Et oui, il devrait.

Car ici, il se passe des choses intéressantes, loin du coté poseur en plastique des derniers DMC (c'est à dire tous à partir du second opus) (EDIT : on me souffle à l'oreillette que le troisième volet effacerait un peu l'affront du second... A voir...), de leur gameplay plus que limite, de leur manque de rythme, de leurs personnages pour qui on ne peut éprouver que de l'indifférence, loin aussi du dernier Resident Evil, beau comme un sous neuf, maniable comme un suppositoire cubique avec du velcroc.

Ici, la rencontre de trois boss du jeu vidéo donne quelque chose de ...euh... en fait, "nouveau" n'est pas le terme, mais pourtant il y a de l'originalité, quelque chose qui le rend singulier.
Comment pourrait-il en être autrement quand dans ce trio se trouve Suda51, psychopathe responsable de l'improbable No More Heroes et du sombre Killer 7 ? Les deux autres ne sont pas en reste, puisqu'il s'agit de Mikami Shinji, à qui l'on doit les Resident Evil, et Yamaoka Akira, à l'origine de la fantastique ambiance sonore qui fait tout le sel des Silent Hill.
Qu'une telle rencontre ait enfanté une bouse ou une pépite, elle aura au moins le vent de folie nécessaire pour qu'elle soit singulière.

Pourtant, on est clairement dans quelque chose de familier. Rien qu'au niveau du scénario, voyez plutôt :

Garcia Fuckin' Hotspurr est chasseur de démons, bien couillu, mal rasé, des grosses cicatrices, des gros tatouages, et un très gros...flingue. Mais forcément, quand on titille du démon à plein temps, on finit par casser les burettes des gros calibres, le Roi des Démons himself, j'ai nommé...Fleming (ben oui, ça fait pas très démon, je sais, ça me ferait presque penser à Tim l'Enchanteur (que les plus vieux d'entre vous s'accordent un sourire entendu et les plus jeunes aillent voir Sacré Graal!) ).
Et ce bon vieux Fleming décide de se venger de Garcia en kidnappant sa dulcinée, tout en lui faisant bien comprendre qu'il pouvait prendre son temps pour venir la récupérer, lui n'allait pas perdre le sien...
Fou de rage Garcia, accompagné de son fidèle crâne en feu parlant, Johnson, qui se transforme en flingue et en moto (vous avez dit Ghost Rider ?), débarque en enfer et hop!
Nous voici au début d'un fuckin' road movie tout en tuerie, hémoglobine, caca et plaisanterie sous la ceinture, orchestré de main de maître par Mr Silent Hill en personne qui, outre les bruits d'ambiance organiques et malsains dont il a le secret, s'accorde quelques dérives au final à propos dans des zones parfois bien Black Metal, genre que je n'affectionne pourtant pas particulièrement, mais franchement, se faire poursuivre par un énorme monstre avec une scie circulaire à la main sur des logorrhées accompagnées de hurlements de guitares, ça donne quelque chose de prenant.
Mais bien sûr Yamaoka san ne s'enferme pas dans ce cliché, simplement il s'accorde une petite excursion dans des paysages qu'il ne regarde que de loin d'habitude. Il se fait plaisir.
D'ailleurs, ça semble au final être le maître mot de la réalisation de ce jeu, se faire plaisir.

Quand trois monstres de l'industrie du jeu vidéo se rencontrent, on peut fantasmer, ou avoir très peur. En effet, soit ils nous sortent la perle qui va révolutionner le genre, la vie sur Mars, et le goût des tomates cerises, soit ils basculent dans la lutte d'ego, et ils nous pondent une bonne daube digne des étrons largués par le démon chargé des points de sauvegarde (oui, vous avez bien lu, le check point est un caca fumant).
Une troisième option s'est imposée d'elle même : plutôt que de rentrer dans des débats stériles, dans le bras de fer, pourquoi ne pas simplement se faire plaisir, s'accorder le droit de faire ce qu'on ne peut pas faire d'habitude ?

