« Titanesque », « Grand bluff », « Chevauchée fantastique », « Leçon de jeu vidéo », « 21/20 »…
Lire des critiques issues de la presse professionnelle au sujet de « Red Dead Redemption II » juste aux lendemains de sa sortie c’est vraiment entrer dans un autre monde. Voilà qu’on nous annonce le messie ; le titre qui fait rentrer le jeu vidéo parmi les arts majeurs ; le chef d’œuvre dont tout le monde se souviendra encore un siècle plus tard…


Alors oui, je force peut-être un peu le trait dans ma manière de présenter les choses mais, d’un autre côté, comment ne pas gentiment se moquer de ces gens qui craquent leurs slips juste parce qu’on a su les « hyper » bien comme il faut ? J’entends qu’il soit attendu ce « RDRII ». Quiconque a été touché par « Red Dead Redemption » premier du nom ne peut pas rester indifférent à l’annonce d’une suite huit ans plus tard. D’ailleurs je ne m’exclus en rien du lot puisque, pour ma part, j’en suis carrément venu à m’acheter une PS4 juste pour jouer à cette suite-là. Mais bon, l’excitation ne doit pas empêcher la lucidité. « Red Dead Redemption II », c’est vrai que c’est très beau graphiquement parlant… Oui… Mais après ?


C’est toujours agréable d’avoir un beau jeu. Je ne vais pas renier ça. Moi le premier, je me suis régulièrement pâmé d’extase face aux magnifiques décors du premier « Red Dead Redemption », tout comme je me suis encore pâmé lors de mes premières heures passées sur cette suite. Ah ça c’est clair que c’est magnifique. Effets de lumière et de brume, distance d’affichage immense, goût du détail presque jouissif… Tout participe à l’immersion, jusqu’aux bruitages et à la musique. Il y a dans ce jeu un travail d’orfèvrerie face auquel il est difficile de ne pas succomber, et ça je l’entends parfaitement. Mais bon, on parle d’un jeu là : ne l’oublions pas. Et un jeu ce n’est pas seulement un défilement de jolis décors. Un jeu c’est aussi et surtout une mécanique ludique ; une façon de nous faire interagir avec un univers, un espace laissé au joueur pour qu’il puisse s’y exprimer. Or, sur ce domaine-là, je trouve qu’il y a quand-même beaucoup à dire sur ce « Red Dead Redemption II », et surtout beaucoup à redire.


Personnellement je lui ai laissé le temps à ce nouvel étalon des studios « Rockstar Games ». Comme beaucoup (je pense), j’ai bien vu que ce nouvel opus se voulait exigeant et qu’il allait falloir l’éprouver un certain temps avant d’espérer en tirer une réelle jouissance. L’introduction de ce jeu se pose presque à elle seule comme un symbole. On galère dans la neige. On avance à vue. La lenteur et la dureté sont visiblement des choix assumés qu’il faudra accepter comme partie intégrante de l’aventure. C’est vrai que ça pourra en frustrer plus d’un mais, paradoxalement, je trouve que cette introduction reste ce qu’il y a de plus réussi dans ce jeu. Longue et restrictive certes, mais claire et didactique, que ce soit aussi bien dans la sensibilisation aux mécaniques de jeu qu’en termes de présentation de l’univers et de l’intrigue. D’habitude je déteste les entrées en matière des jeux « Rockstar » et c’est plutôt à la longue que je finis par être conquis. Mais à croire qu’il était écrit qu’avec ce « Red Dead Redemption II » tout se passerait à l’envers, puisque c’est quand ce jeu a décidé de me lâcher enfin librement dans son open-world que je me suis mis lentement à déchanter…


Parce qu’au fond, une fois lancé dans le grand bain c’est quoi jouer à « Red Dead Redemption II » ? C’est d’abord s’extasier sur des paysages, ça oui. C’est se balader un peu pour s’imprégner des lieux. Et au bout d’un moment, c’est chercher à mettre la mécanique du jeu en branle. Or, à quoi se résume ce jeu ? Ouvrir la carte afin de savoir ce qu'on attend de nous. Aller aux points indiqués. Assister à la petite phase de dialogues habituelle qui nous invite à prendre notre cheval et à nous rendre en un point précis. Suivre le script proposé par la mission. Accomplir tant bien que mal ce qui est exigé de nous. Valider la mission. Rentrer. Relancer une nouvelle mission. Etc.


