Au moment où j’écris ces lignes nous sommes en décembre 2018 et je viens de craquer. Moi qui n’avais pas acheté de PS4 jusqu’à présent j’ai fini par céder. J’ai cédé à cause de la récente sortie de Red Dead Redemption 2. Ou pour être plus exact et logique, en fait, je dirais plutôt que si j’ai cédé, c’est surtout à cause de Red Dead Redemption premier du nom.


Bah oui – on ne va se mentir non plus – il est toujours plus facile de résister à la came qu’on n’a jamais touchée. Et si l’envie de jouer à RDR2 m’a à ce point pris aux tripes, c’est avant tout parce que son prédécesseur fut pour moi l’une des expériences vidéo-ludiques les plus puissantes que j’ai pu connaître. J’y ai passé près d’une cinquantaine d’heures dessus (je sais que pour beaucoup c’est peu mais pour moi c’est énorme), je l’ai fini à 100% (encore quelque-chose de très rare chez moi) et surtout, depuis maintenant presque dix ans, je m’écoute régulièrement sa bande-originale pour me remémorer ces incroyables moments passés dans l’Ouest américain.
Donc oui, moi aussi je fais partie de ces gens qui trouvent encore aujourd’hui que ce jeu est un incroyable monument du dixième art.
Et parce qu’en ce mois de décembre 2018 nous sommes justement assez nombreux à explorer sa suite sortie huit ans plus tard, le moment m’a semblé judicieux de poser quelques mots sur ce que fut – et est encore pour moi – ce chef d’œuvre qu'est Red Dead Redemption.


Chercher les mots justes pour les choses qui nous sont chères n’est jamais un exercice aisé. Quand les émotions ont été si fortes, notre capacité à juger s’en retrouve toujours altérée. Pourtant – et c’est tout le paradoxe de ce RDR – les premières idées que j’arrive le plus vite à verbaliser ce sont ses limites. Parce que oui, j’ai beau avoir adoré ce jeu, cela ne m’a pas empêché de lui trouver une petite plâtrée de défauts. Et ces défauts – à dire vrai – ce sont les défauts de la plupart des jeux Rockstar Games. Ils tiennent en trois mots : narration, répétition, rigidité.


Narration d’abord parce qu’il faut toujours que ça jacasse dans un jeu Rockstar. On a des choses à dire alors il faut que ça cause.
Le problème, c’est que les codes utilisés pour le faire sont ceux du cinéma. Pas que le septième art me dérange, mais dans un jeu, ce type de narration linéaire et non interactive, ça me parait un peu aller à l’encontre de la logique vidéo-ludique.
L’introduction de ce RDR en est d’ailleurs tout un symbole. Presque vingt minutes sans vraiment jouer : soit on regarde des cinématiques, soit on suit le rail très rigide imposé par le scénario.
En plus de ça on nous fait du in medias res en termes d’intrigue. On évoque des éléments que le personnage qu’on incarne comprend mais que nous, joueur, ne comprenons pas. Pire, on nous interdit ou on nous impose parfois des actions afin que ne soit pas dérangé le déroulement imposé par le scénario.
En termes d’immersion, moi ça m’a toujours posé problème et ce RDR ne déroge pas à la règle.


Le pire c’est que cette narration ne facilite même pas pour moi la diversité et la progressivité des phases de gameplay.
En fin de compte les missions sont toujours plus ou moins les mêmes. Faire le livreur, traquer un gars, prendre d’assaut un fort, mener une cavalcade scriptée...
A force de les enchainer par dizaines, il n’y a plus vraiment de fun ni de surprise. La répétition finit par s'imposer comme règle et cela transforme presque la longévité de ce jeu en défaut.
Il aurait pourtant suffi de créer une vraie narration en arborescence, avec des choix sans retour possible (soutenir le gouvernement mexicain ou la rébellion par exemple) pour rendre tout cela plus excitant.
Mais bon, à croire que chez Rockstar on ne veut pas bosser dans le vent. Il faut que tout le boulot soit visible par le joueur en une partie.
C’est une philosophie que je comprends mais que pour le coup je trouve assez contre-productive.


Et ce point m’amène à la dernière limite que je trouve à ce jeu : sa rigidité.
Qu’il aurait été bon de se sentir vraiment libre, avec une vraie interactivité qui se ressente à la fois dans l’histoire et dans notre ressenti progressif de cet univers ! Mais non.
Le monde de RDR n’évolue que très peu. Les villes ne changent pas. Le « nettoyage » de la région ne se ressent pas (les bandes se reconstituant régulièrement). Et qu’on tienne pour un camp ou pour un autre au final ça ne change rien. On doit se contenter d’une simple jauge de comportement en guise d’interaction avec l’environnement ; ce qui est bien mais peu.
La fragmentation de l’intrigue en missions ne change finalement que peu de choses à cette absence de souplesse dans notre manière d’avancer dans l’aventure…


Voilà donc tout ce qui me vient dès qu’il s’agit de poser des mots sur ce merveilleux Red Dead Redemption. Des limites. Des défauts. Des frustrations…
Et pourtant, oui, je maintiens bien ce que je vous ai affirmé en début de propos : ce jeu fait bien partie de mes préférés.


