Pitfall!
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Pitfall!

Jeu de David Crane, Krome Studios, Activision et Xbox Game Studios (1982Atari 2600 VCS)

Pour un joueur passionné, il est souvent difficile de remonter au delà de sa propre « Année Zéro ». Lorsque vous avez grandi avec une SuperFamicom, les jeux NES vous semblent généralement trop faiblards techniquement, et les amateurs des 8 bits de luxe seconde génération (Famicom, Master System) souffrent quand il s’agit de tâter de l’Atari 2600. La préhistoire vidéoludique, c’est rude, c’est comme ça. Et pourtant, certains jeux, certes rares, réussissent, même après des dizaines d’années, à vous claquer au visage comme des évidences, à transpirer le génie malgré la taille des pixels et leur aridité formelle. Des pépites, des coups de maître. Pitfall! premier du nom fait partie de cette catégorie, de cette petite caste d’Elus dispensant la bonne parole vidéoludique, tant par sa classe intrinsèque que par son influence rien moins que massive sur l’univers du jeu vidéo au sens large.

Si le titre fait office de Saint des Saints auprès des plus vieux, ceux qui ont eu la chance de connaître les joies de l’Atari 2600, pour les autres, Pitfall! n’est qu’un nom que les critiques grisonnants aiment à évoquer dès que l’on parle de la plateforme au sens large. Il est bon de faire le distinguo entre les débuts d’un genre et sa préhistoire. L’époque de l’Atari 2600 était excitante et sauvage, dans le sens où chaque jeu était abordé en tant que tel, singulièrement, sans qu’il soit rattaché à un genre. Le territoire vidéoludique était encore en friche et les codes des genres pas encore installés, chaque jeu obéissait à ses propres règles. Là où SuperMario fait clairement partie de ceux qui installèrent les codes du jeu de plateforme, et des jeux comme Donkey Kong à la préhistoire de ce dernier, Pitfall! est une oeuvre de transition entre les deux ères, portant en lui une portion considérable de l’ADN du plateformer à venir tout en restant résolument singulier, entier, à la façon de ses contemporains. De plus, il opte pour une forme de gameplay pluriel, choix particulièrement audacieux à une époque où la plupart des jeux reposent sur l’exploitation d’une mécanique exclusive, que ce soit Pacman, Space Invaders ou Donkey Kong. Voyez plutôt.

Vous incarnez l’aventurier Pitfall Harry (à ne pas confondre avec Dirty Harry) (ni Mata Harry), cousin éloigné d’Indiana Jones dont le but est, outre de survivre aux pièges d’une jungle hostile, de récolter les trente-deux trésors disséminés sur un parcours périlleux, et ce en moins de vingt minutes. Simple, efficace, sans fioriture à l’image des jeux de son époque. Pas de quoi fouetter une loutre, néanmoins, dit comme ça. Mais si Pitfall! entre dans la légende, ou plutôt l’écrit carrément, ce n’est évidemment pas pour son synopsis, mais bien pour ses idées de gameplay. Dès l’ouverture de la partie, le jeu crée la surprise en respectant les promesses faites par la jaquette : le jeu se passe effectivement sur deux plans autonomes, choix déjà audacieux. Si vous décidez d’évoluer à l’air libre, vous affronterez tous les pièges de ce territoire décidément bien hostile : rondins de bois, crocodiles voraces, lacs, cratères béants, serpents venimeux, feux ardents, tout est là pour vous signifier que vous n’êtes pas le bienvenu! Le sous-sol est moins hostile, n’ayant à son actif que quelques scorpions qui demande un certain doigté pour être enjambés, que l’on prend néanmoins rapidement. Cependant bon nombre de vos tentatives souterraines vous mèneront droit dans le mur – littéralement – vous forçant alors à rebrousser chemin et perdre de précieuses secondes pour rejoindre la surface. Lorsque l’on se penche un peu plus avant sur les spécificités de ces deux niveaux de jeu, on remarque que le sous-sol, en plus d’assurer un parcours plus confortable, fait véritablement office de passage « secret » ou tout au moins de raccourci car si le joueur emprunte cette voie souterraine, la succession des écrans de jeu s’en retrouve bousculée, un écran souterrain équivalant à un nombre défini d’écrans à la surface, soit un raccourci de cinq écrans.

