Ce jeu m’a donné une ampoule et un bleu aux doigts

Je suis touché physiquement sur le majeur et sur l’annulaire, et pourtant j’en redemande. C’est donc ça le sadomasochisme ?


Difficile de faire plus radical en terme de proposition de jeu que Peaks of Yore : un jeu d’escalade en noir et blanc, sans le moindre gras. Pas de scénario mirobolant, pas d’interface, une difficulté bien corsée réclamant autant de l’endurance sur de longues voies que des contrôles plus précis sur des petites sessions de bloc. Les développeurs vous rirait sûrement au nez si vous mentionniez les “assistances visuelles” qu’on retrouve dans tous les blockbusters modernes où les points d’interactions sont surlignés en jaune. Et en même temps, la proposition de jeu est on ne peut plus universelle et c’est ce qui en fait un pur chef d'œuvre. Si Death Stranding a su rendre la randonnée fascinante et est à ce jour toujours le gameplay de marche le plus ciselé de l’histoire du jeu vidéo, Peaks of Yore a bien installé en 2023 ce qui devrait être à tout jamais les standards de l’escalade dans le média.


Tout le superflu a été retiré pour laisser le joueur en tête à tête avec les sensations de grimpe les plus pures. On déplace chaque main avec le bouton de la souris correspondant, et c’est terminé. C’est vous, votre dextérité, éventuellement votre harnais et un peu de café pour vous maintenir éveillé face à l’exigence requise par l’ascension. Comme je l’ai vu noté dans une critique de Steam, on a ici un jeu “basé sur la physique” qui à aucun moment n’a pris la décision d’ironiser sur son concept, de laisser volontairement des bugs et des failles pour que le joueur expérimente stupidement (même si oui je suis au courant que les speedrunners font des trucs complètement explosé). On a juste une proposition de “jeu de plateforme” en quelque sorte à l’extrême sincérité. La pureté du projet force le respect, pas de musique à part des bruits d’ambiance et un sound-design satisfaisant. Pas d'aide visuelle : tout est visible et lisible à l'oeil nu. Une vraie générosité dans le challenge qui se renouvelle constamment et qui ne mettra jamais à l’épreuve les mêmes techniques : prises fragiles, glissantes, switch de main, saut, attaques de mouettes. Les sensations de la vraie escalade sont bien présentes (le risque de se péter une cheville en moins) : on est à deux doigts de s’étouffer quand on tente un saut périlleux après plusieurs éprouvantes minutes de grimpette, on transpire en économisant éternellement sa dernière corde, on devient fou et hyperactif en réessayant la même technique de bloc en boucle.


Le level-design est exemplaire. Vu de loin, chaque massif fait “naturel”, il dégage une ambiance et une histoire qui lui est propre avec simplement un nom, une brève description et quelques passages retors. Chaque challenge fait vraiment unique et laisse ses propres souvenirs impérissables. Je me souviendrais pour toujours je pense de mon aventure sur “Les Trois Frères”, composé de trois grands piliers rocheux. Arrivé sur le deuxième, j’épuise toutes mes cordes en me battant avec une mouette complètement folle, puis je tente un saut de l’ange, j’arrive sur la troisième colonne les poches vides, je me dégonfle quelques secondes plus tard, je rate une prise et je comprend que je ne pourrais pas revenir tant que je n’aurais pas du cordage supplémentaire. Car oui ce qui est hyper agréable aussi, toujours dans cette idée de “naturel” et de game design bien pensé, c’est la présence discrète de PNJs et d’objets de manière éparse dans l’aventure. Parfois ils vous encouragent depuis le haut du caillou, ont abandonné au pied du mur ou même vous donnent un coup de main pour prendre des raccourcis ! Ca ajoute encore une fois une dimension très “naturelle” et “humaine” aux collectables et aux environnements. Toujours accompagné de bonnes idées discrètes comme le fait de devoir brosser ce qu’on a ramassé dans une sorte de “hub central” (habillé de super musique), ou les citations d’alpinistes pendant les temps de chargement.


Je ne mentionne même pas les géniaux niveaux où on escalade des voies moins conventionnelles : un moulin, un phare ou même Stonehenge. Le gameplay est tellement bon qu’on rêverait d’un open world, ou tout simplement de toujours plus de niveaux avec ce gameplay alors que le jeu est déjà hyper généreux et bourré de contenu ! Surtout vu le temps qu’on peut passer sur chaque escalade, particulièrement la dernière, dont l’infâme équivalent de l’Everest qui prendrait 5 heures en temps réel, 5 heures mesdames et messieurs ! Ça fait quasiment une demie journée bordel ! Et on ne m’enlèvera pas de l’esprit que c’est certainement plus difficile de compléter Solemn Tempest que d’exploiter quelques sherpas pour se faire accompagner au sommet du vrai Everest. J’aurais rêvé de voir encore un peu plus d’interactions avec les PNJs, ou un peu plus d’humour dans le ton général du jeu bien que le fait que les discussions soient normales renforce le côté réaliste et naturel de l’expérience.


Peaks of Yore est tellement excellent, tellement parfait dans ce qu’il a choisi d’offrir qu’on ne peut qu’en vouloir et en demander encore un peu plus, telles les créatures insatiables que nous sommes. Éternels insatisfaits, assoiffés et espérants de l’inconnu au point d’aller s’attaquer aux pics et aux monstruosités de la nature les plus brutales et interdites. L’escalade est une discipline magnifique, et Peaks of Yore est le plus bel hommage qui n'ait jamais été rendu à cette discipline. Le genre de jeu à faire découvrir et à présenter à tout le monde tant il est universel, je souhaite que le monde entier ait la chance de fouler le calcaire des Great Gales (c’est définitivement mieux que de se fouler une cheville).

Tomega
9
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le 15 mai 2025

Critique lue 15 fois

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