Et au résultat, cette attitude positive transpire de partout.

Même si au niveau graphique on est loin du dernier Resident Evil par exemple, les idées de design sont suffisamment puissantes pour que la faiblesse technique passe à la trappe, et on reste impressionné par la beauté de certains stages, la perversion de certaines idées graphiques et la folie de l'ensemble.

Mais c'est surtout le gameplay qui est à la fête. "Plaisir" est ici aussi le maître mot.
Parfois, l'originalité vient simplement du fait qu'on assume un choix, ou qu'on accepte de virer une norme actuelle pour revenir à un système qui tranche un peu avec le paysage ambiant. C'est en partie ce qui se passe ici.
A l'heure du FPS "à la militaire" cloné à foison, le trio prend tout ça à contre-pied, envoie valser les impératifs des mille et molles armes, réinstore (enfin!!!) la barre de vie, casse l'esthétique militariste pour lorgner du coté des DMC et Bayonetta, en adoptant et optimisant l'angle de vue façon Resident Evil 4 (aussi efficace, la raideur en moins, maniabilité et plaisir intense en plus).
Fini les quêtes de balles à l'économie, ici, vous n'êtes jamais vraiment en rade, car le gameplay repose sur d'autres paramètres plus intéressants que l'économie de bastos.
Votre camarade de jeu, le crâne volant Johnson et son accent so british se transforme en armes bien cossues : un bon gros flingue appelé Boner (hum), une mitraillette, le Teether (qui comme son nom l'indique, lance des dents) et un fusil à pompe nommé je sais plus quoi parce que j'ai pas le jeu allumé et que j'ai la flemme de chercher dans la notice.
Les trois sont upgradable en terme de puissance, capacité et rapidité de rechargement, grâce à des gemmes rouges difficiles à trouver, mais achetables à un gentil gros démon pas très mignon.
Les balles pleuvent dans des combats dynamiques à souhaits, et on a droit à du gros plan lorsqu'on réussit une prouesse particulière ou à un petit ralenti, sans que ça ne gâche le rythme de l'action. On esquive d'une roulade en pouvant maintenir la visée, on peut viser en marchant, bref, tout est en place pour que ça ne débande pas.
Couplé aux tirs classiques, on a le Tir de Lumière. Car les démons ont peur de l'obscurité. Quand aucune lumière ne brille, les distances se déforment, les démons sont plus fort et se nimbent de ténèbres plus résistantes que la plus épaisse des armures, bref, on bascule dans une autre dimension, littéralement (qui a dit Silent Hill ?). Le seul moyen de survivre à l'obscurité est de manger de coeurs, et le seul moyen de la combattre est de balancer un tir de lumière dans une tête de mouton (traduction faussée et maladroite de "goat head" ; en effet, dans les rituels sataniques, on utilise souvent comme animal sacrificiel sacré un bouc noir, qui termine soit en tant que masque, soit en tant que chandelier avec des glyphes plus ou moins ténébreux et puissants gravés dans sa chair ; ce qui fait que lorsque Johnson explique à Garcia que les "goat heads" sont source de lumière en enfer, ça fait sens, un clin d'oeil envers les clichés satanistes, autrement plus flagrant que la "tête de mouton" en français)... euh, où j'en étais ? Ah oui, les têtes de moutons... Il faut donc tirer dedans avec un tir de lumière pour les allumer et chasser les ténèbres.
Mais lorsque les adversaires ont été baigné dans les ténèbres, ils gardent malgré tout leur armure noire, même après le retour de la lumière. Comme vous l'avez deviné, avant de les transformer tas de chair putride, il va falloir faire péter cette carapace d'ombre à coup de tir de lumière, ou en faisant exploser un tonneau de lumière (ben oui, logique, quoi, les démons détestent la lumière, et ils ne savent pas quoi en faire, du coup, ils la cachent, la stockent dans des tonneaux, c'est un peu leurs déchets radioactifs à eux, en somme)

