She Sees Red
5.3
She Sees Red

Jeu de Rhinotales (2019PC)

Après les naufrages ludiques et cinématographiques qu'étaient "Black Book" et "I Saw Black Clouds" et les tristes déceptions qu'ont été "Late Shift" et "The Bunker", je commence à me résoudre à l'idée que le film interactif moderne est un doux rêve qu'aucun studio n'a encore concrétisé avec succès. Je ne demande pourtant pas l'impossible : un système de jeu à la Telltale, avec une interactivité limitée, des choix difficiles et une écriture assez réussie pour qu'on se sente concerné.


Marché de niche oblige, j'accepte volontiers le postulat qu'il s'agira d'une production fauchée, avec des décors limités, des acteurs amateurs, des effets spéciaux datés et une mise en scène au mieux scolaire. She Sees Red a réussi à me surprendre avec des maquillages corrects, mais surtout des scènes d'action étonnamment bien filmées, montées et chorégraphiées. Ne vous attendez pas à du Chad Stahelski (John Wick) ou du Gareth Evans (The Raid), mais on sent que le réal est dans sa zone de confort quand il est question de distribuer des bourre-pifs, et j'espère très fort que ses prochaines réalisations iront dans ce sens.


Je suis aussi agréablement surpris par l'écriture, qui réserve un bon lot de surprises et de rebondissements que je n'ai pas du tout vu venir, mais je ne vois jamais rien venir, donc c'est à prendre avec des pincettes. C'est bien la première fois qu'un film interactif m'intéresse suffisamment pour que j'y joue plusieurs fois, pour voir les différentes fins et recoller tous les morceaux.


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Mais... c'est aussi là que le bât blesse, car on ne m'a pas laissé le choix. Le jeu est conçu pour vous faire enchaîner au moins deux sessions, à tel point qu'il est écrit pour que votre premier run, quel qu'il soit, ne vous divulgue qu'une partie des informations nécessaires à la compréhension de l'histoire. Par conséquent, lorsque j'ai fini le jeu et vu les crédits, je n'avais rien piné et j'ai été forcé de rempiler aussitôt pour prendre d'autres décisions et voir les deux autres fins.


Ce n'est pas foncièrement une mauvaise idée, mais ça me pose deux problèmes :


1. Dans les jeux à choix, en général, que ce soit des Telltales, CD Projekt ou Bioware, j'aime assumer mes choix et voir l'histoire s'y adapter, façonnée par la séquence unique des décisions que j'ai prises. Je n'ai donc pas envie de recharger une partie pour les remettre en question, ou pour explorer les autres options.

She Sees Red ne vous laisse pas réellement d'autre choix que relancer le jeu, puisque sa narration ne fonctionne que si vous le finissez au moins deux fois. Sans ça, il vous manque des scènes clé, et son histoire n'a pas beaucoup de sens.


2. Il y a deux options à chaque embranchement narratif, et ces branches se rejoignent presque toujours aussitôt après. Pas de grosse déviation, non, ce qui n'est pas un problème en soi, mais... ça implique que lors de votre second run, vous n'aurez plus aucune décision à prendre, puisque vous allez simplement explorer mécaniquement toutes les secondes options jusqu'à débloquer la seconde fin. Enfin, l'une des routes a un petit embranchement, proche de la fin, qui mène à une troisième conclusion.


Résultat : lors de votre première partie, vous faites des choix, mais leur valeur est très relative, puisqu'on vous demande juste après de faire le contraire de ce que vous aviez choisi. Et lors de votre seconde partie, vous vous contentez de sélectionner l'autre option à chaque embranchement et l'interactivité est réduite à néant.


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Et c'est ce qui me gêne le plus : je ne me lance pas dans ce genre de jeux en espérant avoir une interactivité de malade, mais j'aimerais qu'on me donne le minimum syndical, à savoir la possibilité de m'exprimer par mes choix.


À vrai dire, c'est un grief très subjectif, car on peut très bien aborder She Sees Red comme une forme de cinéma alternatif qui vous donne les scènes d'un film dans le désordre, à la manière d'un Tarantino, et vous laisse reconstruire le tout. Ce qui rend la démarche pertinente dans le medium jeu vidéo - parce que ça n'aurait pas facilement fonctionné en film - c'est que ces scènes sont des réalités parallèles.


Pour faire une analogie, c'est comme si dans un James Bond, on vous montrait une scène où le méchant capture Bond, lui révèle tout son plan et le tue, puis une autre scène où James Bond tue le méchant et contrecarre ses projets. Ces scènes ne peuvent pas cohabiter dans la même ligne temporelle, mais ont chacune leur valeur narrative, pour les informations qu'elles divulguent ou la manière dont elles font avancer la trame, et c'est exactement ce que propose She Sees Red.


Je me retrouve donc dans cette situation bizarre où je venais chier sur le jeu, et c'est en écrivant sa critique que je me rends compte que, aveuglé par mes attentes, je lui en ai voulu d'être expérimental, alors que c'est précisément ce qui le sort du lot, même si l'exécution n'est pas parfaite et nuit à son interactivité.


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En pratique, le premier run vous prendra une heure, et les suivants beaucoup moins puisqu'on vous donne la possibilité de zapper les scènes que vous avez déjà vues, une fonctionnalité qui manquait à Late Shift et m'avait gâché l'expérience en me dissuadant d'explorer l'arborescence de ses choix. En tout, j'y ai passé 1h40 en allant très vite.


Attention : le jeu vous laisse parfois zapper un peu trop librement et j'ai accidentellement passé une fin alternative, que j'ai dû aller mater en Streaming.


Un autre conseil : jouez en VO russe. Par défaut, le jeu est en anglais avec une synchro labiale totalement aux fraises. Dans tous les cas, ne vous attendez pas à un grand jeu d'acteur, mais l'exotisme du doublage russe fait passer la pilule.

Ezhaac
6
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Créée

le 23 oct. 2025

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Ezhaac

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