Rimworld, c'est bien, mais Rimworld, c'est moche. Voilà probablement la démarche de Haemimont Games pour aboutir à leur nouveau jeu : les développeurs ont "simplement" décidé de reprendre le squelette de Surviving Mars, leur précédent titre, pour faire leur propre Rimworld en 3D. Si la démarche manque un peu d'élégance, tout fan de jeu de gestion qui se respecte devrait au minimum être intrigué ; et pour ma part, en gros (gros) joueur de Surviving Mars (que je classe facilement sur le podium des meilleurs jeux de gestion de ces 5 dernières années), je salivais clairement à l'idée de voir ce Stranded sortir de son accès anticipé. Et, sans réelle surprise, la soupe est (très) bonne. Mais pour bien comprendre ce qu'est Stranded : Alien Dawn, il faut insister autant sur les qualités de sa source d'inspiration qu'est Rimworld, que sur celles du gros jeu de Haemimont post-Tropico, Surviving Mars.


Rimworld est un jeu de micro-gestion à thématique survie dans lequel on supervise le quotidien d'une poignée de colons disposant chacun de ses traits propres, qui sont principalement ses compétences, affinités sociales, centres d'intérêt et caractéristiques physiques. Le jeu repose sur un cycle très fin et détaillé entre affectation des tâches, observation des activités de nos colons, production, recherche scientifique et affinement des priorités par individu pour que notre toute petite équipe de survivants se bâtisse progressivement une base sûre et autosuffisante. Entre agriculture, chasse, démantèlement et raffinage de ressources, construction de base, gestion de l'électricité, du chauffage, du confort... on donne des ordres "globaux" que les colons se répartissent tous seuls, selon leurs affinités, le but étant de leur permettre progressivement de vivre en autarcie, avec nourriture, chauffage et matières premières, tout en leur faisant explorer les environs pour dénouer le mystère de leur crash sur la planète et leur permettre de rentrer chez eux. En grande partie inspiré de l'icônique Dwarf Fortress, Rimworld se veut en quelque sorte une sorte de simulation de vie quasi-intégrale où le joueur tient le rôle d'architecte et de planificateur. Celui-ci choisit les éléments à construire, les recherches à mener, les priorités à donner. Il affecte les ressources aux zones de stockage, contrôle la santé de ses ouailles, maintient l'équilibre de la production des ressources. Il veille à la mise en place d'un planning individualisé prenant en compte les rythmes de travail, de détente et de sommeil de chacun. Il choisit et place les défenses pour faire face aux attaques de créatures extraterrestre. Il habille ses survivants de vêtements plus ou moins chauds, plus ou moins résistants, et attribue à chacun des armes en fonction de ses affinités au combat.


Le joueur, toujours lui, met en place et organise les cultures agricoles, comestibles ou non, en anticipant le cycle des saisons et les besoins pour l'hiver. Il détermine quel plat est à cuisiner, pour qui, en quelle quantité. A partir de quel matériau sera conçu ce mur, le sol de cette pièce, le cadre de cette fenêtre, l'armature de ce lit. Où sera placé ce poêle pour qu'il réchauffe le plus d'occupants. A quel moment ce survivant ira fondre telle quantité de métal, coudre telle quantité de manteaux. Lequel d'entre eux s'occupera de la chasse, quel autre étudiera les plantes alentour. Qui recherchera de nouvelles technologies au labo, à quelle heure. Il décidera de l'espacement de cet établi de travail avec le lit pour éviter de perturber le sommeil de ceux qui dorment en cas de travail nocturne. Le cas échéant, il interdira le travail nocturne ; ou le rendra obligatoire. Timera précisément la durée de la pause midi. Mettra en place un couvre-feu. Fera bâtir des palissades de telle ou telle hauteur. S'adaptera au régime alimentaire de chacun, contribuera à un apport en nourriture variée. Organisera le réseau électrique, l'espacement entre les poteaux, la quantité de batteries. Déterminera l'orientation des projecteurs pour illuminer les allées la nuit, transformera les rondins en petit bois pour alimenter le feu de camp. Réservera une denrée précise à un stockage particulier, mettra la soupe au frigo et les fruits sur l'étagère de droite. Optimisera la température du salon, attribuera des détecteurs de mouvement à des mitraillettes automatiques, installera un didgeridoo dans la cour ou tolérera l'organisation d'une fête. Fera fermenter des légumes, sécher des viandes, extraire la graisse des créatures tuées, brasser un peu de bière ou faire chauffer du thé. Enverra les uns et les autres en expéditions pour aller examiner des points d'intérêt et revenir avec des ressources. Installera des pompes à chaleur réversibles. Domestiquera des animaux, récupérera leur crottin pour s'en servir d'engrais. Etc...