Alors c’est vrai qu’à bien y réfléchir, « Red Dead Redemption » premier du nom – cet épisode qui m’avait transcendé comme rarement – fonctionnait exactement comme cela. Même logique. Même mécanique. Même narration. A l’époque ça ne m’avait pas empêché d’être progressivement happé par un univers, une atmosphère, un jeu. C’est vrai… Mais c’était à l’époque justement. C’était en 2010. C’était il y a huit ans. Et il y a huit ans, le monde ouvert c’était un monde nouveau. Les performances offertes par les nouvelles générations de consoles nous ouvraient des perspectives totalement nouvelles. Finies les villes étriquées où on cherchait à limiter au maximum les éléments affichables à l’écran. En 2010, on commençait à nous offrir des espaces immenses qu’on nous avait peuplé par toute une faune humaine et animale jamais vue auparavant. Forcément, notre logique d’exploration avait totalement été repensée en conséquence, et qu’une mission nous invite à nous balader, en 2010, c’était un cadeau ; une chevauchée vers l’inconnu ; un renouveau… Mais refaire la même chose en 2018, huit ans après « Red Dead Redemption » premier du nom, sept ans après « Skyrim », trois ans et demi après « The Witcher III », un an et demi après « Horizon Zero Dawn » et « Breath of the Wild » ; refaire ça sans repenser tout ce système d’un iota, ce n’est plus nous inviter à l’exploration, c’est nous inviter à la routine.


La routine…
Au fond c’est le mot qui résumerait le mieux ce qui transpire de ce « Red Dead Redemption II ». Refaire tout le temps les mêmes choses – des choses qu’on est habitué à faire depuis longtemps – et les faire dans des lieux qu’on connait au fond déjà parfaitement. L’Horseshoe Overlook de « RDRII » est au fond le nouveau ranch McFarlane de « RDR1 », le petit patelin de Valentine est clairement un nouvel Armadillo, quant à Saint-Denis, il vient détrôner l’ancienne St-Elisabeth dans son rôle d’horizon de modernité qui ronge ce bon vieil Ouest sauvage. Rien n'a bougé. Tout est à sa place. C’est différent mais au fond c’est pareil. Missions répétitives. Règlements de comptes. Personnes coincées. Attaque de diligence. Traquenards. Chasse. Cueillette. Carte aux trésors… Que de la terra ultra cognita dans l’univers des jeux « Rockstar »… Ah ça ! La lassitude du cowboy en voie d’extinction, on la sent bien. On la sent même trop bien je trouve…


Parce que je les entends les afficionados qui me répondront que toute la démarche du jeu est là, et que si je ne sais pas apprécier cette lassitude, cette routine, cette aigreur, c’est que je ne sais pas apprécier la démarche artistique que Rockstar a eu l’audace de nous offrir. Mais à cela, moi, je répondrais deux choses. D’abord : de où que c’est chouette de se faire chier dans un jeu ? C’est pas pour ça moi que je joue à la base ! D’ailleurs, ce n’était pas ce que je ressentais quand je jouais à « Red Dead Redemption » premier du nom alors même que cette thématique était présente. Et puis ensuite – deuxième chose – est-ce que cette volonté de faire ressentir le poids de la routine et de la lassitude peuvent expliquer l’incroyable raideur des déplacements et l’archaïsme des commandes ?


Rah ! Mais ces commandes !
Elles sont tellement contre-intuitives et consommatrices de concentration qu’elles en deviennent une vraie purge ! « Woh putain ! Un ours ! Vite ! Il me faut ma grosse pétoire ! Alors Flèche directionnelle vers le haut pour appeler le cheval. Attendre le cheval. Appuyer sur R2 face au cheval une fois que celui-ci est arrivé à ma hauteur. Tourner L3 en maintenant R2. Sélectionner la selle. Puis, tout en continuant de maintenir L3 et R2, appuyer sur L1 ou R1 pour faire défiler le menu contextuel de la selle qui se trouve à l’intérieur du menu contextuel du choix des armes. Et une fois l’arme sélectionnée, veiller à bien maintenir l’angle actionné avec L3 au moment de relâcher tous les autres boutons, parce que sinon la surprise risque d’être fort déplaisante au moment de dégainer ! » Entre ça, la visée injouable sans assistance automatique totale, et le fait que les touches changent régulièrement de signification selon les actions au point qu’il faille rester l’œil vissé sur les instructions en bas à droite de l’écran, ces commandes là sont juste l’ennemi ultime de l’immersion et du fun !