La mécanique centrale des énigmes du jeu tourne autour de ces basculements entre ombre et lumière. Certains interrupteurs n'apparaissent que dans les Zones Sombres et ne sont actionnables que dans celles-ci, et vous devrez parfois jouer de l'aller-retour entre les deux pour débloquer des énigmes, laisser à contrecoeur un ennemi éteindre la tête de mouton afin de mieux pouvoir détruire un ennemi, puis vite rallumer avant que votre énergie ne se consume.
Ce système est plus riche qu'il n'y parait décrit ainsi, et offre son lot de coups de tension, installe un sentiment d'urgence permanent.

La prise en main est souple, progressive, guidée par notre ami Johnson qui n'est pas avare en conseils ni en commentaires amusants.
Il allège la cruauté extrême des situations auxquelles le héros est confronté, car il passe quand même tout le jeu à voir sa petite amie se faire torturer, éviscérer, entre autres sévices moins explicitement représentés mais tout aussi présents. A chaque fois, cette dernière semble ressentir toute la douleur de sa mise à mort, avant de renaître pour remorfler encore une fois. (and again and again and again...and again, and again and again...etc)
Du coup, les petites plaisanteries de Johnson ne tombent pas si mal que ça.

Je tiens à dire que je ne suis pas fan des tendances humoristique ni dans les films d'horreur, ni dans les jeux, car souvent, elles gâchent mon plaisir, et rares sont les cas où les plaisanteries tombent juste.
Ici, l'ambiance est tellement barrée, entre les portes verrouillées avec des têtes de bébés qu'on doit nourrir à coups de fraises, cerveaux et autres gâteries, les affiches de propagande communiste détournées, les interdictions de porter des armes à feux, mais aussi des dents, les démons qui chient des checkpoints ou des zones de ténèbres, un héros tellement cliché et, il faut le dire, abruti qu'il en devient attachant (contrairement à ceux des DMC), les livres de contes racontant l'histoire des boss à venir et que nous lisent à haute voix Garcia (dont la lecture fragmentée laisse subtilement entendre une forme d'illétrisme) ou Johnson (qui n'hésite pas à mimer les expressions des protagonistes), bref, l'absurdité et la cohérence de l'ensemble sont telles qu'on pense à des réussites comme le Jour de la Bête, Evil Dead (dont une référence "subtile" a été glissée dans le jeu), sans pour autant renier le malsain et la peur, avec du Silent Hill qui transparait par moments (et pas seulement dans la bande son).




Au final, on a ici un jeu qui en impose, qui ne se prend jamais trop au sérieux, ce qui est une vraie bouffée d'air frais dans un univers sclérosé par l'ego des créateurs qui transparaît systématiquement sur les protagonistes des jeux.
Un jeu qui finalement surprend par ses originalités au sein d'un genre tellement strictement codifié et à une époque où tout repose généralement sur la réalisation, la surenchère d'effets visuels et l'esthétique militaire.
Et en plus on a droit à quelques petits bonus comme une phase en 2D par exemple, les contes mentionnés plus haut, les commentaires succulents lorsqu'on observe une affiche ou un élément du décor.
La petite animation groovy de Garcia se relevant pour retourner au combat qui illustre le temps de chargement entre chaque "continue" (et il y en aura quelques uns) est classe, et accompagnée d'une musique kitsch du meilleur effet.
Et puisqu'on en est à parler des bonnes surprises, retrouver une carte des niveaux à la Ghost'n Goblins m'a profondément ému, un retour en enfance des plus jouissifs et un clin d'oeil parmi tant d'autres aux fans de films d'horreur, de jeux vidéos, de pop culture en général.