Comparé à la grande majorité des jeux de l’époque dont l’action est confinée à un seul cadre délimité, Pitfall! est carrément visionnaire, et sa mécanique réussit à mêler à une essence de pur plateforme des éléments (légers) de puzzle game. Car si l’on peut aborder Pitfall! comme un simple jeu de survie, la présence de ces raccourcis souterrains s’intègre à un autre niveau de jeu : le scoring. En effet, dans Pitfall!, à l’instar des grands noms du shoot’em up, le véritable challenge commence à partir du moment où l’on est capable de le finir – mais vu la difficulté du titre, on passe un bon bout de temps à simplement essayer de sauver ses miches d’aventurier et jouer le chrono en se contentant des quelques trésors amassés durant les vingt minutes sauvages où les écrans se suivent, se ressemblent, mais proposent un challenge toujours renouvelé suivant une combinatoire particulièrement intelligente d’un nombre déterminé d’éléments, les gouffres et lacs qui apparaissent et disparaissent suivant une séquence régulière, ainsi que les salutaires lianes venant s’ajouter à la liste de pièges énoncée plus haut. Si le jeu est exigeant en terme de précision, tous les pièges ne sont pas mortels, et se faire rouler dessus par des bûches ou tomber à l’étage inférieur après un saut mal négocié au dessus d’un trou n’impliqueront qu’une pénalité de score. Pour le reste, on devra prendre des risques et sauter de crocodile en crocodile pour franchir des lacs en prenant bien gare à se positionner sur leur tête au moment où ces gourmands ouvrent la gueule, on franchira étendues d’eau et précipice à l’aide d’une liane, avec un petite séquence mélodique évoquant de façon convaincante le cri de Tarzan, bref, on osera l’aventure. Ajoutez à ça la possibilité ébouriffante pour l’époque de pouvoir commencer le jeu en passant par la gauche, attaquant ainsi la séquence des 255 écrans à l’envers, et vous comprendrez aisément pourquoi Pitfall! est entré dans la légende.

Comme vous l’aurez compris, Pitfall! est un titre fondateur, important pour la Playhistoire avec un grand P (ou un grand H) (enfin, vous voyez, quoi!). Depuis sa création en 1982, la quasi intégralité des titres de plateforme peuvent être reliés à Pitfall!, de façon plus ou moins explicite, et ce pour une raison simple : Pitfall! pose tout simplement l’essence de ce qu’est le plateformer. Comme je le disais plus haut, les codes seront édictés par des titres comme Mario, d’où une pléthore de titres qui se définissent en adéquation ou par opposition au monstre de Nintendo, mais tous ont quelque chose de Pitfall!, à la façon d’une séquence génétique qui continue aujourd’hui à resurgir de façon régulière, familière. Pour évaluer la force et l’impact de Pitfall!, pas besoin de remonter bien loin : le très récent Puppeteer, s’il offre des mécaniques de gameplay novatrices et un cadre narratif élaboré, reste néanmoins déterminé par la force évocatrice de Pitfall! à sa racine même, que la filiation soit consciente ou non, délibérée ou pas. Pitfall! est aussi un des tout premiers jeux à tenter de mettre en scène un personnage anthropomorphique aux mouvements réalistes. Force est de constater qu’à cet égard encore, le jeu est une performance non seulement pour son époque, mais aussi dans l’absolu. La filiation avec le légendaire Prince of Persia premier du nom sur Amiga 500 est à cet égard évidente : animation réaliste, jeu de plateforme truffé de pièges, absence de scrolling, préférant le découpage écran par écran, plusieurs strates de jeu… D’ailleurs, le système de strate de jeu peut renvoyer (in)directement à certaines séquences de Castlevania Rondo of Blood, arrivé chez nous via son remake sur PSP Dracula X Chronicles. En effet, dans le jeu, les passages secrets et les découpages en strates sont légion, mais il n’est pas rare de tomber dans un trou pour rejoindre un autre plan du jeu. Certains diront que je pousse un peu, mais ayant fait les deux jeux récemment, le sentiment d’analogie était pourtant bien là, et la filiation n’est pas aussi arbitraire qu’il n’y paraît. Mais c’est surtout à travers la série Bit.Trip qu’on peut saisir l’importance magistrale à la fois de la génération Atari, et de Pitfall!.