Alors – allez-y ! – je vous écoute : allez me justifier cette purge par un choix artistique ! Perso je reste ouvert à toute argumentation qui se tienne, mais en attendant je vais rester sur ce qui me semble le plus plausible pour expliquer ce naufrage : « Rockstar » a simplement préféré se reposer sur ses acquis, rajoutant des éléments sur ce qui existait déjà plutôt que de repenser toute une mécanique devenue depuis totalement dépassée par ce qu’est devenu l’open-world. Le problème, c’est qu’à ajouter trop de commandes sur une mécanique qui n’a été initialement pensée que pour quelques tâches réduites, ça aboutit à un résultat d’une lourdeur hallucinante qui perd tout son sens. Eh les gars ! Vous avez trop chargé la selle ! Pitié n’en jetez plus !


Parce qu’on ne va se mentir : la jouabilité ce n’est que la partie immergée du glaçon dans le verre à whisky. Cette incroyable rigidité du gameplay rend ce jeu tellement imbuvable et injouable que tout les autres aspects du jeu ont dû s’ajuster à cela afin d’éviter que le joueur soit trop régulièrement pris à défaut. Visée automatisée à l’extrême. Missions linéarisées et scriptées de bout en bout. Mort peu punitive où chaque raté est compensé par un retour rapide à la micro-étape précédente… Tout est fait pour qu’au final, la rigidité du gameplay soit compensée par une rigidité de gamedesign qui lui soit adaptée. En gros, on règle un problème en en rajoutant un autre. Une logique assez incroyable et difficilement compréhensible sur un projet de cette ampleur… Ou plutôt si… Cette logique on peut la comprendre quand on se met deux minutes à la place de « Rockstar. »


« Rockstar », c’est le studio à qui tout semble réussir ces derniers temps. « Grand Theft Auto », « Red Dead Redemption », « L.A. Noire » : des sagas qu’on lance à grands coups de communication et qui, dans les deux premiers cas, ne cessent d’exploser les records de budget consacré pour le développement d’un jeu. Le studio est victime de son succès, à la fois auprès du public qu’auprès des investisseurs. Chaque nouvel opus d’une licence phare génère des attentes que « Rockstar » n’a pas le droit de décevoir. Alors que faire ? Prendre des risques ou capitaliser sur les acquis ? Quelque soit le domaine, dès qu’il y a beaucoup de millions en jeu, la sécurité est toujours privilégiée. Alors puisqu’on a trop peur de diviser sur le fond, on va tout miser sur la forme. Or, repousser les limites techniques du jeu vidéo sur une licence qui dispose déjà d’un gros capital confiance auprès du public, ça, ça reste encore le moyen le plus sûr de faire l’événement et de rentrer dans ses frais. Parce qu’au fond qui saura résister au pouvoir de séduction du plus beau jeu vidéo jamais fait à son époque ? Qui plus est un « Red Dead » ?


Moi, personnellement, j’ai des difficultés à voir autre chose que ça dans « Red Dead Redemption II ». Un jeu qui n’a été pensé que pour envoyer de la poudre aux yeux. Au-delà de cet aspect esthétique, tout le reste pue l’usine. Chaque chose qui compose ce titre a l’air d’avoir été pensé indépendamment de tout le reste, sans logique d’ensemble. On refait ce qu’on sait déjà faire et basta. Tout est ensuite posé là, en vrac, sans qu’on se choque un seul instant des incohérences et effets de contraste qu’offre régulièrement ce jeu. D’un côté on décompose toutes les actions comme jamais dans un souci de réalisme dit-on, de l’autre on se retrouve encore à devoir vider des barrillets entiers dans le buffet d’un gars pour le voir enfin crever. D’un côté on nous présente le clan de Dutch comme étant l’incarnation de l’Amérique libre où tout est possible face à cette Amérique étatisante et liberticide, et de l’autre côté chaque mission entend cloisonner notre personnage dans un gang où on ne fait jamais rien seul, où on se doit toujours de répondre aux exigences du groupe, voire même où se doit régulièrement de payer des impôts dans l’intérêt de la cause commune… Bah voyons. CQFD.


