Papo & Yo
6.6
Papo & Yo

Jeu de Minority Media Inc. et SCE (2013PlayStation 3)

Plusieurs mois nous séparent déjà de la sortie de Papo & Yo sur le PSN l’été passé. Bonne nouvelle : le premier né du studio Minority a débarqué depuis le 18 avril sur PC ! Remarqué pendant son développement grâce à ses vidéos colorées et son jeune héros sautant sur les toits d’une favela fantasmée, Papo & Yo peut non seulement se vanter d’être un vrai jeu d’auteur, mais également un jeu d’une étonnante honnêteté.

Cette authenticité s’est affirmée dès le trailer de lancement, mélangeant allégrement images-live et séquences de jeux. On y découvre le héros, Quico, utilisant son imaginaire pour fuir la réalité à laquelle il doit faire face. Dans ce monde où il est enfin libre, il devra cependant cohabiter avec un gigantesque monstre tantôt paisible, tantôt violent. Il n’est pas ici question d’en faire un secret : Papo & Yo parle de l’enfance de son créateur, confronté à l’alcoolisme de son père. Là où nombre de projets auraient gardé cachée une telle symbolique, pour ne la dévoiler qu’à demi-mot après un long cheminement, les cartes sont ici expressément découvertes avant même le début de la partie. L’homme derrière Quico -son alter ego- s’appelle Vander Caballero. Après des années de bons et loyaux services pour Electronic Arts, il décide de partir voler de ses propres ailes en créant le studio Minority. Fatigué des innombrables shooters inondant le marché, son ambition est simple : proposer un jeu d’aventure sensible, chargé d’émotion et, vous l’aurez compris, à vocation autobiographique. Ainsi, Papo & Yo démarre sur une dédicace des plus claires : “A ma mère, mes frères et mes sœurs grâce à qui j’ai survécu au monstre qui habitait mon père “.

Loin de tomber dans un quelconque misérabilisme, l’ambiance du jeu est lumineuse et chaleureuse, renforcée par les excellentes musiques de Brian D’Oliveira. Quico court et bondit sur les tôles, croise d’énormes graffitis de toute beauté, doit activer des mécanismes semblables à des dessins d’enfants pour progresser et se verra rapidement accompagné de Lula, son jouet favori. Dans Papo & Yo, la simplicité est de mise. Le gameplay se prend en main instinctivement et les énigmes qu’il faudra résoudre ne seront jamais très compliquées. Pour autant, on prend un réel plaisir à les découvrir. Le jeu s’accorde quelques moments de pure magie, comme lorsqu’il faut empiler une dizaine de maisonnettes volantes et former un pont malléable à notre gré, ou lorsque le décor se replie à la verticale, fournissant ainsi une nouvelle aire d’exploration. Ces moments légers et fugaces sont à attraper au vol. Il s’agit de s’arrêter quelques instants pour taper dans un ballon de foot, de porter des grenouilles géantes qui se serrent contre nous ou simplement de regarder le monstre, détendu, faire la sieste. Les chutes et les erreurs ne sont jamais mortelles, un choix non-punitif délibéré qui s’accorde avec le reste : le joueur ne doit pas être frustré car la question n’est pas là. Les crises de rage du monstre, quand il mange une grenouille, n’en sont pas moins tétanisantes. Au calme cède la terreur et s’il est physiquement invincible, les cris de Quico, balayé d’un revers de main, percent le cœur. Dominant l’enfant de toute sa taille, le monstre n’aura de cesse de le poursuivre, jusqu’à l’ingestion du fruit adéquat.

Cette double personnalité est sans doute l’un des points cruciaux du jeu, celui qui définit le rapport très conflictuel qui unit l’enfant à son parent instable. Spontanément toujours ramené vers le monstre, ce père qu’il ne peut cesser d’aimer malgré sa violence, Quico va chercher à tout prix un moyen de le guérir en partant en quête d’un chaman. Sur sa route, il va remodeler son environnement en manipulant les éléments de cet univers fictif, l’émerveillement laissant petit à petit sa place à la prise de conscience. Les étapes se suivent : ranimer Lula et se couvrir de peintures corporelles, assister (encore ?) à l’appétit destructeur du monstre. Peu avant la fin de son voyage, Quico devra manipuler quatre statues, dévoilant sans doute possible les équivalences entre les images du jeu et de la vie réelle. Cette scène s’avère emblématique du message de Vander Caballero. Si l’on pourra peut-être la trouver trop appuyée ou trop évidente, il faut garder à l’esprit qu’à défaut de chaman salvateur, c’est en réalité, sans s’en apercevoir, lui-même que Quico a soigné en acceptant de voir la vérité en face.

Bien qu’arrivant beaucoup trop vite (après seulement trois à quatre heures de jeu), la conclusion parachève les intentions de Minority. Lassée de retrouver toujours les mêmes schémas, l’équipe a décidé de ne pas céder à l’inévitable boss de fin, pourtant prévu tel quel à la base et agrémenté d’un happy end facile. En choisissant une autre voie, Papo & Yo a su rester sincère jusqu’au bout -pas de miracle tombé du ciel au programme- permettant à Quico d’avoir la force de se libérer de ce tourbillon autodestructeur. Tout comme son auteur après des années de réflexion. L’émotion nous empêche parfois d’exprimer de façon efficace tout ce que l’on ressent et certes Papo & Yo n’est pas irréprochable. Il sera perçu maladroit par certains (tant pis), on aurait aimé en avoir davantage, qu’il s’accorde une maniabilité plus affinée encore. Heureusement, le but précis de partager une expérience personnelle par le biais vidéoludique est remporté haut la main. Baignant dans une énergie positive, dans une atmosphère rafraîchissante et non-conformiste, il est à espérer que d’autres s’inspireront des motivations de monsieur Caballero et son studio.

Le chaman est parfois décrit comme un guerrier pacifique, celui qui relie le réel et le spirituel. Cette définition sied à ravir à Vander Caballero, qui ne souhaite après tout qu’un peu plus de cœur et moins de boum-boum déshumanisés dans l’éventail de l’industrie. Son premier bébé numérique touchera sans doute plus les gens qui pourront y projeter leur propre vécu, d’une manière ou d’une autre. Cependant, le plus important reste de continuer à créer et partager une vision différente et, dans le cas présent, plus personnelle des jeux vidéo.
Molo
8
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le 26 avr. 2013

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Molo

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