Spore
6.4
Spore

Jeu de Will Wright, Maxis et Electronic Arts (2008PC)

« Dans tout ce que la nature opère, elle ne fait rien brusquement. »

Citation de Jean Baptiste de Lamarck


Le jeu vidéo s’est toujours construit autour de boucles de jouabilité. A l’image de Pong en 1972 (premier vrai succès vidéoludique grand publique) elles étaient au début courte et seule au sein d’un jeu. Au fil du temps avec l’augmentation des capacités techniques et de la complexité des jeux, on s’est retrouvé avec plusieurs boucles de gameplay qui se démarquent par leur durée. Ainsi il est depuis longtemps commun d’analyser le gamedesign (l’architecture) d’un jeu en étudiant ses différentes boucles. Par exemple (et pour simplifier) le premier Legend of Zelda a 3 phases : tuer les monstres de la case (cours terme), se repérer dans l’espace (moyen terme) et compléter la quête principale (long terme). Même dans le cas des JRPG étant réputés pour offrir un gameplay très changeant, comme Chrono Trigger, la boucle à court terme (celle des combats sur la carte) change finalement très peu. Ce n’est pas le cas du jeu dont vous lisez la critique aujourd’hui : Spore.


Spore est le dernier jeu original de Will Wright, un illustre développeur américain à qui ont doit des jeux de simulations de vie (les sims et simlife), de ville (SimCity), de planète (SimEarth) et de…fourmis (SimAnt) parce que pourquoi pas. Avec Spore celui-ci s’attaque à l’idée d’évolution, nous permettant de nous emparer du contrôle des individus d’une espèces du début de la vie sur la planète à son départ de celle-ci par la conquête spatiale. Le jeu n’évolue pas organiquement mais se divise en 5 phases différentes, avec leur propre boucle de gameplay.


La première de ces phases est la phase cellulaire. Elle reprend un principe assez arcade. On y incarne un petit organisme baignant dans l’océan et grandissant en mangeant d’autres petites espèces, s’enfuyant d’autres encore trop redoutables. C’est dans cette phase qu’on commence à s’intéresser à la vraie force du jeu : son système de création de monstres qui se limite dans son introduction à une forme assez patatoïde dont on peut ajouter des choses comme des yeux, des flagelles, des bouches ect... C’est de loin la phase la plus courte mais aussi la plus rythmée du jeu, elle sert de didacticiel et au bout d’une vingtaine de minute on y est éjecté pour nous rendre dans une seconde phase, la phase créature.


La phase créature poursuit dans la lignée de la phase cellulaire mais sur la Terre ferme. Elle ressemble un peu à une plaine de MMO ou on retrouve des quêtes du style : tuer 20 loups. Le système « d’évolution » est donc à ce moment à son apogée, techniquement très respectable pour l’époque. Mécaniquement il faut interagir avec des espèces (positivement ou négativement) tout en suivant une sorte de chemin de migration qui permet au joueur de ne jamais se retrouver trop loin du nid de base qui permet la reproduction et donc l’évolution d’espèce. C’est la seule phase qui offre plus d’interactions « écologiques » (on en reparlera plus tard) avec d’autres espèces. C’est cette phase qui bloque l’évolution de notre espèce.


La troisième et la quatrième phase reprennent respectivement les codes du RTS et de Civilisation pour faire un jeu de stratégie où on finit par vaincre ou absorber les autres peuples pour créer une nation hégémonique et unifiée sur la planète. Elles offrent la possibilité de créer et modifier des bâtiments et véhicules.


Enfin la dernière phase, la conquête spatiale. C’est la plus complète et la plus longue (on pourrait techniquement jouer jusqu’à l’infini). Elle offre beaucoup d’options mais souffrent du défaut majeur de ne nous laisser le contrôle que d’une machine violente, ce qui impose limite de jouer pacifique (et donc d’avoir fini la phase précédente en pacifiste) si on ne veut pas rapidement se faire submerger par un problème pendant qu’on est en train de terraformer une planète de l’autre côté de la galaxie. La durée de vie est également à remettre en cause car rien ne vous poussera à continuer très longtemps après avoir quitté votre système solaire.


Ces cinq phases sont donc croissantes en termes de complexité et de durée. De part les choix des genres vidéoludiques choisis, on peut y voir un parallèle entre l’histoire évolutive de la vie sur terre et celle du jeu vidéo. Cette vision artistique, qu’on peut considérer d’auteur, souffre cependant de nombreux défauts de fonctionnement qui entache le plaisir de jeu. Spore pâtit de ses changements réguliers de genre. Le premier arc du jeu (cellulaire et créature) du jeu en souffre peu par la durée plus courte, la nervosité plus élevée et le fait que ce sont des genres ou il était, en 2009 facile d’atteindre une boucle de gameplay agréable. Le deuxième arc (phase tribale et civilisation) se viande lui complètement et offre une version tellement épurée et simple des genres qu’il devient insipide.


La mécanique centrale de l’œuvre est également à remettre en question. Déjà même si la suspension consentie d’incrédulité existe dans l’art, l’évolution prétendue de l’espèce dans l’œuvre pose des questions. Déjà, ce l’évolution n’est fondamentalement pas vraiment contrôlable au sein d’une espèce, surtout aux états précédents la civilisation. Bien que je comprenne l’intérêt artistique qui découle du laisser-faire du joueur, je trouve qu’il aurait été beaucoup plus intéressant de faire évoluer notre espèce par ses interactions avec les autres espèces. Ces interactions structures en partie la forme des espèces. On peut aussi reprocher à Spore de faire arrêter l’évolution à la fin du premier arc alors que techniquement l’évolution ne s’arrête jamais et que rien ne justifie vraiment cette idée si ce n’est l’idée très anthropocentrée que l’homme a atteint son évolution « finale ». On peut également reprocher une idée manichéenne qu’un carnivore, un prédateur est « mauvais » (dans le sens où il est placé en parallèle de la politique par la violence) et placé une morale sur les comportements d’animaux n’est quelque chose d’attendu dans une démarche scientifique. Cette liberté créative totale va jusqu’à la destruction de la physique au sein de l’œuvre. Hormis pour la première phase, on ressent peut la différence entre mettre 1 ou 2 paires de jambes, 4 ou 5 yeux. C’est encore pire pour les bâtiments et les véhicules qui n’ont vraiment qu’un intérêt esthétique.


En conclusion, même si la presse vidéoludique présentait Spore comme un futur chef d’œuvre qui allait redéfinir le genre, on peut 16 ans après se demander si le nom de Will Wright et l’ampleur des promesses n’ont pas fait surestimer Spore auprès des joueurs. La non-existence de boucle de jouabilité à court terme entraîne des problèmes de rythme et d’hétérogénéité croissants qui va jusqu’à briser la continuité vidéoludique. La ribambelle de genres empêche d’offrir une expérience assez complète notamment en ce qui concerne la stratégie. Il ressort de Spore un jeu jouable, intriguant voir même plaisant suivant vos aspirations mais surtout bancale qui ne remplit pas les promesses et qui pourra irriter les amateurs des genres qu’il traite en surface. A trop vouloir se prendre pour dieu, Will Wright a d’une certaine façon fini par se faire dévorer par son propre univers.


« Votre espèce a évolué à partir de limaces spatiales sans membres »

Spore

Lordlyonor
6
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le 30 juil. 2025

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