Tout ça, mis bout à bout, conduit ce « Red Dead Redemption II » vers une forme de non-sens qui, me concernant, a fini par avoir ma peau de joueur. Dans mon cas personnel, la coupe a débordé lors de cette invraisemblable mission que fut : L’essence de la richesse II (et elle survient seulement au beau milieu du chapitre 2, c’est vous dire !) Cette mission, c’est juste l’accumulation de tout ce qui cloche dans ce jeu. L’objectif est de voler un chariot de pétrole dans une raffinerie. Dix gardes, aucun angle mort. La seule solution c’est d’y aller comme un bourrin et de tout miser sur la lenteur de l’intelligence artificielle pour que ça passe. Tu prends un chemin de fuite et tu as la moitié de la population de l’Etat à tes trousses pour te tirer dessus, mais par contre tu prends dix degrés à gauche et bizarrement toute opposition disparait. Il n’y a plus qu’à faire le reste du trajet le nez collé au GPS jusqu’au buisson qui va te bloquer et t’obliger à relancer la partie trois fois… Et cette mission n’est malheureusement pas un cas à part. Au contraire, elle est une magnifique synthèse de ce qu’est ce « Red Dead Redemption II »


Alors pitié : si je peux encore entendre qu’on ait apprécié de jeu pour ses décors et son atmosphère, en retour j’aimerais quand même bien qu’on ait la lucidité de reconnaitre que malgré tout, ça n’empêche pas à ce jeu de clocher à beaucoup d’étages. Je pense qu’il est plus que temps qu’on ouvre tous un peu les yeux sur ce que ce titre est en train de nous dire de l’état dans lequel se trouve l’industrie du blockbuster vidéo-ludique, et tout particulièrement celle de « Rockstar Games ». Arrêtons de détourner le regard parce que ça nous arrange bien ; parce qu’on a envie de continuer à rêver encore un peu sur leurs jeux qui sont – et on ne pourra pas leur retirer – de vrais débauches d’efforts et d’argent. Reconnaissons au moins que « Rockstar Games » a un problème. Reconnaissons au moins que « Red Dead Redemption II » a un problème…


Alors oui au-delà de tout cela – j’en ai conscience – dire de ce jeu qu’au fond « il est beau, oui mais après », c’est peut-être aussi se voiler un peu la face. C’est peut-être se montrer abusivement cruel au regard de tout ce qui fonctionne dans ce jeu et qui – bien que peu original – peut quand-même apporter son petit lot de distractions malgré tout. C’est même sûrement se montrer bien sévère en comparaison d’autres productions elles aussi perfectibles mais vis-à-vis desquelles on saura se faire davantage indulgents. J’entends tout cela… Seulement voilà, moi je ne joue pas comme « Rockstar » code ses jeux. Je ne jauge pas mon expérience en la compartimentant en différents secteurs. Je ne fais pas une moyenne après avoir jugé chaque secteur un par un, séparément les uns des autres.


Non, moi quand je juge un jeu, je mesure tout simplement mon plaisir global. Je jauge mon goût à être dans le jeu et à vouloir revenir vers lui une fois une session terminée. Or, c’est une réalité, mais moi, face à ce « Red Dead Redemption II » ce goût a été de plus en plus amer. Je me suis ennuyé sur mon cheval, j’ai enchainé les missions comme des corvées à accomplir, et surtout rien n’a su m’inviter à revenir vers le jeu à part le souvenir de l’argent qui j’y avais investi. Alors après, oui, je peux entendre que les adorateurs de Rockstar ou les novices du jeu vidéo puissent s’émerveiller face à ce titre. Seulement voilà, pour moi, « Red Dead Redemption II » ça restera : « Oui c’est très beau… Mais après ? »

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le 5 janv. 2019

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