Shenmue III
5.8
Shenmue III

Jeu de Ys Net et Deep Silver (2019PC)


Shenmythe



Shenmue. Tout le monde connaît le nom de ce mythe vidéoludique. Tout le monde le connaît, parce qu'il était révolutionnaire. Tout le monde le connaît pour son coût pharaonique pour l'époque. Tout le monde le connaît pour l'impact qu'il a eu sur les joueurs. Et pourtant, ce mythe, a été coupé en plein élan. Coupé en plein élan jusqu'à que, un beau jour de juin 2015, Shenmue 3 était enfin annoncé officiellement. Officiellement, oui, à condition qu'il soit suffisamment financé par les joueurs, le jeu étant passé par Kickstarter, la célèbre plateforme de financement participatif, qui nous a apporté du bon - Hollow Knight, Pillars of Eternity - comme du moins bon - Mighty N°9 -. Le jeu est un succès pharaonique sur la plateforme, étant le plus grand score de l'histoire de Kickstarter pour un jeu vidéo. 18 ans après s'être fait coupé les ailes en plein vole, Shenmue peut continuer son histoire. Du coup, de quel côté se situe ce troisième épisode de Shenmue 3, du bon ou du mauvais ? Maintenant que j'ai assez de recul nécessaire après l'avoir fini il y a de ça plus de trois mois et avoir pu mettre de côté mon fanboyisme exagéré envers la licence, je peux, je pense, livrer mon avis sur le sujet.



Sega Genesis



Le jeu commence comme si de rien n'était. Comme si 18 d'attente ne s'était pas écoulé. Comme si le temps avait été suspendu dans cette caverne. Oui, Shenmue 3 commence pile poil exactement là où s'est arrêté le second. Pour un joueur néophyte de la licence (et dieu sait qu'ils sont rares), un passage obligatoire est de regarder la vidéo qui résume les deux premiers proposées au lancement du jeu. Et, fort heureusement, ces deux vidéos sont particulièrement bien fichues ! (Pour ce test, je vais partir du principe que vous connaissez Shenmue et son histoire, donc je n'en ferais pas de résumé). Nous voilà donc lancés, sorti de la caverne où Ryo a hiberné 18 ans, et en route pour le village Bailu, petit bourgade rurale de la chine des années 80 où vit Shenhua, la nouvelle amie de Ryo. Là, on doit se mettre à rechercher le père de Shenhua, disparu et qui connaît des choses sur les miroirs - donc, probablement sur Lan Di -.


Dès le début, on sent bien qu'on s'est un peu fait douillé : la mise en scène est exécrable... Les protagonistes marchent, s'arrêtent pour parler, puis remarchent, puis s'arrête à nouveau pour parler, puis remarchent, puis marchent et parlent en même temps (!!!), le tout entrecoupé de fondus au noir entre deux sujets de conversations (comme si le jeu chargeait la discussion suivante), avec un robotisme fou. Là où Shenmue tirait une de ses grandes forces à l'époque de la sortie originelle de ses deux premiers titres, en tire aujourd'hui une de ses plus grosses faiblesses : La mise en scène durant les discussions sont calamiteuses, si ce n'est même proche de l'amateurisme.


Le scénario se développe donc dans cet embarras qu'est la mise en scène, mais qu'importe, si le fond et la structure narrative suit, le jeu peut toujours nous toucher ! On avance donc dans Bailu, trouvant quelques pistes ci et là qui nous permettent de remonter jusqu'à un gang de voyou qui aurait potentiellement kidnappés le papa de notre chère Shenhua. Évidemment, notre première confrontation se solde sur un échec, Ryo se faisant gentiment latter les fesses. S'en suit alors une quête pour trouver dans ce village (qui est, certes, petit, mais connu pour ses experts en arts martiaux) un maître qui pourrait nous apprendre comment éliminer ces vils félons. Après moult recherches complexes, nous trouvons enfin notre expert, notre maître, notre sensei, qui nous donnera plusieurs défis (non, en vrai il nous en donne que deux à répéter plusieurs fois) pour enfin nous apprendre une superbe technique secrète qui va nous permettre de péter gentiment la gueule à nos antagonistes. Une fois les vilains à terre, nous en apprenons plus sur l'endroit où est le père de Shenhua, ce qui nous fait partir de Bailu pour arriver à Niaowu.


