Depuis quelques années, l'industrie des jeux vidéo connaît énormément de remakes et de portages. Plus rares sont en revanche les authentiques reboots. Et quand le reboot en question concerne le titre culte de Konami sorti sur PSone en 1999, on est tout de suite assez impatient de s'y essayer. Et si la délocalisation occidentale de ce reboot auprès des Anglais de Climax Studios pouvait faire craindre le pire, le résultat final efface tous les doutes initiaux et met le joueur face à une évidence : à quelques détails près, Climax a réussi un véritable tour de force pour réinventer totalement l'expérience Silent Hill en conservant son ADN et en ne dénaturant pas l'esprit de l'œuvre originale. Explications...


On parle tout d'abord ici bien de reboot en ce sens qu'il ne s'agit absolument pas d'un remake : ceux s'attendant à un simple lifting esthétique et à un dépoussiérage du gameplay tout en respectant au plan près l'épisode de 1999 en seront ainsi pour le frais. Certes, le point de départ des deux jeux est identique : à la suite d'un accident de voiture, Harry Mason reprend conscience et part à la recherche de sa fille Cheryl dans les rues de la bourgade de Silent Hill (qui n'est plus plongée dans un épais brouillard ... mais cette fois-ci dans une tempête de neige). Néanmoins, la suite du jeu est au final radicalement différente de celle que l'on avait connu en 1999 tant dans son gameplay, dans son atmosphère que de son déroulement. Certes, certains des lieux que vous visiterez porteront des noms identiques à ceux que vous avez parcourus dans Silent Hill... mais ils sont tout simplement devenus pour la plupart méconnaissables tant du fait de leur architecture que de leur emplacement (l'école élémentaire de Midwich est devenue le lycée Midwich, votre passage dans l'Alchemilla Hospital est ici très fugace alors que vos pérégrinations dans le centre commercial de Toluca seront ici au contraire bien plus longues que par le passé). Et si vous visiterez d'autres environnements familiers (les égouts, le parc d'attraction...) tous plus méconnaissables les uns que les autres, vous visiterez aussi des lieux inédits (la forêt et les alentours de l'étang Caldecotte, le quartier de départ de votre quête, etc...). Par ailleurs sans parler des quelques personnages inédits que vous croiserez au cours de votre aventure, les personnages rencontrés subissent le même traitement et sont pour la plupart méconnaissables, que cela soit Cybil la policière ou Lisa l'infirmière... sans oublier une mention spéciale pour Dahlia reconvertie en jeune punkette allumeuse et provocatrice.

Côté ambiance, les développeurs ont également « renversé la table » puisque si Silent Hill était assurément un survival horror avec de vrais moments de frousse, Shattered Memories lorgne beaucoup plus du côté du thriller psychologique beaucoup plus froid et posé (même s'il délivre néanmoins quelques moments de stress lors des « visions » et dans les séquences de « cauchemar » dans le monde parallèle recouvert par la glace). Ce côté thriller psychologique et quête initiatique se retrouve ainsi totalement dans la construction même du jeu avec trois types de séquences bien distinctes qui alternent tout au long du jeu. Servant à la mise en abyme de toute l'aventure (le jeu commence en vue subjective dans la peau d'Harry qui revient sur les événements de Silent Hill Shattered Memories au cours d'une visite chez son nouveau psychiatre), les séquences chez le psychiatre sont l'occasion de faire une pause dans le récit de l'histoire, de répondre à quelques questions personnelles mais aussi de se livrer à des petits jeux sous forme de tests psychologiques. Loin d'être anodins, vos réponses et vos choix devant le psychiatre influeront sensiblement le contenu du jeu (et notamment l'apparence physique de Cybil ou encore les différentes fins qui s'offriront à vous). A ces phases dans le cabinet du psychiatre succèdent des phases plus classiques d'exploration des quartiers et lieux emblématiques de Silent Hill, une lampe torche à la main (la Wiimote orientant tout à la fois la caméra et le faisceau lumineux). L'occasion de résoudre bon nombre d'énigmes (comme à la bonne époque des survival horrors) qui feront essentiellement appel à vos qualités d'observation et de déduction logique (comme l'énigme du mot de passe de l'ordinateur du proviseur du lycée ou celle de la mélodie du jouet musical dans la cabane des chasseurs). Elles sont généralement d'un niveau sensiblement plus élevé que les survival horrors actuels et certaines sont même particulièrement retorses (les statuettes dans la salle d'arts plastiques du lycée Midwich, le distributeur de bonbons dans l'entrée du centre commercial de Toluca). Cela ressemble en soi au Silent Hill que l'on a connu à cette différence près (et quelle différence !) que vous ne rencontrerez jamais aucun monstre au cours de ces séquences. Votre téléphone se mettra certes à grésiller de temps à autre (le téléphone remplaçant utilement la radio de l'épisode original en étant multi-fonctions : carte, messages, sauvegarde... tout en vous permettant d'appeler de nombreux numéros fictifs que vous découvrirez dans les décors du jeu), mais ce sera la plupart du temps pour annoncer une vision ou un message textuel ou audio plus ou moins paranormal (via le médiocre micro de la Wimote... même si l'idée de coller la Wiimote à l'oreille comme un téléphone était intéressante sur le papier). C'est d'ailleurs peut-être un des points faibles de ce Silent Hill : une fois cette mécanique comprise, vous comprendrez que vous ne craignez absolument rien lors de ces séquences (annihilant presque toute sensation de peur). Les monstres n'apparaissent en effet que dans la troisième série de séquences de gameplay qui matérialisent les cauchemars d'Harry en le plongeant dans un Silent Hill alternatif recouvert par la glace. Et le mot survival prendra ici tous son sens puisque la plupart du temps, vous devrez relier un point A à un point B en zigzaguant entre les monstres (vous n'avez aucune arme pour vous défendre ou pour attaquer en dehors de quelques fusées éclairantes placées sur votre route pour les écarter momentanément) et en repérant les halos bleutés qui indiquent des portes ou des passages pour progresser vers la sortie du cauchemar. Autant être franc, ces passages (les seuls du jeu où vous pourrez « mourir ») sont les moins convaincants du jeu et s'ils ajoutent un peu de stress et de tension, ils finissent par être plus frustrants qu'autre choses (qu'il faille secouer la Wiimote dans tous les sens pour se débarrasser péniblement de monstres plus que collants, qu'il faille prendre des photos avec les monstres aux trousses ou qu'il faille déambuler dans des environnements de plus en plus labyrinthiques...). En fait, les développeurs auraient dû pour le coup aller jusqu'au bout de leur idée et rester dans le thriller psychologique tant les autres phases de gameplay sont réussies avec cet habile mélange d'exploration, d'énigmes et de manipulations bien intégrées avec la Wiimote.