En effet, cette exemplaire série que je ne saurais trop conseiller à quiconque est passé à coté revendique explicitement sa filiation, entre inspiration directe et hommage ému à cette époque fondatrice. Et c’est à travers son épisode le plus populaire, le difficile Bit.Trip Runner, que la magie de Pitfall! revient à la vie. Outre ses clins d’oeil formels, sa façon d’enchaîner les actions sans temps mort, d’assurer continuité et fluidité – dans Pitfall!, lorsque vous mourrez, vous retournez au début de l’écran sans que le déroulement se soit interrompu, les séquences des pièges continuent, et ce simple fait donne un sentiment de dynamisme tout particulier -, tout est dans Bit.Trip Runner emprunt de l’ambiance et des mécaniques de Pitfall!, mais c’est dans les bonus stage que l’on note la résonance la plus directe entre les deux jeux, les bonus stage du jeu de Gaijin Game reprenant très explicitement la charte graphique de son aîné, allant jusqu’à reproduire la forme si particulière du lingot, premier trésor trouvé dans Pitfall!. La suite de Pitfall! pousse le concept général du jeu un cran plus loin, élargissant le cadre, complexifiant les mécaniques, instaurant un système de checkpoint, votre personnage se faisant « aspirer » par ceux-ci lorsqu’il perd une vie, retraversant le chemin effectué, système qu’on retrouvera à l’identique dans Runner 2, histoire de prolonger l’hommage, mais ceci est une autre histoire…

Néanmoins, on ne peut pas critiquer ce jeu sans un mot sur son créateur, David Crane, légende du monde du jeu vidéo. A l’époque où les jeux triple A mobilisent des équipes de plusieurs dizaines (voire centaines) d’individus, les jeux de l’époque, à la façon de notre bien-aimée scène indépendante (whatever that means…) actuelle, étaient souvent le fruit du génie d’une personne, parfois épaulé par une équipe réduite, souvent réduite à l’anonymat, effacé derrière le trademark. C’est entre autre ce qui a poussé David Crane à co-fonder Activision (excusez du peu!). Plutôt que de se cantonner à des adaptation de qualité souvent douteuse des grands noms de l’arcade, Crane a préféré développer des jeux adaptés à leur support, créés pour celui-ci, position visionnaire, audacieuse mais risquée, compte tenu du fait que les jeux à l’époque se vendaient principalement parce que les joueurs voulaient jouer aux titres arcade à la maison. Mais la confiance envers le joueur, son sens critique, animait Crane, qui restait persuadé que le simple bouche à oreille suffirait si les jeux étaient de bonne qualité. Le fait que Pitfall! soit le second jeu le plus vendu sur Atari 2600 tend à justifier sa démarche.

Et là, normalement, dans une bonne critique retro de familles, je devrais vous claquer une phrase de conclusion du genre « le jeu a vieilli, mais reste agréable », ou une formule plus poétique dans le registre de la nostalgie. Pourtant, je ne vais rien en faire, pour une raison simple, qui m’a très honnêtement surpris : le jeu est d’une telle qualité, d’une telle richesse (« pour son époque », « malgré son grand âge »…Etc) qu’il m’a procuré un réel plaisir, sans condescendance ni effort de ma part. Là où la grande majorité de ses contemporains sur Atari 2600 lassent rapidement et accusent sévèrement le poids des ans, indépendamment des limites de la console (parce que bon, les jeux n’y sont pour rien, aux limites de la console, quoi!), Pitfall! réussit à convaincre encore aujourd’hui. Certes, le hardware est dépassé, et les mécaniques peuvent sembler simpliste aujourd’hui, pour qui a goûté à un Mario. Néanmoins, la fluidité de son animation, les multiples possibilités offertes par le jeu, la présence d’une réelle vision derrière celui-ci en font rien moins qu’une légende du jeu vidéo.

-Toma überwenig
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le 12 nov. 2013

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