Arrivé à Niaowu, l'histoire est exactement la même... Des vilains soupçonnés de blablabla, première confrontation blablabla, on se fait péter la gueule blablabla, on trouve un maître blablabla, et bat les méchants blablabla, et fin du jeu... Voilà. L'histoire n'a pas avancé, ce n'est pas en cherchant un homme kidnappé que le jeu nous offre des révélations. En effet, Bailu étant un lieu extrêmement important pour l'histoire des miroirs du Phénix et du Dragon, on aurait pu s'attendre à moult révélations sur ce sujet là, et sur la mystérieuse Shenhua. Le tout accompagné de personnages secondaires anecdotiques, qui doivent probablement prononcer 4 phrases chacun, au maximum. Dire que les personnages de Shenmue 1 et 2 étaient d'une humanité sans précédent dans le jeu vidéo.


Donc, le jeu nous pose un double problème : Il ne propose, finalement, pas grand chose en terme d'histoire, d'avancée, de révélations (même si Yû Suzuki avait prévenu peu avant la sorti du titre que Shenmue 3 était un jeu de transition entre des chapitres hautement importants pour son histoire, et que du coup, pas grand chose n'arriverait dans celui-ci). Mais il se permet en plus de foirer la structure avec laquelle il essaie de nous présenter ces choses-là. Me direz-vous, quand l'histoire n'a rien à dire, difficile d'en faire quelque chose.



F.R.E.E. Hug



Pourrons nous alors nous tourner du côté de la jouabilité pour trouver un quelconque plaisir ? En effet, Shenmue était précurseur dans bien des domaines. Techniquement irréprochable pour l'époque, une mise en scène à coupé le souffle qui mettait à l'amende tous ses concurrents, mais aussi un système de jeu novateur et d'une excellence remarquable. Ce système, Yû Suzuki l'avait sobrement nommé le F.R.E.E, qui tient pour Full Reactive Eyes Entertainment (« loisir pour les yeux entièrement réactif »). Il sous entend parler que, dans Shenmue, le joueur peut tout regarder, tout manipuler, ouvrir, toucher, visiter, palper, interagir... La liste est longue. Simplement, c'était surtout pour signifier que le joueur avait une forte liberté par rapport aux standards de l'époque (monde semi-ouvert, manipuler des objets, jouer aux jeux vidéo dans un jeu vidéo). Bref, le terme FREE n'avait pas été choisi pour rien. Le jeu voulant offrir une liberté gargantuesque au joueur. Même si aujourd'hui, nous avons eu accès à des jeux bien plus libre, il faut avouer que pour l'époque, c'était tout simplement une turbo claque dans la gueule. On avait un système de combat dingue, tiré de Virtua Fighter, une grande licence de combat (aussi de Yû Suzuki), ce qui permettait au jeu de jouir de combats épiques, pour le peu qu'il y en avait. Il fallait, par contre, s'entraîner. Sur un parking, dans un parc, dans un hangar... On s'entrainait dans le vent, on améliorait nos attaques en leur montant de niveau. On pouvait, du coup, choisir si on était plutôt un combattant à poing, à pied, rapide ou lourd ou si on préférait attrapé nos ennemis. Le tout était vraiment réussi.