On pourrait presque dire qu'on a affaire ici à une série-b sincère, audacieuse et bigrement bien foutue, qui s'oppose vaillamment aux grosses productions mainstream du moment.

Mais trois ombres viennent obscurcir le tableau.
Tout d'abord l'aventure est courte, et dépasse à peine les 7 heures, ce qui est un peu cruel, mais qui est finalement logique tant le rythme de celle ci est effréné, en renouveau permanent.
Ensuite, on peut dire qu'en comparaison de ses contemporains, le jeu est un peu "limite" techniquement, entre des problèmes de collision un peu dérangeants, et des angles de caméra qui parfois vous poussent à combattre à l'aveuglette. Bref, on n'a jamais le souffle coupé à la façon d'un God of War 3 ou du dernier Gears of War (mais est-ce réellement un problème ? à vous de voir...)
Et enfin, le fameux problème de traduction en français. Il y a tellement de sous-entendus bien sales à connotation on ne peut plus sexuelle, et ils passent quasiment tous à la trappe au sous-titrage. C'est vraiment dommage parce que vraiment, il y en a à foison et ils font partie intégrante de l'univers de ce jeu. (merde, même le flingue s'appelle "Boner" quand même)
Seule option, se souvenir de nos cours d'anglais et tenter de reconstruire le sens en nous aidant des sous titres.

Ces trois problèmes, si ce sont des bémols, n'empêchent heureusement pas de jouir de cette aventure palpitante au pays de la cruauté brutale et du mauvais goût bien bourrin, mais géré avec une réelle finesse.
A mon avis, ce serait dommage de passer à coté... (s'il y avait un 8,5, je lui donnerais cette note...)
toma_uberwenig
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 14 oct. 2011

Critique lue 300 fois

3 j'aime

1 commentaire

toma Uberwenig

Écrit par

Critique lue 300 fois

3
1

D'autres avis sur Shadows of the Damned

Shadows of the Damned
ThoRCX
6

Taco Hell

Shadows of the Damned a été annoncé comme une petite révolution dans le monde du jeu vidéo horrifique japonais. Il faut dire que l'argument commercial donnait envie : un jeu réalisé par Suda 51...

le 29 janv. 2012

8 j'aime

Shadows of the Damned
Gothic
7

Taste my Big Boner!

Shadows of the Damned, ou comment la bande à Mikami nous a manufacturé un gras souper! Point de finesse dans ce jeu, mais une bonne dose de fun. Au programme, de l'humour, de la défouraille, un...

le 3 févr. 2012

7 j'aime

2

Shadows of the Damned
PekJB
8

This guy sure is a dick... tator.

Nombreux sont les joueurs a avoir eu une "big boner" à l'annonce de ce Third Person Shooter et pour cause, les noms aussitôt associés au projet vendaient du rêve : Mikami (Resident Evil), Suda51 (No...

le 6 juil. 2011

7 j'aime

2

Du même critique

Invasion Los Angeles
toma_uberwenig
8

Debord décrypté par un ex-catcheur

C'est de loin la meilleure, la plus claire explication possible de ce que Debord essaie de nous faire comprendre dans la Société du Spectacle. Bon, d'accord, les extraterrestres et les lunettes...

le 1 avr. 2011

84 j'aime

12

The Wicker Man
toma_uberwenig
10

Come. It is time to keep your appointment with the Wicker Man.

S'il n'en restait qu'un, ce serait celui-ci, presque sans hésitation. Et je profite du fait que ce soit le 1er mai, date au centre de l'intrigue du film, pour me décider à en parler. Tout commence...

le 1 mai 2011

74 j'aime

27

Si tu tends l'oreille
toma_uberwenig
8

Le temps retrouvé

Si vous abordez ce film avec les faux espoirs instillés par la bande annonce d'être confronté à un conte surnaturel, vous serez déçu. Et ce serait dommage, le film ayant beaucoup à offrir à ceux qui...

le 4 mai 2012

67 j'aime

3