Electronic Arts offre à la licence Star Wars une nouvelle aventure solo, manette en main, intitulée Star Wars : Jedi Fallen Order. L'expérience est-elle à la hauteur de ses formidables ambitions ?


Sur le papier, réussir un jeu Star Wars peut avoir des airs d’évidence, d’autant plus que la franchise a déjà connu de belles percées vidéoludiques. Mais pour quelques poignées de Rogue Squadron, on compte des pelletées de Rebel Assaut et de Pouvoir de la Force. Ce dernier était d’ailleurs représentatif de la relative pauvreté en matière de jeux à la 3e personne, exception faite du légendaire, mais désormais lointain KOTOR.


D’ailleurs, si Electronic Arts a dû jadis se frotter les mains de pouvoir disposer d’une licence aussi prestigieuse dans le monde entier, ses Battlefront n’ont pas toujours été accueillis par un champ de roses, leur gameplay bourrin et leurs micro-transactions étant fréquemment pointés du doigt. On imagine donc que l’éditeur avait plutôt intérêt, à l’heure où même Disney serre les dents pour séduire à nouveau les fans, à choyer les amateurs de Star Wars.


Quant au studio Respawn Entertainment, probablement pas tout à fait en odeur de sainteté après l’insuccès de Titanfall 2, il était probablement désireux de se refaire la cerise. Cette équation complexe aboutit donc à Jedi Fallen Order , aventure solo qui bombe le torse pour aller émuler quelques-uns des jeux les plus adulés de l’actuelle génération vidéoludique. Un choix risqué, sacrément audacieux, qui fait de Jedi Fallen Order le meilleur jeu d’aventure solo Star Wars depuis un sacré bail. Voilà qui fait plaisir, mais est-ce suffisant ?


LA GUERRE DES MIRETTES


Electronic Arts a déjà prouvé sa capacité à embrasser l’univers imaginé par George Lucas pour en restituer les sensations, les bruitages, tout ce qui fait la tessiture d’un univers incroyablement dense et complexe. L’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui pousse tous les curseurs nettement plus loin. Jedi Fallen Order vous proposera de visiter quelques lieux connus, d’interagir avec des protagonistes familiers des fans ou d’arpenter des arcanes architecturaux qui reprennent fidèlement certains éléments des longs-métrages, mais c’est dans les univers inventés pour l’occasion que le jeu impressionne.


Avec un sens de l’espace parfois ébouriffant, un jeu sur les perspectives qui décroche la mâchoire comme il faut et surtout un sens du tempo particulièrement bien amené quand il s’agit d’alterner les différents décors et la magnificence qu’ils dégagent, l’aventure prend rapidement de l’ampleur et pousse rapidement les potards au maximum. Que surgisse un temple herculéen d’une falaise battue par le blizzard ou qu’une casse stellaire ouvre soudain des lignes de fuites vertigineuses, le sentiment d’immensité est là (presque toujours illusoire, il tourne à plein et souligne paradoxalement le talent des game designers).


Au-delà du souffle épique qui s’abat sur nous tout au long de l’aventure, Jedi Fallen Order est riche de quantités de détails réussis. On pense évidemment au sabre laser personnalisable – quand bien même dénicher les pièces est une mécanique mal réglée, qui a peu d’influence sur l’ensemble et paraît relativement superficielle – ou aux costumes, mais ces friandises sont bien peu de choses à côté de l’ambiance sonore.


Les musiques progressent avec le scénario, gagnant progressivement en profondeur et en intensité, pour nous offrir un paquet de symphonies dévastatrices dans la dernière moitié de la progression. Mais c’est bien sûr le design sonore de votre compagnon robotique BD-1, qui constitue le morceau de résistance. Tout à fait fidèles à la trilogie originale, ses mouvements et les bruitages qui les accompagnent en viendront parfois à modifier l’attitude du joueur, cherchant à provoquer telle ou telle réaction chez son compagnon droïde. Formidable levier d’immersion, BD-1 est une des plus évidentes réussites du jeu en matière de respect de l’univers original.