Mais de l'eau a coulé sous les ponts depuis 1999 et 2001, date de sortie des deux premiers jeux Shenmue. Et ces systèmes de jeu ont vieillis. Pour être honnête, ils ont vieillis plutôt biens. C'est toujours un plaisir de jouer aux deux premiers Shenmue. Mais pour autant, pour un nouveau jeu sortant en 2019, il faut retaper tout ça. Et ça... c'est un travail qui n'a pas vraiment été fait. Disons qu'en terme de jouabilité elle-même, oui, le jeu a changé, nouveau moteur oblige. Mais en terme d'idéologie de jeu, de game design, rien n'a changé. Rien. Rien de nouveau à se mettre sous la dent, donc. Ce qui créer une sorte de dichotomie : comment faire du vieux, avec du neuf. Très bizarre. Les combats sont désormais lents, avec une inerties dingues et des ennemis qui ne réagissent que très peu aux coups qu'on leur donne. Se déplacer est fastidieux, Ryo se déplaçant comme un poids lourd. Bref, on a un jeu qui a le cul entre deux chaises entre tenter d'implémenter des systèmes modernes dans un vieux design. Un peu comme si j'essayais de mettre un moteur de Lamborghini dans un Vespa.



Travaillez bande de feignasses



Mais pire, le jeu régresse face à ses prédécesseurs sur tant de points... Les jobs par exemple : Dans le premier Shenmue, on avait le chariot-élévateur. C'est une phase devenue mythique pour les fans de Shenmue. En fin de jeu, obligé d'aller travailler sur les quais à déplacer dans caisse avec un chariot élévateur (et une petite course chaque matin avant de commencer le journée). Dans Shenmue 2, on doit déplacer des caisses sur les quais, mais à la main, puis on doit débarrasser des livres d'une bibliothèque, à la main encore. Non seulement ces jobs sont ludiques : Avec le chariot élévateur de Shenmue 1, chaque jour on doit déplacer des caisses d'un endroit différent à un autre endroit différent. Quand on déplace des caisses à la main dans Shenmue 2, on doit suivre le mouvement de notre collègue (gauche, droite, gauche, gauche, droite, gauche, droite droite, droite), bref, chaque caisse est différente aussi. Pareille pour les livres, où on doit rester en équilibre en les déplaçant. Shenmue 3, les jobs se limitent à 3 choses : couper du bois (donc appuyer sur un seul et unique bouton au bon moment), ramasser des plantes et les revendre (on peut faire des mélanges qui rapportent plus d'argent...) et faire du chariot-élévateur (mais entre une seul hangar et un seul bateau, donc tous les jours l'exact même trajet).


Mais encore pire, c'est l'essence mêmes de ces jobs qui deviennent encore plus en deçà : Dans Shenmue 1 et 2, les jobs ont une réelles utilités. En effet, Shenmue est tournée sur les arts martiaux et sa culture. Dans Shenmue 1, on va travailler sur les quais, parce qu'on veut recevoir des informations qu'on ne peut avoir qu'aux quais. Du coup, ce boulot nous apprend la patience. La patience d'attendre la pause de midi et la fin du travail le soir pour continuer notre enquête. Dans Shenmue 2, ces jobs, en plus de nous entraîner aux QTE (éléments centraux des Shenmue), nous apprennent la discipline. Elle aussi d'une forte importance dans la culture des arts martiaux. Ici, dans Shenmue 3, aucun job n'est réellement obligatoire. On le fait un peu quand on veut, tel une profession libérale. Juste pour farmer des sous et passer certaines étapes, sans que cela sert à quelque chose réellement (pas d'apprentissage de la discipline, ou autre). On pourrait presque dire que ce farm de Yuans incessant est un hommage à la vie de Yû Suzuki, qui a dû se battre longtemps pour avoir les sous de faire ce Shenmue 3.



Entre bave et dégeulis



Techniquement, enfin... On ne s'attendait pas à des miracles et certainement pas à ce que Shenmue 3 soit à 2019 ce que Shenmue 1 était à 1999. Mais tout de même. Le jeu, sur PC, souffre de gros ralentissement, un manque accablant de stabilité dans les ips, et est un jeu très gourmand malgré qu'il propose des textures baveuses, aliasées, clippées... Et les animations, elles se permettent même en d'être en dessous de ce que ces prédécesseurs faisaient 20 ans plus tôt. Robotiques, mâchées, imprécises, incohérentes... Rien ne va ! Et le jeu, même si il souffre d'un budget limité est clairement en dessous d'autres productions avec le même moteur qui ont nécessités moins de moyen financier pourtant.


