Entre la lente déchéance des grands noms d'hier et l'aimable plaisanterie que constituent la plupart des jeux récents souhaitant briguer ce titre autrefois prestigieux, dificile aujourd'hui de donner cher de la peau du survival horror. On ne trouve presque plus nulle part ni survie ni horreur, on a arrêté de frémir et quand parfois on croit qu'on va y arriver, c'est la lassitude qui finit par vaincre. Il faut compter sur les indépendants pour occuper aujourd'hui le terrain, car ce sont eux qui font les plus beaux hommages à ce genre tombé en désuétude : parmi eux, Agustin Cordes et Alejandro Graziani qui ont créé Scratches. Problème, il s'agit d'un point'n'click dans tout ce que le terme a de plus traditionnel. Est-on à ce point désespéré de retrouver ces frissons d'angoisse, à se lancer ainsi dans un jeu aussi démodé ? Sans doute, pourtant, il faut bien admettre être surpris, et pas qu'un peu. Derrière cette histoire a priori classique et ce lieu rebattu du manoir abandonné se terrent des trésors d'inventivité. Sous la contrainte d'une technique modeste (l'omni-3D, mort depuis feu Cryo) les deux développeurs ont déployé tous leurs efforts pour inspirer la peur - car c'est bien ce qu'on est venu chercher. Scratches dans ses meilleurs moments est tout simplement terrifiant : à plusieurs reprises le jeu irradie d'un génie très singulier, cela tient à la narration, aux décors et au sound design qui ensemble forment un tout incroyablement cohérent et puissant. Le manoir qui menaçait au départ par son anonymat dévoile au cours de l'histoire un caractère propre ; on le considère peu à peu comme un personnage qu'on apprend à connaître, on perce ses secrets comme ceux d'un étranger qui nous intrigue. Les mécaniques de progression n'échappent pas à certains des pires clichés du genre mais le côté positif de leurs errances se retrouve dans la gestion de l'atmosphère, qui croît lentement vers un climax infernal dans lequel on se surprend à essuyer la sueur qui perle sur notre front.

Le manoir malgré ses décors statiques est vivant, il se trame quelque chose dans le dos du joueur, des événements se déroulent pendant la partie qui sont suggérés et parfois montrés avec un sens du timing, autant que du mystère, qui parfois laissent le souffle coupé. Le jeu doit beaucoup à son scénario, qui peu à peu laisse entrevoir une vérité terrible, ainsi qu'à sa bande-son qui dans ses moments les plus intenses fait crisser les violons et les ongles. On vit une alternance jour/nuit agissant d'abord comme séparateur entre les moments d'enquête (jour) et d'angoisse (nuit) ; pourtant les frontières finissent par se brouiller, les créateurs multiplient les astuces scéniques et narratives pour faire monter la pression jusqu'au point de rupture final. Le jeu progresse vers son climax en distillant de ponctuelles touches de terreur viscérale, qui elles-mêmes s'imbriquent grâcieusement dans une atmosphère dérangeante. Le joueur comprend qu'il n'est pas seul dans le manoir : toute l'intelligence du jeu consiste à faire passer, sans effets pompiers, cette présence tapie dans l'ombre. Celui-ci joue d'abord sur le doute, puis sur l'angoisse, enfin sur la certitude de l'horreur ; il amène une par une les preuves d'un mal ancestral qui trouve ses allégories les plus puissantes dans de simples tableaux fixes, intelligemment noyés sous un vacarme symbolique et parfois, aussi, littéral (la musique est l'un des acteurs principaux du jeu). A plusieurs reprises on tutoie le cauchemar à l'état pur, particulièrement lors des séquences nocturnes qui font intervenir des astuces sonores et visuelles qu'on n'a à vrai dire peut-être jamais rencontré dans le genre ; rien de fondamentalement novateur mais, comme dirait l'autre, il suffisait d'y penser. Avec son ingéniosité et son sens de l'atmosphère Scratches, lentement, se construit sa magnificence, s'amuse à taquiner le joueur avant de l'emmener en enfer. A défaut de bonnes intentions, celui-ci est au moins pavé d'idées brillantes et d'une volonté, dure comme la pierre, de renouveler l'angoisse à un point que la quasi-totalité de la concurrence n'a même pas encore effleuré.
boulingrin87
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Créée

le 3 sept. 2012

Modifiée

le 21 sept. 2012

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Seb C.

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Critique de Scratches: Director's Cut par Mhars

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