Red Dead Redemption fait partie de mes jeux préférés parce qu’au-delà de toutes ces pesanteurs liées à ce cheminement et à cette narration, il existe aussi un espace de jeu qui dépasse totalement cela.
Red Dead Redemption c’est aussi et avant tout un lieu à vivre entre les missions, voire même sans les missions du tout.
Ce jeu est pensé pour être visité. Il fourmille de détails visuels et sonores. Il est riche de paysages, de faunes et de flores. Et surtout il apporte une telle élégance et une telle cohérence à tout cet ensemble que la balade en devient irrésistible et pénétrante.


Je trouve ça fou à reconnaitre, mais au fond ce jeu ne tient que par ses détails.
Des détails tellement nombreux et tellement soignés qu’ils forment un tout qui prend du sens. Ici il y a cette gazette qui me parle de la Première guerre mondiale avec dédain parce qu’elle est loin et peu en lien avec cet Ouest sauvage. Là il y a cette longue partie de poker lors de laquelle on peut observer le quotidien d’une ville se dérouler et le climat changer.
Et enfin, il y a également tous ces petits imprévus qui viennent se glisser sur notre chemin ; ces diligences qui se font attaquer, ces jeunes-filles en détresse qui nécessitent d’être aidées, ces animaux sauvages qu’il va falloir tuer au risque d’être tué.
Et c’est quand on commence à se livrer à cet aspect du jeu qu’on s'ouvre pleinement à la véritable expérience vidéoludique qu'entend offrir ce titre. L’expérience du cowboy solitaire : cet homme presque contraint par la nature ; veillant à sa survie en permanence ; œuvrant dans le but d’améliorer et de sécuriser quelque peu son quotidien…


Et c’est là que la plus grosse faiblesse du jeu devient soudainement sa force.
Cette intrigue dirigiste et répétitive, qui nous fait cheminer en missions balisées, c’est elle qui nous appelle indirectement à sortir de ce carcan. C’est elle qui nous incite à partir à la rencontre de cet autre jeu, tellement plus immersif et puissant.
Car au fond, c’est en allant à la recherche d’un bout de mission, que parfois on se retrouve à réfléchir aux trois autres quêtes annexes qu’on a déclenché plus tôt. Ce fouillis nous pousse vers le large. Il nous incite à construire notre aventure à notre façon.
C’est comme une sorte de jeu caché qui constituerait 90% du titre et 99% de son intérêt.
Et après tout, s’il faut supporter ce peu pour bénéficier de ce beaucoup, alors c’est vraiment un maigre effort à payer pour une bien belle récompense au final.


Alors oui, peut-être que vu de 2018, ce jeu pourra paraître dépassé techniquement par sa suite ou par un autre jeu. Peut-être qu’en termes d’immersion et de narration Red Dead Redemption rencontrera – et a sûrement déjà rencontré – des jeux capables d’aller plus loin et de manière plus subtile. Sûrement.
Seulement voilà, moi dans mon histoire de joueur, Red Dead Redemption s’est posé là, en 2010, et c’est lui qui y a posé les bases de ce sens profond de l’exploration sauvage. Et même si dire cela ne m’empêche pas de reconnaître tout le plaisir que certains ont pu prendre dans des Witcher 3, Skyrim ou autre Breath of the Wild, moi c’est ce Red Dead là que je pose comme pierre angulaire de mon expérience du monde sauvage vidéoludique.
(...Je me permettrais même un petit rajout opéré en 2020 après m'être refait l'aventure pendant le premier confinement : encore aujourd'hui Red Dead Redemption a su préserver tout son charme et sa pertinence même dix ans plus tard. Car l'air de rien, au regard de ce qui est sorti aujourd'hui, Red Dead Redemption présente vraiment l'avantage d'avoir un monde à taille humaine qui ne noie pas le joueur dans des immensités qu'on a remplies ad nauseam de missions et de collectibles. Et même si je lui reprocherais toujours ces quelques défauts que j'ai énoncés plus haut – ainsi que quelques périphéries de cartes mal fignolées avec des chemins qui finissent tristement en boucle – ce jeu a su témoigner me concernant d'une insolente efficacité et d'une puissante pertinence face à des jeux en openworlds plus récents, au point qu'il a su constituer pour moi une vraie bouffée de fraîcheur lors de ce confinement de 2020...)


Ainsi Red Dead Redemption semble-t-il durablement installé dans mon esprit comme un moment à part ; comme un pan d'histoire révolue mais à l'identité tellement forte qu'on ne saurait l'oublier.
Un monument qui persistera toujours malgré la poussière.
Un monument qui subsistera en moi malgré les affres du temps.


En d'autres mots, un chef d’œuvre du jeu-vidéo, tout simplement.

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3

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