Est-ce que le jeu à vu trop grand ? Peut-être bien. Parce que les zones sont grandes, plus grandes qu'attendues. Trop grand même. Pourquoi nécessiter que le petit village rural de Bailu soit découpé en 3 zones distinctes ? Pourquoi Niaowu devait être aussi grand que Hong Kong ? Et pourquoi vouloir rendre ces lieux plus développés qu'ils n'auraient dû l'être ? En effet, ces deux villes de Shenmue 3 sont imaginaires, loin du Dobuita ultra réaliste de Shenmue 1 (au point où même la météo était basée chaque jour sur la vraie météo de Dobuita aux mêmes dates ?) et de l'adaptation réussie et exotique de Hong Kong. Là on commence dans un village rural de la chine des années 1980, paumé au milieu d'une forêt, au milieu d'une montagne, qui se permet d'avoir l'électricité pour tous et des bornes d'arcades, des frigos, deux marchés, deux marchés de jeux de rue, bref, tout un petit monde moderne. Pareille pour Niaowu, qui devait être une ville de pêcheur dans la contrée de Guilin (même région que Bailu) et qui est pourtant tout aussi évolué que Hong Kong, avec des touristes, des hôtels de luxe, énormément de bornes d'arcades un casino... Bref, une décennie et demie d'avance sur le reste de la chine. Anachronisme complet, et honteux pour Shenmue qui avait jusqu'ici un soucis du détail particulier.


Donc, peut-être que si YsNet avaient tentés de faire des zones plus petites et moins développées, moins détaillées (et donc moins anachronique), peut-être qu'ils auraient réussis à atteindre un résultat technique convenable. Mais l'envie de placer du fan service était trop forte, à l'image de ce temple à l'effigie de Shenmue qui plante en plein milieu de Niaowu (oui, au milieu, même pas une temple caché en guise d'easter egg).


Au moins, si on met de côté l'anachronisme du jeu, l'ambiance est phénoménal. En effet, Bailu est un endroit vraiment beau artistiquement parlant, reposant, enivrant et poétique. On ressent une certaine tranquillité dans ce petit village, une sorte de havre de paix, qui est tout juste chamboulé par l'apparition des bandits. Comme niaowu a une ambiance heureuse, d'une ville en plein essor, qui grandi, qui se développe, elle aussi chamboulée par l'arrivée des bandits.



Trop long, j'ai pas lu : Conclusion



Shenmue n'est pas un mauvais jeu. Mais une grosse déception. Une grosse déception par rapport à tout l'héritage qu'il porte. Une déception par rapport au peu qu'il a réussi à accomplir malgré son budget Kickstarter et le soutien de Deep Silver. Mais aussi une déception parce qu'il met plus que jamais en péril la suite de la licence. En effet, Shenmue 3 ne conclue pas l'aventure de Ryo. Loin de là, elle nous amène qu'au 40% de cette folle histoire (d'après Suzuki). Mais, malgré tout, sa suite est plus que jamais compromise. Compromise parce que Shenmue 3 a perdu quelque chose d'important qu'avait ses grands frères. D'importants qui peut aider à faire passer la pilule de l'échec commercial. Ce qu'a perdu Shenmue avec ce troisième épisode, c'est le prestige. En effet, si Shenmue 3 est devenu réel, malgré toutes ces années d'attente, et que malgré tout nombreux sont les fans qui n'ont pas perdus espoirs en ce troisième épisode, c'est bien grâce au prestige qu'avait la licence. Un prestige qui aurait pu permettre à un éditeur de se mouilleur et de finalement produire cet épisode. Personne n'a osé, hormis les fans. Fans qui se sont rués dessus grâce au prestige. Aujourd'hui, nombre d'entre eux n'oseraient pas remettre des sous pour un financement participatif pour Shenmue 4. Moi, oui, tant je veux voir la suite et la fin des aventures de Ryo, et tant j'ai encore l'espoir que YsNet et Yu Suzuki aient appris des erreurs sur Shenmue 3 et corriger ça pour un potentiel 4ème épisode, qui serait, lui, bon.

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le 30 mars 2020

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