JEDI NIGHT


En termes d’écriture, Jedi Fallen Order est un peu plus schizophrène. Les personnages, comme les rebondissements, vont gagner en charisme, en intérêt au fur et à mesure de l’aventure, mais si cette dernière contient de véritables moments d’acmé, il faudra passer par quelques étapes bien mollassonnes pour en arriver là.


Commençons par notre héros, sorte de petit-suisse à la chevelure de feu, il faudra attendre bien des heures avant que le malheureux n’ait droit à de vrais conflits, ne soit mis en danger par le récit, ou soit mieux caractériser qu’un gant de toilette. C’est d’autant plus long qu’on est bien en peine de retrouver certains éléments que nous avait vantés Cameron Monaghan en interview.


Nous avons pu nous entretenir avec le comédien, vu dans Gotham, qui prête ses traits, sa voix et son corps à notre héros. « Je crois savoir que la motion capture dans les jeux vidéo est rarement un processus participatif », nous expliquait-il « mais ici, nos propositions étaient bienvenues, on pouvait proposer de modifier un mouvement, le réinterpréter, exactement comme une réplique ». Difficile en l’état de ressentir cette liberté, tant l’animation du personnage est régulièrement aux fraises.


Mais peut-être faut-il voir dans la condition interchangeable de Cal Kestis la possibilité d’une exploration future, ou d’une déclinaison à venir. « Il a été pensé pour pouvoir apparaître aussi sur d’autres plateformes ou dans d’autres médiums », nous a appris Monagan. D'où le souhait, peut-être, de ne pas explorer le perso de fond en comble dès sa première apparition. « Je ne cherche pas à court-circuiter ou à interférer avec le joueur, il doit pouvoir se projeter sur Cal ».


Une orientation d’autant plus évidente que plusieurs protagonistes, récurrents ou invités ponctuels, font preuve d’un soin d’écriture évident, d’une incarnation forte, notamment en ce qui concerne la principale antagoniste de l’épopée, d’un charisme à déboiter des séquoias. Pour le coup, on n’aurait rien eu contre un petit coup de finition supplémentaire apporté à notre héros, trop souvent pâlot, quoiqu’attachant. Le constat est d'autant plus évident que les alliés ou adversaires que nous croisons s'avèrent souvent passionnants, voire plus nuancés que ceux auxquels les films nous ont habitués.


Un sentiment que partageait également Cameron Monaghan, quand nous avons évoqué avec lui un antagoniste bien particulier, qui vole presque instantanément la vedette aux autres aventuriers sitôt son visage dévoilé. "C'est aussi l'avantage d'un média hors-canon, qu'il s'agisse de jeux vidéo, de comics, de dessins animés, on peut se risquer à proposer des personnages plus nuancés, qui évoluent sur une zone grise. C'est plus facile que sur un blockbuster."


DARK SOULS OF NATHAN DRAKE OF WAR


Direction artistique qui nous ambiance, personnages pas foufous mais fonctionnels, voire appréciables… tout cela est bien beau, mais qu’en est-il du game design ? Du gameplay ? Si ces éléments contiennent quantité de petites réussites ou sympathiques éléments, ils témoignent aussi des paradoxes et grosses imperfections d’un jeu qui déborde d’envies. Tout d’abord, et c’est la partie qui fonctionne de loin le mieux, Jedi Fallen Order s’envisage largement comme un metroidvania. Si plusieurs chapitres ou incursions sur telle ou telle planète sont ponctuels, une grosse section de l’aventure vous amènera à revisiter des environnements connus, que vos nouveaux pouvoirs déploient.


On évoquait plus haut le pouvoir de sidération de certains décors, en découvrir de glorieux raccourcis, ou tout simplement un pan totalement inconnu provoque un sentiment d’euphorie dopé par la DA générale. Pensées comme des rubik’s cubes jubilatoires, les planètes arpentées sont de véritables leçons d’architecture, qui ne cessent de nous dévoiler de nouveaux arcanes, toujours plus étonnantes et spectaculaires.


