce qui me concerne, il y a définitivement eu un "avant" et un "après" Outer Wilds tant il m'a marqué. Au point où je n'ai aucune difficulté à l'ériger au sommet du panthéon des jeux auxquels j'ai eu la chance de jouer. Et je pense que tout un chacun gagnerait à en faire l'expérience soi-même.