Reste qu'en dehors de ce petit faux pas le jeu reste une franche réussite dans l'ensemble avec une réalisation dans le haut du panier sur Wii (exception faite de la gestion risible des ombres), une Wiimote très bien exploitée (à part quelques utilisations un peu gadget) et une ambiance pesante savamment distillée tout au long de l'aventure. Mais cette franche réussite n'occulte néanmoins pas quelques petits désagréments. A commencer par le faisceau de la lampe torche qui est un peu trop étroit pour avoir une bonne vision d'ensemble des alentours. Bien sûr, le bouton B permet de zoomer et d'élargir le champ éclairé des environnements... mais votre vitesse de déplacement est alors considérablement ralentie. Cette petite contrainte ralentit ainsi d'autant le rythme du jeu dont la durée globale n'est pour autant pas extraordinaire (j'ai terminé le 1er run en 8 heures environ en fouinant partout... mais vous pouvez aisément le finir en 5-6 heures si vous ne cherchez pas les « souvenirs » cachés ici et là ou si vous ne vous amusez pas avec les numéros de téléphone fictifs)... même si les quelques chemins alternatifs, les différentes fins et la multiplicité des réponses possibles aux tests et questions du psychiatre pourront vous inciter à faire un second run. On pestera enfin sur quelques énigmes peu intuitives (là encore, l'énigme de la salle d'arts plastiques... ou la réponse à la question secrète de l'ordinateur du proviseur du lycée qui exige de deviner un mot à partir d'un calendrier mais qu'il faut saisir en anglais et non en français... même s'il n'y a qu'une lettre de différence).


Néanmoins, en dépit de quelques erreurs (les phases de poursuite pénibles dans le monde des cauchemars) ou de défauts mineurs qui finissent tout de même par être agaçants (le champ de la lampe torche trop étroit, la gestion risible des ombres ou quelques énigmes parfois injustement retorses), Climax a réussi avec ce reboot à conserver intact l'ADN de l'épisode originel de Silent Hill tout en se réappropriant ses codes pour accoucher d'une expérience ludique radicalement différente de celle de son modèle en l'accommodant avec certains thèmes très matures rarement abordés dans un jeu vidéo. Climax réussit enfin l'ultime tour de force de surprendre le joueur dans un final grandiose (les vingt dernières minutes, en gros). En effet, alors même que le joueur s'attend inévitablement à un twist compte tenu du scénario d'origine de Silent Hill, Climax réussit à le prendre totalement à contre-pied en lui livrant un épilogue totalement déroutant. Un reboot imparfait d'un jeu culte qui lui-même n'était pas sans défaut... mais une grande réussite tout de même et surtout une expérience ludique à vivre assurément.
marchiavel
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le 12 juil. 2012

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