Mais Jedi Fallen Order veut aussi draguer lourdement God of War, Uncharted et Dark Souls. Il reprend une certaine idée des combats en semi-arène du premier, obligeant le joueur à prioriser les adversaires qu’il attaque, à atteindre un stade de bourrinage conscient, possiblement frénétique, mais jamais irréfléchi. Ces scènes alternent avec d’autres qui sont à l’évidence extraites de la saga de Naughty Dog, Respawn n’hésitant pas à cloner le prologue d’Uncharted 2 en guise de tuto varappe et initiation au fight. Si escalader un wagon de train suspendu dans le vide vous avez manqué, l’ouverture devrait vous faire chaud au cœur.


Enfin, le jeu saupoudre cette équation de concepts popularisés par Dark Souls, tels des points de sauvegarde et de réapparitions identifiés et limités, une accumulation d’expérience remise à plat après chaque mort (il faudra alors terrasser votre assassin pour récupérer tout votre barda). De même, les combats s’articulent autour de vos frappes au sabre laser, lesquelles dépendent directement de votre usage de la parade et du contre.


Toutes ces intentions sont valables sur le papier, mais terriblement complexes à agencer. Comment aboutir à un avatar suffisamment aérien pour escalader sans nous ennuyer, assez lourd pour donner aux affrontements une dramaturgie forte et suffisamment rigide pour pousser le joueur à comprendre les mécaniques du jeu et en tirer le meilleur ? Respawn aura sué sang et eau, sans toutefois réussir à percer le défi de cette équation.


On pestera souvent devant la mollesse de notre pas si bondissant Padawan, avant de s’énerver de le voir se faire bananer par un groupe de stormtroopers, la faute à des populations d’arènes pas toujours équilibrées avec l’avancement du joueur, quand on finira par voir dans la soulisation de l’ensemble un gros coup de coude aux fans de la licence, plus qu’une pensée profonde sculptant l’expérience.


TEMPÊTE DU BLASTER


Qu’en est-il donc du plaisir, au final ? La question est piégeuse. On s’amuse très souvent dans Jedi Fallen Order, on s’éclate parfois, notamment lors de très belles joutes au sabre laser. Jamais véritablement corsées, les bastons avec les boss jouent plutôt très finement sur le sentiment de puissance et la dramatisation de ces duels. Si on n’est rarement menacé, on se sent dominé, forcé à la réactivité, puis gagnant progressivement du terrain.


Parallèlement, le détroussage de bébêtes ou de stormtroopers semble moins bien réglé. On se dit souvent que telle assemblée a été pensée en ne tenant pas compte de notre progression et se retrouve trop faible ou trop retorse. Mais une fois le plein de pouvoirs effectués, la quantité de possibilités offertes au Jedi amateur de mise à mort créative est appréciable. Qu’on arrête le temps pour passer derrière un tireur de roquette, lui vitrifier les parties avant d’envoyer son missile sur ses petits copains, ou qu’on fasse des sashimis de bestiole en plein salto, le plaisir est bien présent.


On l’a dit, il en va de même pour l’exploration. Dès lors, il s’avère particulièrement rageant de constater tous les manques de réussites ou d’équilibre qui entament progressivement l’immersion et la jubilation. Les animations sont très imparfaites, le scénario a beau décoller progressivement, il se termine sur un doigt d’honneur à tout ce qui a précédé, et à vouloir étreindre les plus grandes licences de son temps, Jedi Fallen Order ne tient la dragée haute à aucune.


Il y a 10 ans, le blockbuster de Respawn aurait probablement fait office de grand Maître intouchable. Aujourd’hui, il s’agit d’une plaisante promenade de santé, dans laquelle on ne peut ni ne souhaite se perdre. Une aventure sympathique, qui doit plus au talent avec lequel elle donne vie à l’univers Star Wars, qu’à la profondeur de l’expérience vidéoludique qu’elle propose.


Résumé


Sympathique et par endroit vraiment impressionnant ou jubilatoire, Jedi Fallen Order souffre de quantité de petits défauts liés à sa folle ambition d'agglomérer des genres radicalement différents, qui finissent par souligner cruellement ses manques.

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le 22 févr. 2020

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