J'aurais pu continuer encore des pages, mais tout ça, c'est Rimworld. Et c'est aussi Stranded, qui fait tout pareil. Le jeu d'Haemimont repompe à peu près l'intégralité du contenu du Rimworld vanilla, et ce qu'il ne repompe pas, il l'adapte avec une nuance très fine. En principe, il n'y aurait pas de quoi se vanter. Mais, et ça change tout, Stranded est donc en 3D, et part dans l'ensemble du même socle d'UX que Surviving Mars, dont il recycle en grande partie les logiques de prise en main et l'organisation des éléments d'interface à l'écran (jusqu'à la typo principale). C'est ici que connaître et apprécier ce dernier jeu a aussi son importance dans son choix de se lancer dans Stranded, puisque les développeurs sont vraiment forts pour proposer des expériences belles et accessibles. Stranded : Alien Dawn est un petit modèle de clarté et de simplicité de prise en main. La pédagogie des tutoriels, la présentation plutôt très instinctive de l'interface et l'ensemble de la jouabilité sont de petites pépites qui, à mon sens, dépassent d'un cran celles de Rimworld, pourtant lui aussi étonnamment accessible et accordant une place centrale à la clarté de ses mécanismes. Pour apprécier toute la richesse et comprendre comment tout faire dans Stranded : Alien Dawn, il suffit de suivre une succession de cinq ou six mini-tutos très bien pensés, bouclés en une heure, qui permettent de se familiariser avec des contrôles évidents et de comprendre la façon dont sont rangées les différentes commandes. Et c'est sûrement là qu'est l'un des grands coups de génie d'Haemimont, celui qui contribue en grande partie à légitimer ce projet d'appropriation, il est vrai, un peu douteux à la base : la 3D transforme l'expérience. Le jeu devient plus beau, plus immersif, plus facile à prendre en main, plus stimulant dans ses phases de construction, d'architecture et de planification. La dimension supplémentaire du jeu débloque une dimension supplémentaire dans notre cerveau, "libère" notre imagination et rend la complexité du jeu à la fois beaucoup plus simple à appréhender, et beaucoup plus excitante. Les différents scénarios et biomes, pour leur part, se chargent de renouveler l'expérience même si leur dénouement peut parfois s'avérer assez déceptif (il faut garder en tête que si l'on s'amuse, le but est bien de... quitter la planète, au moins pour l'un d'entre eux).


Le jeu a bien quelques défauts, que n'avait d'ailleurs pas toujours Rimworld. Au premier rang d'entre eux, une scénarisation pas qui n'est donc pas franchement passionnante (même si elle fait l'effort de se renouveler, avec des règles différentes pour chacun des modes, elle entre parfois en contradiction avec le background des personnages) et un univers qui manque cruellement d'imagination. Il est par exemple étrange de se retrouver sur une planète extraterrestre à ce point semblable à la Terre, tout comme il est étonnant de constater que nos colons, même paumés dans un système solaire inconnu, n'en voient pas leur cycle hormonal contrarié plus que ça, et qu'au bout de deux minutes tout le monde s'est fait son petit lit et voit son moral boosté. Les expéditions, consistant à affréter une montgolfière pour aller récupérer des ressources rares ou des blueprints de recherche, ont pour l'instant un fonctionnement un peu bâtard, en s'effectuant sans aucune préparation de nos colons qui reviennent systématiquement de leurs excursions en burn-out, car ils sont partis sans vivres. A l'inverse de Rimworld, il sera d'ailleurs très rare (pour ne pas dire archi-exceptionnel) de les faire revenir de ces voyages avec un compagnon supplémentaire, ce qui fait qu'on est presque assuré de ne pouvoir jouer, pendant presque toute la partie, qu'avec le nombre de colons de départ (4) : c'est assez frustrant lorsque notre base prend de l'ampleur et que les tâches se multiplient. Toujours en relation avec la présence humaine, ou plutôt son absence, j'ai aussi regretté le fait que les ennemis ne soient que des insectes, ce qui n'est pas très motivant et transforme (par une volonté semble-t-il assumée des développeurs) les phases de protection de base en vulgaire tower-defense pas très haut de gamme. En termes de construction pure enfin, le jeu peut légèrement décevoir au regard des possibilités susurrées par la 3D : c'est particulièrement le cas de l'absence de possibilité d'étages pour les maisons, qui devront obligatoirement être construites sur un seul niveau, bien que la hauteur de celui-ci soit libre. De manière générale, côté difficulté, Stranded : Alien Dawn, en se voulant accessible, se prive peut-être d'un soupçon de challenge sur lequel je n'aurais pas craché, même si je me suis contenté jusqu'ici de la difficulté standard ; les survivants sont peut-être un chouïa trop compétents, notamment, dans la recherche scientifique et la construction, sans doute pour contrebalancer leur nombre difficilement expansible. Au moins, un joueur novice n'aura pas trop à s'en faire, tandis que les vieux briscards pourront sans doute jouer dans les modes de difficulté supérieur dès le départ.


A ma première partie de Stranded : Alien Dawn néanmoins, j'ai joué 9 heures à la suite. Sans débrancher. J'ai profité du jeu "à la cool", en laissant la vitesse en X1 : le plaisir d'observer mes quatre survivants, l'assurance de pouvoir me familiariser avec leurs compétences sans me presser, la satisfaction de constituer un planning et des priorités d'actions pour chacun d'eux, de constater leur comportement et de corriger mes ordres en conséquence, le doux cycle des jours, les nuits calmes où tout le monde dort en silence, les journées passées à les observer faire ce que je leur ai demandé la veille, la réalisation gratifiante que je ne leur avais finalement pas demandé que des âneries quand je les vois, le soir, souper d'un bon potage aux légumes près du poêle... Tous ces doux stimuli sont pour moi l'essence même du plaisir des jeux de gestion en général. En tous cas, le bilan est clair : même s'il repompe un concept et que ce n'est pas très bien, Stranded : Alien Dawn se l'approprie suffisamment, et bosse assez sa propre approche pour rendre son jeu aussi indispensable que le modèle dont il s'inspire. Et le pire, c'est que ce n'est que sa phase 1, avec un workshop ouvert mais encore timide. Compte tenu de l'ouverture de Surviving Mars en son temps aux mods et aux DLC, le jeu risque d'avoir une belle vie de mises à jour plus ou moins payantes qui pourraient bien en corriger les rares faiblesses gênantes, et en aggraver le potentiel addictif.

boulingrin87
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le 2 mai 2023

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